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Éliminer les violences contre les femmes pour atteindre l’égalité

5 décembre 2016

par Micheline Carrier

Je suis venue au féminisme (ou le féminisme est venu à moi), il y a quelques décennies, par le biais de la violence contre les femmes.

C’est l’engagement des associations comme le Regroupement québécois des CALACS, le Réseau d’action et d’information (RAIF), Viol Secours, l’AFÉAS, la FFQ des années 70 qui m’a d’abord sensibilisée à une situation qui paraît endémique en ce XXIe siècle : la violence touche maintenant une femme sur trois, selon l’OMS.

Davantage qu’il y a 40 ans, je suis convaincue que la violence physique, psychologique ou sexuelle est le principal obstacle à la liberté et à l’égalité des femmes. Cette violence menace non seulement les gains des dernières décennies mais aussi les futurs efforts de réalisation individuelle, en particulier chez les adolescentes.

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Il y a quelques années, alors que j’intervenais chez une voisine menacée depuis des semaines, son agresseur m’avait lancé de vagues menaces du haut d’un escalier. Un peu plus tard, la police m’avait sermonnée en raison des risques que j’avais encourus.

Aussi n’ai-je pas été surprise d’entendre l’auteure Katherine Pancol raconter son expérience alors qu’elle voulait aider une femme agressée. Témoin du passage à tabac de cette femme par son compagnon, K. Pancol l’a suivie aux toilettes de l’établissement. L’agresseur l’a rejointe, l’a coincée contre le mur, et a menacé de tuer la femme si elle lui parlait. Le regard suppliant de cette femme n’a laissé à K. Pancol aucun doute sur la possibilité que la menace soit mise à exécution.

C’est la peur, dit K. Pancol, qui empêche les femmes agressées et les personnes qui en sont témoin de réagir.

C’est la peur, oui, que les agresseurs cherchent à susciter pour neutraliser les personnes qu’ils veulent dominer. Ils s’en servent pour contrôler conjointe, fille, soeur, voisine, collègue, employée ou parfaite inconnue.

Et la banalisation de cette violence enferme les victimes dans le silence et la souffrance. Ainsi se perpétue-t-elle de génération en génération, de siècle en siècle.

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On constate depuis longtemps que les actes de violence se diversifient et s’intensifient dans une proportion semblable aux efforts individuels et collectifs déployés par les femmes pour conquérir leur autonomie.

Ce n’est pas une coïncidence.

La violence systémique est depuis la nuit des temps l’arme masculine par excellence pour soumettre les femmes et briser leur volonté de se libérer des carcans familiaux, sociaux et religieux imposés.

La violence physique, sexuelle ou psychologique sous différentes formes - intimidation, harcèlement, viol, pornographie, pédocriminalité, prostitution, violence dite conjugale, imposition d’un code religieux, crime d’honneur, mariage forcé, maternité forcée, excision, haine contre les lesbiennes, menaces, privations économiques, etc. - cette violence constitue une riposte des dominants qui voient leurs lois remises en question et leurs privilèges menacés.

La violence criminelle perpétrée par Marc Lépine, le 6 décembre 1989*, traduisait la volonté de faire payer aux 14 jeunes filles assassinées - et à travers elles à toutes les femmes en quête de réussite – l’audace de prendre LEUR place.

Les hommes qui, comme Guy Turcotte, tuent leurs jeunes enfants pour se venger de conjointes vivent peut-être de la détresse mais ils obéissent à un code millénaire toujours en vigueur en l’exprimant. Femmes et enfants demeurent, dans l’inconscient collectif, propriétés des hommes qui peuvent en disposer comme ils veulent. C’est l’essence même d’un patriarcat qui se renouvelle sans cesse et tolère les féminicides.

Les meurtres par noyade des sœurs Zainab (19 ans), Sahar (17 ans) et Geeti Shafia (13 ans) ainsi que de Rona Amir Mohamed (50 ans) découlaient du credo islamique défini par et pour les hommes exclusivement, qui leur accorde droit de vie et de mort sur les femmes et les enfants. Dans le cas des Shafia, comment supporter que des filles et une femme défient ce credo en voulant vivre selon les coutumes du Canada ?

Dans plusieurs pays, la pédocriminalité institutionnalisée sous la forme de mariages d’enfants de 8 ou 10 ans à des hommes d’âge mûr ; dans d’autres, l’usage du vitriol pour punir les filles et les femmes qui veulent s’instruire ; l’imposition des symboles de soumission pour protéger présumément la vertu des hommes qui succomberaient à la vue d’une chevelure ou d’un visage féminin ; le viol et la torture des femmes comme armes de guerre, tous ces actes relèvent de la domination. Et la domination, c’est de la violence.

