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Ouganda - Esther Madadu, sage-femme et candidate au Prix Nobel de la Paix 2015
8 mars 2015
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« En 2013, près de 180 000 femmes en Afrique subsaharienne sont mortes en donnant la vie. Comment rester indifférent face à cet intolérable drame ? Mourir en donnant la vie, le paradoxe est insupportable alors que des gestes simples auraient pu sauver ces femmes pendant leur grossesse ou au moment de leur accouchement. »
Esther Madudu est une jeune sage-femme ougandaise formée par l’AMREF. Elle porte la candidature symbolique des sages-femmes africaines au Prix Nobel de la Paix 2015 pour que le métier de sage-femme soit mieux connu et reconnu, particulièrement en Afrique où les sages-femmes jouent un rôle central dans la réduction de la mortalité maternelle. Entrevue réalisée par l’AMREF Flying Doctors*.
Chère Esther, dans quel hôpital exercez-vous ? Combien de personnes travaillent avec vous ?
Je travaille dans le centre de santé d’Atiriri, dans une zone rurale à plus de 6 heures de route et de piste de la capitale Kampala. C’est un petit centre et nous sommes seulement deux sages-femmes pour les dizaines de mamans qui viennent chaque jour. Grâce à l’AMREF, nous avons depuis peu des panneaux solaires et donc de l’électricité, mais cela ne fonctionne pas tout le temps et j’ai plusieurs fois dû accoucher des mamans à la lumière de mon téléphone portable.Pouvez-vous nous décrire votre travail ?
Soins anténataux, suivi psychologique, test du dépistage du VIH, prévention et traitement du paludisme, accouchements, vaccinations, soins postnataux, soins post avortements, suivi des mères et de leurs nouveau-nés, sensibilisation aux bonnes pratiques en matière de santé… La charge de travail est trop importante pour deux sages-femmes seulement et nous ne pouvons tout assumer. Nous sommes supposées effectuer des visites de suivi à domicile pour les mères positives au VIH, mais nous sommes tellement prises par le centre de santé que nous ne pouvons honorer ces visites. Les femmes ne suivent pas nos conseils à cause des stigmates parce qu’elles ne veulent pas que les gens sachent qu’elles sont infectées. Si on ne les surveille pas, elles ne prennent pas la Névirapine au début du travail, et allaitent leurs bébés, les exposant ainsi à un risque élevé d’infection.Pouvez-vous nous décrire une journée type au sein du centre de santé d’Atiriri ?
Je me lève à 5h30, et à 6h je m’occupe des tâches ménagères et je me prépare un petit déjeuner et un déjeuner à emporter. Vers 7h30, je commence à m’occuper des mères et des bébés. Je procure des soins post et anténataux entre 9h30 et 10h, ou je procède aux tests de dépistage du VIH/Sida et de la syphilis. Je vois entre 35 et 40 mères par jour du lundi au vendredi. Si une femme est dépistée séropositive, je la prends en charge particulièrement, je prends le temps de lui expliquer les traitements et de m’assurer qu’elle les suive. Parfois je suis appelée pour aider à un accouchement et je dois faire attendre mes consultations. Mais mes journées varient. Par exemple, hier, j’ai accouché cinq enfants pendant la nuit et un le matin. Aujourd’hui, je n’ai bu qu’un soda, je suis trop occupée. Voilà une journée type !Pourquoi cette vocation pour le métier de sage-femme ?
Parce que je sauve la vie de mères et de leurs enfants. Petite, j’étais fascinée par les gros ventres des femmes enceintes et j’ai demandé à ma grand-mère, accoucheuse traditionnelle, de me laisser assister à un accouchement. J’ai alors su que je voulais devenir sage-femme pour aider les mamans et les nouveau-nés. Je suis moi-même un enfant prématuré et c’est ma grand-mère qui a pris soin de moi à ma naissance. Je lui dois la vie, et elle est toujours en vie elle aussi.Pouvez-vous nous expliquer en quoi le rôle des sages-femmes est primordial pour sauver la vie des mamans africaines ?
