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"Insectuel - Le secret du papillon noir", de Barbara Sala

7 mai 2015

par Élaine Audet

J’ai découvert la peintre Barbara Sala, il y a une douzaine d’années, au Musée d’Art Naïf de Magog au Québec qui expose en permanence plusieurs de ses oeuvres. Éblouie par les couleurs et la merveilleuse fantaisie chaghalienne de cette artiste, j’ai décidé de la rencontrer. Entre-temps, elle publiait le conte Célestine et le géranium magique, avec ses propres illustrations, dont j’ai écrit tout le bien que j’en pensais (1). Dès notre première rencontre, cette femme très intense m’a parlé de son journal de psychothérapie, entrepris une vingtaine d’années plus tôt. Une sorte de course à obstacles, de descente dans l’enfer de l’inceste, oubli enfoui profondément dans sa conscience depuis son enfance en Allemagne durant la Deuxième Guerre mondiale.

En 2015, Insectuel - Le secret du papillon noir (INSECTUAL - The Secret of the Black Butterfly) paraît, malheureusement en anglais seulement, avec 75 dessins de l’auteure. Extrêmement bien écrit, ce parcours passionné dans le tunnel étroit et obstrué de la mémoire oscille entre la quête spirituelle et le polar psychologique.

La vie de son héroïne, Maya, est tout sauf banale. De l’Allemagne nazie aux luttes fratricides de l’ex-Congo belge où elle travaille en 1960 pour les Nations Unies, jusqu’à son arrivée à Montréal en 1974, elle vit une aventure perpétuelle, se marie à un "bel Italien" avec qui elle a un garçon et une fille. Tout autant que pour un thriller, je m’en voudrais de révéler les péripéties de cette difficile remontée du temps, l’auteure nous gardant en haleine jusqu’au dénouement.

Toutes les personnes intéressées à la psychothérapie apprendront énormément, tant des bienfaits que des risques, de confier les rênes de leur vie à un autre être, fut-il membre de l’ordre des psychiatres, et de défier les secrets douloureux de l’inconscient. Dans une langue fluide, colorée, aux accents toujours authentiques, Barbara Sala sait nous entraîner avec elle dans cette lutte pour la reconquête de la sexualité de son héroïne et de son autonomie personnelle. Une véritable cure de vérité sera le moyen qui s’imposera à elle durant 30 ans. Son engagement grandissant dans l’écriture et l’art, parallèlement à la thérapie, favorisera la reprise en main de son indépendance, souvent mise de côté au nom de l’harmonie familiale et de la sauvegarde du couple.

Les moyens de vaincre son "démon"

Le parcours de cette septuagénaire, au courage plusieurs fois démontré, fait douloureusement ressortir la profondeur des blessures laissées par l’inceste, ce pouvoir patriarcal absolu sur l’enfance, voire l’impossibilité de s’en affranchir totalement.

La culpabilité incrustée chez Maya, et, paradoxalement, la peur d’être rejetée, abandonnée, la poussent inconsciemment dans l’impasse de la séduction, avec le pouvoir illusoire que celle-ci semble lui conférer momentanément sur les hommes. Une séduction que son prédateur lui a déjà imposée cyniquement durant son adolescence, au nom de l’amour (sic).

On apprend ainsi qu’entre "insecte" et "inceste", un "s" et un "c" déplacés illustrent tragiquement la trame cachée d’une vie. "J’ai toujours cherché à trouver le chaînon manquant, qui signifierait peut-être me délivrer de mon ’démon’." (p. 70) Ce démon insaisissable, ce "papillon noir" nommé dans le titre d’un chapitre "Sa majesté le phallus" ! (p. 174)

Dans le cheminement psychologique ardu de l’héroïne de Barbara Sala, l’écriture d’un journal joue un rôle primordial. Elle écrit : "Je veux que mon journal représente la vérité absolue, je veux y consigner aussi fidèlement que possible tout ce qui a été dit, même si c’est honteux, gênant, inavouable." (p.152) C’est en restant fidèle à ce principe et en laissant libre cours à sa créativité (peinture et piano) qu’elle arrivera à atteindre un autre niveau de conscience permettant tous les espoirs.

Née en 1937 à Darmstadt, en Allemagne, Barbara Sala grandit dans les Alpes bavaroises. En 1974, elle émigre au Canada et s’installe à Montréal, après avoir vécu en Suisse, en Angleterre, en Thaïlande, au Congo, en République dominicaine et en Guyane. Depuis 1987, elle a participé à plus de 50 expositions de groupe et dix en solo au Québec, aux États-Unis, en France, en Suisse et en Tunisie. Son travail lui a valu trois prix au Québec.

1. Élaine Audet, "Place au conte : Célestine et le géranium magique", Sisyphe, 21 décembre 2009.

Barbara Sala, Insectual - The Secret of the Black Butterfly, BookLocker, 2015.

On peut se procurer le livre ici.

Site de Barbara Sala.

Mis en ligne sur Sisyphe, le 12 avril 2015

Élaine Audet


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