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Cent ans de lutte des Iraniennes pour la conquête de leurs droits

2 juin 2007

par Vida Hadjebi

Conférence donnée à Montréal par Vida Hadjebi pour la Journée internationale des femmes 2007, organisée par l’Association des femmes iraniennes de Montréal. Traduction de Djahan Dardachti.



Depuis plus d’un siècle, la lutte des femmes pour les droits civils et la libération des contraintes traditionnelles et religieuses a marqué l’histoire politique de notre société. Il est nécessaire de revenir en arrière pour analyser les acquis, les expériences négatives et les défaites vécues au cours de cette lutte afin de mieux comprendre l’histoire politique et sociale de notre pays.

On peut diviser l’histoire politique contemporaine de l’Iran en cinq étapes importantes : 1- Le passage à la monarchie constitutionnelle et l’adoption d’un amendement à la constitution en 1907. 2- Le règne de Réza Chah. 3- Les décennies 40 et 50, c’est-à-dire de septembre 1941 au coup d’État d’août 1953 et la chute de Mossadegh. 4- Les années 60, la "Révolution blanche" du Chah et le début de la lutte armée. 5- La Révolution de 1979 et l’instauration de la République Islamique.

Au cours de toutes ces étapes, trois facteurs ont joué un rôle plus important que les autres pour empêcher les femmes d’accéder à leurs droits civils : les régimes dictatoriaux, le clergé, la vision politique des opposants dans leur lutte contre les régimes en place.

Dictature et répression

À la suite de la Révolution constitutionnelle de 1907, non seulement la domination du clergé a-t-elle été légalisée, mais un régime basé sur la volonté populaire n’a jamais vu le jour. Malgré tout, l’atmosphère révolutionnaire et le désir de modernité ont affaibli la domination du clergé et favorisé la présence des femmes dans l’arène sociale.

À propos des conditions sociales des femmes à cette époque, on peut citer un article paru en 1909 dans le journal Zayendeh-roud : "La coutume voulait que les femmes marchent d’un côté du trottoir et les hommes de l’autre. Les femmes n’avaient pas le droit de sortir après le coucher de soleil. Dans les assemblées publiques, elles n’avaient pas le droit de parole et se faisaient arrêter si elles ne respectaient pas la règle."

Pour sortir de ces conditions, la lutte spontanée des femmes a donné naissance à la création d’écoles pour les filles, de journaux et d’associations de femmes. La création de la première école par madame Bibi eut lieu en 1904, mais la répression qu’elle a subie amena la fermeture de l’école. En 1911, en dépit de tous les dangers, par leur lutte acharnée, les femmes ont réussi, après sept ans, à créer 57 écoles de filles avec 2 172 élèves. Quatorze ans plus tard, en 1925, il y avait 17 624 élèves du primaire et 426 élèves du secondaire, avec 949 professeures."

Au début du règne de Réza Chah, l’enregistrement officiel des mariages, la reconnaissance des écoles de filles et la création des universités ont favorisé l’arrivée des femmes sur la scène politique et sociale. Mais en 1931, l’adoption d’une loi déclare illégale toute opposition à la monarchie et, suite à cette loi, on dissout les journaux des opposants, ainsi que les activités, les associations et les journaux de femmes. Par contre, quelques femmes influentes et instruites créent une association de femmes, sous la coupe du gouvernement, mettant ainsi fin aux multiples activités spontanées et indépendantes des femmes.

Avec la destitution de Réza Chah par les alliés en 1941 et le règne de son fils, Mohammad Réza Chah, de nouveau, une courte époque d’ouverture sociale et politique voit le jour, favorisant la création de partis et d’associations de toutes sortes. Surtout à l’époque de la nationalisation du pétrole par Mossadegh en 1951. Mais, avec le coup d’État de 1953 et la chute de Mossadegh, l’Iran connaît une nouvelle époque d’étouffement social et de répression brutale.

Dans les années 60, avec le changement de la politique occidentale, favorisant le développement capitaliste, le Chah lance sa "Révolution blanche", la création d’un parti unique et l’interdiction de tous les autres partis et associations, y compris celles des femmes. On assiste à la création de la Société royale des femmes, dirigée par la sœur du Chah, la princesse Ashraf. Malgré cela, le gouvernement rend les études primaires obligatoires, promulgue le droit de vote des femmes en 1962, leur éligibilité à la fonction de juges en 1968 et la loi de la protection de la famille. Ces diverses réformes marquent un point tournant dans la place qu’occupent les femmes dans la société, bien que beaucoup de lois islamiques restent en vigueur.

Domination du clergé

Le deuxième facteur empêchant l’accès des femmes à leurs droits civils est constitué par la domination du clergé sur la société, les racines profondes de la culture traditionnelle religieuse et la pensée intégriste. L’existence de ce front puissant et influent, parfois contre les régimes politiques en place, parfois en accord avec eux, constitue un obstacle majeur au développement du progrès social et de la modernité. Ce courant a pu prolonger sa domination surtout en opprimant et en privant les femmes de l’accès au progrès.

Durant le règne de Réza Chah, l’opposition la plus virulente face à l’abolition du voile obligatoire des femmes (hidjab) vient du clergé. À cette époque, beaucoup d’écrivaines, de poètes et chercheures ont soutenu la loi abolissant le port du hidjab. Cependant, après la création de la République islamique en 1979, la première loi promulguée oblige les femmes à porter le hidjab.

