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Femmes et islam - Leur libération est notre libération

12 avril 2015

par Anne Vigerie, pour le CERF

En lisant l’article (1) de Christine Delphy et d’autres féministes demandant l’abrogation de la loi sur le voile de 2004, j’ai cru voir s’ouvrir une faille dans la dimension temporelle de l’univers...

« Laissons les filles tranquilles ! Laissons-les réfléchir et discuter ensemble des voies et moyens de leur propre libération », demandent-elles. Mais de qui parlent-elles ?

Il y a onze ans (2), avec Anne Zelensky, nous demandions, au nom de l’égalité des sexes, une loi d’interdiction des signes religieux sexistes à l’école.

Or il était une fois, dans une famille catholique, dont les ancêtres aussi loin que l’on puisse remonter dans l’arbre généalogique étaient tous nés dans l’Europe chrétienne, plusieurs jeunes filles tout à fait libérées, tranquilles et bonnes élèves. À quinze ans, elles avaient la pilule avec la bénédiction de maman et papa.

Aujourd’hui, deux d’entre elles se sont voilées, par leur seule propre décision. Elles vivent dans la crainte d’Allah, la peur d’aller en enfer à cause de leurs péchés passés, et mènent par ailleurs une vie des plus rangée et tranquille.

Pourquoi ? Parce qu’elles ne se sentaient pas libres mais salies. Est-on libre quand, à chaque coin de rue, un distributeur vous rappelle la norme de la soumission aux besoins sexuels pressants de la gent masculine ? L’islam seul est venu à leur rencontre, offrant un semblant de dignité, une lueur d’idéal à la hauteur des aspirations que peuvent avoir les adolescent-e-s. Lueur trompeuse, ô combien, mais seule présente.

Bienvenue dans l’Europe du temps présent. Il n’est plus temps de penser : « Leur libération et la nôtre » : aujourd’hui, leur libération est – ou ne sera pas - la nôtre.

Nous, peuples d’Europe de culture chrétienne (notamment), avons décidé de faire venir des populations de culture musulmane. Nous connaissions parfaitement, surtout par les orientalistes et arabisants français, la pensée islamique et ses divergences avec nos philosophies. Les crimes commis ces dernières années en Europe, au nom de l’islam, étaient prévisibles : ils étaient tous prévisibles ! … Mais nous n’avons pas voulu le savoir, parce que nous voulions l’arrivée de ces populations, par pure cupidité.

Alors la mauvaise nouvelle est que nous vivons aujourd’hui avec les problèmes des sociétés sous loi musulmane. Mais la bonne nouvelle est que nous sommes maintenant plus de « potes » à pouvoir y réfléchir, ensemble. En joignant nos efforts et expériences, nous avons donc plus de chances de trouver des issues constructives, valables tant ici que dans les pays de l’Organisation de la Conférence Islamique.

Dès lors, combien apparaît ironique l’appel de Delphy et de ses amies à « [les] laisser réfléchir ! », quel goût amer il laisse… Là encore, le réveil n’a visiblement pas sonné…

Car voilà des siècles que des femmes et des hommes, en terre conquise par l’islam, réfléchissent à leur libération ! Là-bas, comme ici, des juristes hommes ont tenté toutes les lectures possibles pour adoucir la loi pour les femmes, mais le texte sacré restait le texte…

« Laissez les réfléchir à leur libération ! » : mais ici on les fait taire, celles et ceux qui y réfléchissent ! Des cours de justice les condamnent pour incitation à la haine (cf le procès contre Djamila Benhabib). Des féministes les décrivent, avec des arguments du dernier machisme, comme « dissidentes incapables de nuances », critiquant abusivement l’islam lui-même « parce qu’elle a subi l’excision » (cf les propos tenus contre Ayaan Hirsi Ali en 2008). Ou bien on laisse tomber dans un silence assourdissant le livre d’un jeune palestinien « blasphémateur », qui plaide pour la libération, sa libération, celle des femmes, Waleed Al-Husseini (3). Silence encore autour des écrits de Nonie Darwish, Zohra Nedaamal ...

