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Annie Macdonald Langstaff, pionnière du droit au Québec
9 mars 2015
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Il y a des êtres ou des choses que l’on porte en soi. Pour moi, c’est le cas d’Annie Macdonald Langstaff*, première femme diplômée en droit au Québec, en 1914, et de surcroît, aviatrice. Laissez-moi vous parler d’elle.
J’ai fait sa connaissance, à l’aube de mes 20 ans, à la lecture d’un jugement datant de 1915, où elle était demanderesse, et où on lui refusait, pour le seul fait d’être femme, l’accès à la profession d’avocate. Un jugement qui m’avait à la fois sidérée et choquée par son contenu, et émue pour cette femme ainsi dépossédée de son avenir.
J’ai continué de la fréquenter assidûment alors que, tout comme elle, j’étudiais à la Faculté de droit de l’Université McGill, sept décennies après qu’elle en eût été la première femme diplômée, en 1914. Dans les moments de doute, je me rendais échanger avec elle et m’inspirer de son parcours via sa photographie, qui a la place d’honneur sur la mosaïque des pionnières.
Je tentais de percer le mystère de ses yeux rieurs et déterminés, et la modestie de son sourire. Un sentiment d’inachevé m’habitait quant au destin de cette femme.
Il s’est avéré que je deviendrais bâtonnière du Barreau de Montréal en 2006, l’année du 65e anniversaire de la Loi permettant l’accession des femmes à la profession d’avocat. Ce devoir de mémoire s’imposait pour moi.
Le jugement de 1915 de la Cour supérieure rejetant la demande de Madame Langstaff d’accéder au Barreau fonde notamment son refus sur ce qui suit :
Let us for a moment picture to ourselves a woman appearing as defending or prosecuting counsel in a case of rapt and putting to the complainant the questions which must of all necessity be asked in order to make proof of the acts which are of the essence of the crime, or which are equally necessary to meet and repeal the charge.
No woman possessing the least sense of decency could possibly do so without throwing a blur upon her own dignity and without bringing into utter contempt the honor and respect due to her sex.**
Annie Macdonald Langstaff poursuit sa quête en Cour d’appel, qui, la même année, rejettera de nouveau sa demande, mais avec l’importante dissidence du juge Lavergne. Le combat pour l’admission des femmes au Barreau se transpose ensuite dans l’arène politique, en parallèle avec la question du suffrage féminin, auquel il fut intimement lié. Plusieurs femmes de renom, dont la juriste Elizabeth C. Monk et Thérèse Forget-Casgrain, via la Ligue pour les droits de la femme qu’elle présidait, furent solidaires de son combat.
Madame Langstaff continuera d’œuvrer au sein du cabinet Jacobs, Hall et Garneau, dont elle avait toujours reçu l’appui. Ce cabinet est maintenant devenu l’étude Davies, Ward, Phillips & Vineberg.
Sans jamais accéder à la profession d’avocat, elle a contribué à enrichir le droit. Ainsi, elle est l’auteure d’un des premiers dictionnaires de terminologie juridique français/anglais, édité par Wilson & Lafleur en 1937. Elle a de plus publié plusieurs articles en droit de la famille.
Madame Langstaff a en outre élevé seule sa fille, son mari ayant quitté le domicile familial. Sa fille Mary Lesla Langstaff a pris le voile, à la Congrégation des Soeurs de Sainte-Croix, et est maintenant décédée.
On retrouve, dans les archives de la Faculté de droit de l’Université McGill, un volumineux cahier patiemment colligé par sa fille, contenant tous les articles consacrés à sa mère. Ce cahier est un gage émouvant de l’affection qu’elle lui portait.
Annie Macdonald Langstaff a su brillamment s’élever au-dessus des limites terrestres qu’on lui imposait, car elle était en outre aviatrice. En 1939, elle fut l’aviatrice en chef lors du spectacle aérien présenté en l’honneur du roi George VI et de la reine Elizabeth à Montréal.
Madame Langstaff a été le porte-étendard de toutes les femmes diplômées en droit de sa génération qui, pendant près de trois décennies, ne purent accéder à la profession d’avocate.
Par un beau retournement des choses, le Québec, qui fut la dernière province à admettre des femmes à la pratique du droit, en 1941, est maintenant la juridiction en Amérique du Nord où l’on retrouve la plus grande proportion de femmes avocates, avec plus de 50%. Le pourcentage des effectifs féminins atteint 62% chez les avocats admis depuis moins de dix ans.
Il serait donc tentant d’affirmer que les obstacles auxquels Annie Langstaff a été confrontée sont maintenant choses du passé. Malheureusement, tel n’est pas encore le cas.
Si les barrières à l’accès à la profession sont maintenant levées, celles à la pleine reconnaissance et à l’ascension aux postes de pouvoir tardent à tomber. Ainsi, les femmes représentent moins de 20% des associées dans les grands cabinets et à peine 30% des effectifs de la magistrature fédérale.
Au plan salarial, les enquêtes socio-économiques que tient aux cinq ans le Barreau du Québec depuis 1981 font état de façon récurrente de disparités salariales significatives au détriment des femmes. Et ceci, sans compter les problèmes de rétention des femmes avocates, plusieurs décidant de quitter la profession. Ainsi, 65 ans après l’admission des femmes au Barreau, la quête de Madame Langstaff demeure toujours actuelle.
Née à Alexandria, en Ontario, en 1887, Annie Macdonald Langstaff est décédée à Montréal, à l’âge de 78 ans, le 29 juin 1975. Elle a incarné au premier plan le courage de mener seule un combat d’avant-garde, qui est la quintessence même du rôle de l’avocat. Les qualités que j’admire chez elle : sa capacité de rêver, sa faculté d’oser, sa détermination, tout autant que l’humilité et la force de grandir dans l’adversité.
On dit que le temple des morts est dans le coeur des vivants. Madame Langstaff, chère Annie, votre contribution demeure tangible : j’ai vu votre héritage briller dans les yeux de chaque jeune femme que j’ai assermentée à la profession d’avocat alors que j’étais bâtonnière.
*Le présent portrait est inspiré de l’allocution de l’auteure à titre de bâtonnière du Barreau de Montréal, lors de la remise de la médaille du Barreau de Montréal à titre posthume à Annie Macdonald Langstatf, le 7 septembre 2006, au Palais de Justice de Montréal, à l’occasion de la Journée du Barreau.
** Extrait du jugement, traduction de l’auteure : « Imaginons un seul instant une femme qui agirait comme avocate de la défense ou de la poursuite dans un cas de viol (rapt de séduction) et qui devrait poser à la victime les questions qui doivent nécessairement être posées afin de faire la preuve des actes qui sont de l’essence du crime, ou qui s’avèrent également nécessaires afin de répondre aux accusations et de les faire rejeter. Aucune femme possédant le moindre sens de la décence ne pourrait vraisemblablement agir de la sorte sans ternir irrémédiablement sa dignité et sans outrager complètement l’honneur et le respect dus à son sexe. »Mis en ligne sur Sisyphe, le 1 mars 2015