Pensée dogmatique et politico-identitaire

Durant toutes ces années, les forces progressistes et la gauche subissent l’influence du modèle soviétique de socialisme dont la pensée dogmatique et politico-militaire empêche l’émergence d’une pensée indépendante et la formation d’organisations civiles en-dehors de la politique du Parti. Ces années sont aussi caractérisées par l’utopisme politique, lui-même conséquence d’une longue suite de régimes politiques dictatoriaux à travers notre histoire. Cet utopisme ignore les besoins politiques et culturels immédiats de la société et lutte pour la réalisation de son idéal utopique en se sacrifiant et en ignorant les besoins organisationnels de la société civile.

Dans les années 40 et 50, le Parti Toudeh (parti communiste) est le principal représentant de ce courant dans notre société. Ce parti considère exemplaires les idées de l’époque de Staline et rejette comme bourgeois tout courant de lutte pour les droits civils, en particulier le féminisme et la lutte autonome des femmes. Malgré un tel dogmatisme, les années 50 marquent le début de la présence massive des femmes, surtout des étudiantes, dans les luttes sociales et politiques. On ne peut ignorer le rôle de ce parti dans l’organisation des luttes de cette époque. Bien que les femmes n’aient pas encore le droit de vote, ces années peuvent être considérées comme un moment politique important pour elles dans l’histoire du pays.

Au milieu des années 60, le radicalisme et la lutte armée deviennent les principaux courants politiques. Les Fedayines du peuple représentaient le courant de gauche et communiste et les Modjaheddines la tendance religieuse. Un nombre important de jeunes femmes ont participé dans les luttes armées de ces deux organisations et, en donnant leur vie, elles ont créé chez les femmes iraniennes une nouvelle conscience de l’égalité de leurs droits dans la mort comme dans la vie. Ces deux courants, avec leur volontarisme et leur esprit de sacrifice, non seulement n’ont pas contribué au développement des luttes pour les droits civils, mais les ont considérés comme une revendication bourgeoise et libérale. À cause de cette conception des droits civils, les organisations de gauche tels que les Fedayines, le Parti communiste et les Modjaheddines ont soutenu, voire collaboré avec le régime Islamique. En considérant la lutte anti-impérialiste comme une priorité absolue, ces groupes ont négligé le danger que représentait un régime théocratique pour les droits civils et surtout pour la liberté et l’égalité des femmes.

Importance du mouvement pour les droits civils

C’est cette pensée politico-identitaire qui a été à l’œuvre dans notre société, de la Révolution constitutionnelle jusqu’à la révolution de 1979 et l’instauration de la République islamique. Cependant, l’éveil de la société civile et particulièrement des femmes, durant plus d’un siècle, ne peut être facilement réprimée avec des décrets et des mots d’ordre religieux. La lutte du peuple dans les années de la Révolution crée une conscience des changements profonds dans les mœurs et les fondements de la société iranienne. Le régime des mollahs est obligé de recourir à la répression et à des tueries sans précédent pour mater cette révolte et le désir du peuple pour la liberté.

La première manifestation des femmes contre le port obligatoire du hidjab a lieu le 8 mars 1979 avec des slogans progressistes comme : "Nous n’avons pas fait la révolution pour retourner en arrière", "La liberté n’est ni orientale ni occidentale, elle est universelle", etc.

Aujourd’hui, pour la première fois de notre histoire, la séparation de l’État et de la religion et le pouvoir du peuple par et pour le peuple sont devenus les demandes d’une très grande partie de la société iranienne. Un nouveau regard et la réévaluation de notre histoire sont devenus nécessaires. La recherche sociale et historique et l’écriture de mémoires sont maintenant très répandues. De nombreuses recherches faites par les femmes revoient la place des femmes et de leurs luttes au cours de l’histoire politique récente.

La présence active des femmes est devenue un courant très important dans la société iranienne actuelle. Leurs initiatives pour créer des sites Internet, des comités culturels, des comités de défense des droits des femmes et des enfants, pour célébrer les anniversaires importants, sont nombreuses. Récemment, on a lancé une pétition pour réunir un million de signatures pour les droits des femmes et la préparation d’une charte des droits des femmes.

Il est donc devenu rapidement nécessaire d’évaluer les activités des femmes, malgré le régime théocratique, et de créer deux centres à cet effet : le Centre d’information et de statistiques des femmes, le Centre d’évaluation de participation des femmes. Selon ces derniers, plus de 60% des étudiants universitaires sont des femmes. Il y a 103 éditrices, 1309 écrivaines, 708 traductrices, 1186 directrices dans différents domaines, 1793 coopératives de femmes, 480 organisations non gouvernementales créées par des femmes, 1383 femmes ont participé dans le Conseil des villes et des villages. Avant la Révolution de 1979, la force de travail des femmes représentait 7% d’une population de 30 millions, tandis qu’aujourd’hui, elle représente 15% d’une population de 70 millions.

La présence de plus de cent candidates pour l’élection présidentielle, dont l’histoire de l’une d’elles a été relatée dans un film d’une grande cinéaste, montre l’évolution de la pensée autonome et de l’initiative des femmes pour obtenir des droits égaux.

La République islamique est confrontée aujourd’hui, non seulement au mouvement autonome des femmes, mais aussi aux mouvements étudiant, ouvrier et enseignant. Ces mouvements ont réalisé des pas importants dans la solidarité et l’appui à leurs revendications respectives. Tout ceci nous montre que les luttes civiles et culturelles dans différents domaines de la société ainsi que les luttes féministes, qui demandent des efforts quotidiens et patients de la part des femmes, non seulement ne sont pas en contradiction avec la libération du joug des mollahs, mais peuvent devenir le terrain principal de la conscience politique pour cette libération.

Traduction par Djahan Dardachti de la conférence donnée à Montréal par Vida Hadjebi pour la Journée internationale des femmes 2007, organisée par l’Association des femmes iraniennes de Montréal.

Mis en ligne sur Sisyphe, le 1 juin 2007.

Vida Hadjebi


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