À ce troublant tableau s’ajoute la tendance à donner aux actes violents contre les femmes une signification et une justification autres que celle qu’ils ont en réalité : la folie, les coutumes, la détresse de certains hommes, leur désarroi face aux féministes, au chômage, la provocation, les croyances religieuses, les traditions, etc. Mais pas la haine, ni le ressentiment, ni la volonté d’écraser, de détruire, d’entraver la liberté, ni le refus de reconnaître dans les femmes leurs égales ?

Tous les prétextes sont bons pour camoufler l’échec d’une société à assurer aux femmes un statut de citoyenne à part entière et la sécurité. En supposant que cette société le veuille.

Faut-il s’étonner que les pires formes de violence soient dirigées contre la sexualité et le corps des femmes qui, dans certaines cultures, font carrément peur aux hommes ? Non seulement aux religieux et aux intégristes de toutes obédiences, mais aussi aux messieurs-tout-le-monde qui s’accrochent désespérément à des mythes et à leurs privilèges qu’ils estiment des droits.

La violence dite conjugale, la pornographie, la prostitution et le viol sont des formes extrêmes de contrôle sur les femmes. Elles jouissent d’une certaine acceptation sociale ou banalisation, qui se traduit par des lois tolérantes ou inappliquées, et le mythe d’une sexualité masculine aux besoins incontrôlables.

Les mouvements pour entraver le droit des femmes à choisir leurs maternités et les pratiques de sexo-sélection, qui ne sont rien de moins que féminicides, participent de ce contrôle. La commercialisation de la procréation dite gestion pour autrui (mères porteuses) constitue une autre forme de violence contre des femmes, souvent les moins nanties, qu’on réduit à l’état de couveuses et de pondeuses.

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L’acceptation de la violence comme arme collective contre les femmes se traduit aussi par le silence d’une majorité d’hommes devant les actes d’une minorité d’entre eux. Ils soutiennent un système.

Ce n’est pas la peur qui impose le silence aux hommes. C’est plutôt la solidarité masculine millénaire intériorisée, instinctive. L’esprit de clan. De temps à autre, ce silence est rompu par des voix qui restent minoritaires, voire marginales. Le réseau international Zéromacho, des hommes contre la prostitution et pour l’égalité, par exemple.

Qu’il y ait si peu d’hommes prêts à dénoncer la violence systémique contre la moitié de l’humanité laisse perplexe. N’en voient-ils pas l’intérêt ne serait-ce que pour eux-mêmes ?

Si tous les hommes se levaient ensemble pour s’opposer à la violence contre les femmes et pour confronter les agresseurs, cette violence s’éterniserait-elle comme elle le fait depuis des siècles et des siècles ?

Les mouvements féministes n’auront d’autre choix dans l’avenir que de recentrer leurs priorités sur l’élimination de toutes les formes de violence contre les femmes. Il faudra d’abord qu’ils reconnaissent que certaines situations - par exemple, la prostitution, la ségrégation sexuelle dans certains milieux, l’imposition de marquage au nom d’intérêts politico-religieux, le sexisme extrême - sont des formes de violence. Autrement, les actions entreprises dans d’autres domaines seront vaines.

On peut, en effet, se demander à quoi servira que les femmes essaient d’avancer collectivement si de plus en plus de femmes subissent cette violence qui brise l’estime de soi et entrave la réalisation personnelle et collective.

Combien d’entre elles seront en mesure d’exercer certains droits acquis ?

Pour quelques femmes qui émergent dans les domaines politique, social, artistique et économique, combien d’inconnues sont enfermées dans le silence et dans une spirale de violence qu’on a parfois peine à imaginer (voir l’article de l’AVFT sur la pornographie) ?

Aussi faut-il saluer et soutenir la prise de parole des femmes qui, pour la première fois en public, confient avoir subi de la violence à un moment ou l’autre de leur vie.

Pour plusieurs de ces femmes, et pour celles qui n’ont pas encore pris la parole, le mouvement féministe pourrait être un lieu d’accueil afin de se libérer d’une solitude et d’un silence parfois douloureux et, à terme, pour atténuer les effets de la violence sur leur vie quotidienne.

Publié sur Sisyphe le 1 décembre 2014 sous le titre "La violence contre les femmes, riposte des pouvoirs menacés".

* "27 ans après le massacre de l’École Polytechnique : femmes et enfants tuées par des hommes en tant qu’hommes"

* Rubrique Polytechnique 1989 : tous les articles publiés à ce sujet sur Sisyphe depuis 15 ans.

Mis à jour le 3 décembre 2016

Micheline Carrier


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