Nous partageons en partie, dans notre groupe, le CERF, l’amertume de Christine Delphy et ses amies. Certes, la loi de 2004 a libéré des très jeunes filles du voile : les parents musulmans ont respecté la loi et ne les ont pas pour autant retirées de l’école. Mais oui, Delphy a raison : cette loi de 2004 a fait peser la défense de l’égalité/laïcité principalement sur les femmes voilées. Oui, elles sont quelques fois agressées physiquement, alors que, curieusement, on n’a jamais entendu qu’un homme en tenue visiblement islamique l’ait jamais été…

Mais la conclusion de Christine Delphy est fausse : ce n’est pas la loi de 2004 qu’il faut abolir, c’est la liberté d’exprimer ses réflexions qu’il faut reconquérir !

En réalité, cette loi comme celle sur la burqa ont été un simulacre de lutte pour la laïcité, un prétexte pour ne pas la défendre réellement. Le voile est le symptôme, l’effet de la conception de la femme selon Mahomet, et jamais libération n’a eu lieu sans (prendre la) liberté de critiquer les normes oppressives.

La vraie laïcité, Christine Delphy a encore raison ici, exige moins la dissimulation de la religion ou de l’opinion religieuse ou politico-religieuse que la liberté absolue de réfléchir et de débattre de ces opinions-là, sans être accusé faussement de diffamation des croyant-e-s ou de haine envers eux et elles.

Or, d’étude critique sérieuse sur l’islam, publiée dans les grands médias, nos dirigeant-e-s n’en voulaient à aucun prix ! Diantre, on ne va tout de même pas se brouiller avec les États de l’OCI et la finance islamique ! Une petite loi cache-misère pour vilipender le symptôme à la rigueur...

Mais pour compenser cette hardiesse, il conviendra de faire marteler dans les grands médias que « le vrai islam » doit rester hors de toute critique. Il faudra asséner un dogme « républicain » selon lequel seul un « islamisme », une « dérive », une « interprétation fausse » de l’islam, mériterait la critique. Il faudra que toute contestation de ce dogme, aussi érudite et sérieuse fut-elle, soit stigmatisée comme relent puant du racisme le plus immonde. Nos dirigeant-e-s n’ont de cesse d’honorer et de décorer les nouveaux accusateurs et accusatrices publiques, féministes comprises, qui harcèlent celles qui osent « réfléchir à leur propre libération » en remettant en cause le verbe sacré. La loi de la cupidité encore.

Nous approuvons totalement les propos de Mimouna Hadjam (4), la présidente de l’association féministes de la Courneuve, Africa 93 : « Je ne suis pas contre les femmes voilées, je suis contre le voile, je ne suis pas contre les musulmans, je veux avoir le droit de critiquer l’islam et les autres religions, je ne suis pas contre les prostituées, je suis contre le système prostitueur ».

Que le patriarcat soit celui de Rome, de Freud ou de Mahomet, « Nous » voulons le droit de critiquer tous textes idéologiques normatifs qui portent atteinte aux droits des femmes, y compris les textes religieux.

Anne Vigerie, militante féministe du Cercle d’Étude de Réformes féministes .

Notes

1. Laissons les filles tranquilles, Le Monde, 24 mars 2015.
2. Anne Zelensky, Anne Vigerie, « Laïcardes puisque féministes », mai 2003. 
3. Marieme Helie Lucas, sociologue et coordonnatrice de Secularism Is A Women’s Issue, « ’Blasphémateur ! Les prisons d’Allah’ ou la critique de l’islam en pays musulman », Sisyphe, le 14 janvier 2015.
4. Mimouna Hadjam, L’islamisme contre les femmes partout dans le monde, Sisyphe, octobre 2004.

Mis en ligne sur Sisyphe, le 3 avril 2015

Anne Vigerie, pour le CERF


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