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Alanis Obomsawin, "celle qui trouve le chemin"

5 mars 2015

par Guylaine Maroist, présidente des Artistes pour la Paix

Alanis Obomsawin, grande artiste, modèle d’engagement.

Obomsawin veut dire « Pathfinder… » : celle qui trouve le chemin.

Alanis, comme dans courage, détermination, conviction, passion...

Alanis Obomsawin. Chanteuse et cinéaste… abénaquise.

Née au New Hampshire, Alanis grandit sur la réserve Odanak, près de Sorel. C’est là qu’elle apprend par Théo, le cousin de sa mère, des chansons et des contes abénaquis. Puis sa famille déménage à Trois-Rivières où elle est la seule famille amérindienne. Alanis a 10 ans. Elle ne parle ni anglais, ni français. On l’insulte. Elle se fait parfois battre à l’école, surtout après les cours d’histoire. Des histoires … mensongères…

Elle va passer le reste de sa vie à rétablir les faits.

Que fait-elle ? Elle va témoigner. Elle va transmettre. Elle va propager la vérité de sa culture, raconter l’histoire de son peuple. Par tous les moyens. Et d’abord, elle va chanter.

En 1960, débute sa carrière de chanteuse à New York, qui l’emmène dans les écoles et sur les scènes des campus universitaires dans le milieu folk en pleine effervescence militante.

En 1967, se profile pour elle une autre manière de témoigner : montrer. Elle a fait entendre, elle va faire voir.

C’est par le cinéma documentaire qu’elle va donner la pleine mesure de sa mission de mémoire, élargissant sa vision aux revendications de toutes les nations autochtones. Des films de lutte et de beauté, autant de révélateurs qui nous permettent de saisir à la fois les misères et les richesses de son peuple.

Alanis réalisera plus de 43 films à l’Office National du Film. De ces films, tous méritoires, certains seront particulièrement célébrés.

Il faut d’abord mentionner Christmas at Moose Factory, son premier film, entièrement construit à partir de narrations et de dessins d’enfants.

En 1977, il y aura Mère de tant d’enfants, ce film où elle en dit tant sur la condition des femmes autochtones.

En 1981, Incident à Restigouche témoigne d’un événement de brutalité policière dans une réserve Mic Mac, où les Indiens se battent pour la reconnaissance de leurs droits ancestraux de pêche au saumon.

À large portée humanitaire, ses films naissent souvent d’une tragédie individuelle. Dans Richard Cardinal : le cri d’un enfant métis, de 1986, le récit dramatique du suicide d’un jeune garçon va initier des changements dans l’administration des services sociaux chez les familles d’accueil en Alberta.

Et personne ne peut oublier Kanesatake : 270 ans de résistance. Certainement son film au plus grand retentissement. Au cours de l’été de 1990, Alanis va passer 78 jours derrière les barricades dressées par les Mohawks pour protéger leur pinède, à tourner des images les opposant à la Sûreté du Québec et à l’Armée canadienne. Ce documentaire expose les problèmes des autochtones au premier plan de la conscience des Canadiens et de la scène internationale. Et remporte 18 prix à travers le monde.

Et Alanis persiste. En 2014, elle lance Trick or treaty, grand film d’espoir qui salue la résilience des jeunes autochtones engagés dans le mouvement Idle no more (finie l’inertie).

Encore aujourd’hui, elle est aux premières lignes, toujours là à dénoncer les injustices, les iniquités, toujours là pour son peuple.

De prestigieuses récompenses jalonnent ce parcours exemplaire et exceptionnel. Membre de l’Ordre du Canada, de grandes universités canadiennes lui décernent des doctorats honorifiques. Mais la vraie récompense pour Alanis, est que son œuvre vit, et vibre, et permet à son peuple abénaki et aux Premières Nations d’avancer, chanson par chanson, film par film, et depuis 30 ans déjà, par ses gravures et lithographies– exposée notamment au Museum of Modern Arts (i>MoMa</i) à New York.

Alanis Obomsawin, une grande artiste qui nous montre depuis plus de 50 ans comment le travail artistique acharné et déterminé peut faire en sorte qu’un peuple, son peuple, ne soit plus « invisible ».

Une grande artiste qui nous montre, par sa vie, par son œuvre, comment on peut se battre… avec les armes de la paix.

À la suite de mon discours à titre de présidente des Artistes pour la Paix, Alanis, très émue, a parlé avec toute sa passion de son nouvel optimisme, après hélas des décennies où elle a été témoin de tant de racisme et de dizaines de suicides de jeunes des communautés du Nord (on sait le refus du gouvernement Harper de déclencher une enquête même après la mort inexpliquée de mille deux cent femmes et jeunes filles autochtones).

Alanis a reçu du public rassemblé par les Artistes pour la Paix une ovation debout d’une rare intensité.

Hommage prononcé à la Chapelle historique du Bon-Pasteur, à Montréal, le 16 février 2015.

Mis en ligne sur Sisyphe, le 18 février 2015

Guylaine Maroist, présidente des Artistes pour la Paix


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