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Lettre au premier ministre - M. Couillard, un Québec laïque, ça presse !

27 novembre 2014

par Collectif*

Nous nous exprimons ici en notre qualité de Québécoises et de Québécois de culture musulmane profondément attachés à la laïcité et aux droits des femmes.

Nous souhaitons, d’emblée, lever un terrible malentendu que vous avez créé, la semaine dernière, en prétendant que vous avez rencontré LES leaders de LA communauté musulmane, malentendu repris malheureusement par certains médias. Nous ne nous reconnaissons pas dans votre démarche.

Certes, le 17 novembre, vous étiez entourés de quelques personnalités musulmanes. Cependant, ces dernières ne nous représentent aucunement. Pour la simple raison que LA "communauté" musulmane n’existe pas. Il y a autant de façons de vivre l’islam qu’il y a de musulmans et de musulmanes. À moins d’être soumis au joug d’une théocratie de droit divin comme c’est le cas en Arabie saoudite et en Iran où là, en effet, l’État dicte LA norme.

Nous ne sommes pas dans ce cas de figure. Citoyennes et citoyens d’une démocratie, en l’occurrence le Québec, un État qui s’est forgé, en partie, grâce à la Révolution tranquille, aux combats pour les droits des femmes, des homosexuels et la déconfessionnalisation du système scolaire, nous jouissons, nous qui sommes venus d’ailleurs, d’une pleine autonomie de pensée si chère à la construction de la citoyenneté. En passant, merci au Québec de nous avoir offert ce climat si propice à l’esprit critique.

Sans perdre la mémoire de nos origines, nous sommes devenus les héritiers et héritières de cette fabuleuse histoire. C’est pourquoi nous voyons dans votre manoeuvre une tentative d’enfermer des communautés plurielles, diverses et hétérogènes, traversées par différents courants de pensée, dans un seul et unique référent d’ordre religieux qui constitue une grave atteinte à notre liberté d’expression et de conscience. Nous refusons cette façon de faire et la condamnons de toutes nos forces. D’autant que plusieurs parmi nous ont subi les affres de la pensée unique des régimes autoritaires ainsi que les terribles violences des groupes islamistes.

"L’Église chez elle, l’État chez lui"

Jouer avec le religieux est un jeu dangereux. Les Américains l’ont appris à leurs dépens. Eux qui ont financé, soutenu et armé des organisations islamistes terroristes dans le contexte de la guerre froide. Nous savons où cette stratégie liberticide a mené le monde.

De toute façon, le religieux et le politique ne font jamais bon ménage. Pourtant, vous avez rencontré des « religieux », entre autres représentants, dans le cadre d’un large débat public, pour discuter d’enjeux politiques. Pourquoi au juste ? Sur quelle base ont été choisis ces prétendus « leaders » ? Curieux, tout de même, qu’aucun journaliste ne vous ait posé la question alors que vous veniez de commettre une entorse à la laïcité. Nous reconnaissons que nous sommes un peu chatouilleux à cet égard.

Mais rappelons tout de même quelques préalables à la démocratie. La religion est une affaire privée qui ne doit aucunement engager l’État, c’est-à-dire nous engager collectivement. Et souvenez-vous de ce que disait le pourtant très catholique et non moins laïque Victor Hugo : « L’Église, chez elle, l’État chez lui. » Ça vaut pour toutes les chapelles et aussi pour la mosquée. L’État laïque, tenu à une stricte neutralité vis-à-vis des différentes options religieuses, spirituelles et philosophiques, ne doit en aucun cas s’immiscer dans le débat d’une quelconque communauté, et vice versa.

Le processus de radicalisation est un phénomène, bien qu’en apparence religieux, profondément politique. Il attaque la démocratie dans ses fondements mêmes en utilisant la violence pour terroriser la population et affaiblir l’État.

Nous connaissons ce phénomène de l’intérieur. Certains parmi nous ont été témoins de la radicalisation d’un membre de la famille, d’un collègue, d’un voisin, d’un-e étudiant-e. La radicalisation est un processus qui se nourrit de l’idéologie de l’islam politique, dont le djihad est le pilier et le voile islamique l’étendard.

En Occident, c’est à travers le multiculturalisme et son corollaire, le relativisme culturel, que cette idéologie mortifère avance tranquillement. Il est question de 1000 combattants français dans les rangs du groupe État islamique. On compte 85 tribunaux islamiques en Grande-Bretagne. Où tout cela s’arrêtera-t-il ?

Vous dites que vous voulez combattre la radicalisation. Nous nous en réjouissons. Mais de quelle façon ? Aux côtés des personnalités dont vous vous êtes entouré la semaine dernière ? Ces imposteurs qui ont usurpé le titre de représentant pour s’autoproclamer leaders d’une communauté fantasmée ? Avouons que c’est un peu mal parti.

Tous vos interlocuteurs ont soutenu durant le débat sur la charte de la laïcité que l’intégrisme n’existait pas. Que l’islam politique est, tout au plus, une machination de certains esprits malveillants, « islamophobes », ou une fabulation des médias. Pourquoi se précipitent-ils alors à vos côtés pour combattre un phénomène dont ils niaient jusqu’à l’existence même il y a à peine quelques mois ?

Cette improvisation avec laquelle vous avez orchestré cette sortie médiatique plonge le Québec dans une impasse. Nous prenons nos responsabilités dans ce débat pour rappeler l’urgence et la nécessité de parachever le processus de laïcisation du Québec. Avec votre démarche, nous nous en éloignons cruellement.

Un dernier mot : de grâce, arrêtez d’imputer le blocage actuel à LA "communauté" musulmane. Certes les intégristes, les multiculturalistes ainsi que les communautaristes musulman-e-s combattent la laïcité. Nous, les démocrates, nous y croyons résolument. Que les Québécoises et les Québécois le sachent.

* Signataires : Mustapha Amarouche, Salah Beddiari, Djemila Benhabib, Nabila Benyoussef, Ferid Chikhi, Fatima Da Silva, Nadia El-Mabrouk, Aziz Fares, Monsour Fekhi, Shiva Firouzi, Rakia Fourati, Hadj Mohand Ferroudja, Mouloud Idris, Ali Kaidi, Aomar Kaidi, Redouane Khris, Sibel Kose, Leila Lesbet, Louenes Hassani, Salimata Sall, Akli Ourdja, Imen Zayani, Nacéra Zergane.

 Publié également dans Le Devoir, le 27 novembre 2014, et transmis à Sisyphe par l’une des auteur-es.

Mis en ligne sur Sisyphe, le 27 novembre 2014

Collectif*


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