Les sages-femmes sont primordiales ! Une sage-femme formée est capable de diagnostiquer et de traiter des complications qui surviennent à la fois durant la grossesse et l’accouchement. Mais pas seulement ! Une sage-femme formée aujourd’hui en Afrique peut dépister le paludisme ou le VIH qui sont des maladies infectieuses extrêmement répandues. Si ces tests ne sont pas réalisés, alors on court le risque de perdre à la fois le bébé et la mère ou le risque de transmission de maladies infectieuses de la mère à l’enfant comme le VIH. En tant que sage-femme, nous prévenons aussi les grossesses non désirées, mettons en place le planning familial, nous informons les femmes et les jeunes filles sur leurs droits avec les difficultés que cela suppose dans les communautés rurales et isolées.D’après vous, pourquoi l’Afrique Sub-Saharienne manque-t-elle autant de sages-femmes qualifiées ?
Les formations sont peu accessibles, souvent onéreuses, parfois même dans certains pays quasi inexistantes. C’est aussi un métier très difficile, qui nécessite parfois de travailler 24h/24, et plusieurs se découragent. Mais les vocations naissent lorsque l’on se concentre sur les mamans, les bébés et toutes les vies que nous sauvons. Il est aussi difficile pour les sages-femmes de mettre à jour leurs compétences, et de quitter leur centre pour aller se former. C’est en ce sens que les programmes de l’AMREF sont novateurs et efficaces. Les formations proposées sont adaptées au niveau d’études de chacune, et nous pouvons suivre les cours en e-learning tout en continuant à exercer dans nos centres de santé.Quand vous êtes venue en France en juin 2012, qu’est-ce qui vous a le plus marqué dans la prise en charge de la grossesse à l’occidentale ?
Ce qui fut surprenant à la maternité à Paris était de voir que vous avez de la lumière 24h/24, 7 jours sur 7. J’ai été aussi étonnée par le nombre de sages-femmes disponibles ! Les jeunes mamans que j’ai rencontrées se sentaient bien après l’accouchement. C’était incroyable de voir tous les équipements et les médicaments. J’ai été aussi surprise de voir que nous avions des choses en commun, comme l’outil utilisé pour contrôler le progrès du travail. Et nous partageons la même émotion quand nous aidons les mamans à mettre au monde leurs enfants.Comment avez-vous présenté votre candidature au Prix Nobel de la Paix 2015 ?
Je n’ai pas posé ma candidature ! C’est l’AMREF qui m’a nommée comme représentante de toutes mes homologues du continent. Attribuer le Prix Nobel de la Paix 2015 à toutes les sages-femmes africaines est le deuxième objectif de la campagne Stand Up For African Mothers. Je vous encourage d’ailleurs à signer l’appel en ligne. Je suis très fière aujourd’hui d’incarner les sages-femmes en Afrique et d’éveiller les consciences sur la détresse des mères africaines, leur donnant une voix et attirant l’attention du plus grand nombre sur le besoin urgent de plus de sages-femmes sur le continent.Que pensez-vous de la campagne ?
Je suis très enthousiaste ! J’aimerais que le monde entier comprenne les besoins des mères africaines et leur besoin d’être assistées par des sages-femmes qualifiées. Je pense aussi que c’est l’occasion de mettre en lumière notre manque d’infrastructures de santé. Nous avons besoin de plus d’équipements de santé, plus modernes. La mortalité maternelle en Afrique est tout à fait alarmante et pour moi cette campagne est un pas dans la bonne direction. Il faut que le monde soit au courant. Je ne suis qu’une sage-femme mais je fais le maximum dans des zones où personne ne se rend. Cela doit être montré, les gens doivent savoir !– Où que vous êtes dans le monde, vous pouvez signer l’appel pour que le Prix Nobel de la Paix 2015 soit décerné à Esther Madadu et aux sages-femmes d’Afrique.
– Du site L’AMREF Flying Doctors.
* L’AMREF Flying Doctors (AMREF pour African Medical and Research Foundation ; en français, Association pour la médecine et la recherche en Afrique) a été créée en 1957 pour venir en aide aux communautés les plus isolées d’Afrique. Depuis 55 ans, l’AMREF a développé des programmes axés sur les soins et sur le développement des compétences des professionnels de santé africains. L’objectif de l’AMREF est d’offrir des solutions durables et de renforcer les systèmes de santé publique et communautaire. L’AMREF dispose d’un budget annuel de 80 millions de dollars et met en œuvre plus de 150 programmes principalement en Afrique de l’Est et du Sud. Toutefois, ces programmes de formation et de médecine volante s’ouvrent à plusieurs pays d’Afrique centrale et de l’Ouest depuis 2007. L’AMREF.
Mis en ligne sur Sisyphe, le 1 mars 2015