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Angleterre
Quand l’État livre mères et enfants aux agresseurs
Au nom des droits des pères et "pour le bien des enfants"

13 novembre 2003

par Lorraine Radford, Marianne Hester, Julie Humphries, Kandy-Sue Woodfield

Lorraine Radford, Département de la sociologie et des politiques sociales, Roehampton Institute, Londres, R.-U.

Marianne Hester, School for Policy Studies, Université de Bristol, R.-U.

Julie Humphries, Département de sociologie, St. Mary’s College, Twickenham, R.-U.

Kandy-Sue Woodfield, Faculté de droit, Université du Sussex, Brighton, R.-U.

(Première publication : Women’s Studies International Forum, 20(4), pp. 471-482, 1997. Traduction : Hélène Palma et Martin Dufresne.)



Résumé

Le présent article prend pour point de départ les résultats d’une recherche de type qualitatif portant sur les dispositions de contact des enfants avec le parent non résidant à la suite de séparations dues à de la violence conjugale infligée aux femmes. Nous examinons l’évolution récente des lois en réaction au problème de la violence conjugale en Angleterre, en faisant apparaître des contradictions entre le droit pénal et le droit familial, notamment en ce qui concerne les enfants. Dans le champ du droit pénal, les intervenant-e-s ont cherché à résoudre le problème de la " décriminalisation " de facto des agressions et à assurer aux victimes de meilleures mesures de protection. Dans le champ du droit familial, certains changements de processus et de fond ont aggravé les difficultés qu’éprouvent femmes et enfants à se libérer de l’emprise d’hommes violents. Une présomption favorable aux contacts enfants-parents et un nouvel enthousiasme pour des accords conclus " pour le bien des enfants " dans un contexte de médiation ou de conciliation ajoutent le poids de l’appareil judiciaire aux violences que vivent les femmes et les enfants, tout en les exposant à des risques intolérables. Dans le présent article, nous procédons à un examen critique de la valeur réelle des contacts avec le père dans le cas des enfants qui ont vécu la violence conjugale au foyer et nous explorons brièvement les efforts faits dans d’autres juridictions pour accroître la sécurité des femmes et le mieux-être des enfants. © Elsevier Science Ltd.

Les politiques mises en œuvre pour contrer la violence conjugale ont été étudiées de près au Royaume-Uni durant la dernière décennie, en suscitant beaucoup d’inquiétudes, de débats publics et d’activité. La plupart de ces activités ont eu lieu dans les secteurs du droit pénal et de l’intervention policière, pour les amener à reconnaître et à traiter la violence conjugale comme un délit grave. On s’est moins intéressé aux incidences du droit familial, notamment en ce qui concerne les enfants, et ce même si des changements législatifs récents ont accru les risques d’une perpétuation de la violence infligée aux femmes, soit directement, soit par le biais d’un recours abusif aux lois. Le présent article, fondé sur les résultats d’une recherche récente, examine le traitement juridique de la violence conjugale en Angleterre, notamment dans le contexte des dispositions de contacts avec les enfants après une séparation ou un divorce.

Le droit et les politiques britanniques de la famille, plus particulièrement depuis l’adoption du Children Act 1989 (Loi sur les enfants de 1989), ont eu pour effet de contrer la politique plus " interventionniste " qu’adoptait depuis peu le droit pénal en matière de violence conjugale, en minimisant l’importance de cette violence. Une foule de modifications du droit familial, certaines de longue date et d’autres toutes récentes, ont cherché à réduire l’importance de la conduite des parents pour recentrer l’attention sur l’intérêt et le bien des enfants. Le discours sur le bien des enfants dans le droit familial a, en fait, servi de " courroie de transmission " aux droits revendiqués par les pères. Le bien-être des enfants en est venu à être fondamentalement associé à une continuité de contacts avec le père, portée au rang de présomption et régie par des " accords à l’amiable " entre le père et la mère, plutôt que par une procédure judiciaire. On exige des parents qu’ils ne considèrent que l’avenir, en " tournant la page " sur tout comportement ou grief, assimilé au " passé ". Les besoins de l’enfant sont tenus pour distincts de ceux de sa mère, même si celle-ci demeure, dans la plupart des cas, le principal pourvoyeur de soins. Ainsi, les mères qui, au moment des décisions sur les contacts père-enfants, font valoir la nécessité de se protéger contre de nouvelles agressions, courent le risque d’être considérées comme égoïstes, obstructionnistes ou hostiles au père en tant que parent et donc à l’intérêt de leurs enfants.

Quant à la responsabilité de tout préjudice causé aux enfants mis en contact avec un homme violent, elle est reportée sur la mère. Loin d’être analysées à la lumière de la violence persistante qui en est la source, sa crainte du père est invariablement considérée comme la principale source du préjudice causé aux enfants et le principal facteur qui entrave la poursuite des contacts. On laisse également à la mère —et souvent aux enfants— la responsabilité de continuer à gérer la violence de l’homme après la séparation. Sous prétexte d’encourager la responsabilité parentale, le gouvernement actuel a adopté une politique non interventionniste qui " autorise " les parents à organiser entre eux les dispositions de contacts parentaux en limitant au minimum l’intervention d’organismes sociaux. L’État prend pour acquis que les deux parents sont les meilleurs garants du bien-être de leurs enfants. Pour ce qui est des contacts, les parents sont censés résoudre autant que possible les problèmes à eux seuls, et on observe un manque flagrant de soutien et de recours concrets pour sécuriser ces contacts. La sécurité des femmes est ainsi bradée contre (un souci bien rhétorique pour) le bien des enfants. Il est évident que cette situation est inacceptable.

La violence conjugale est un crime commis surtout à l’égard des femmes, mais c’est aussi un crime qui a des répercussions marquées sur les enfants. Si le bien des enfants doit demeurer la priorité du droit familial, il est nécessaire de réévaluer soigneusement la valeur des contacts des enfants avec des hommes violents.

Contexte politique : la violence conjugale est un crime mais...

Au début des années 1970, des événements survenus au Royaume-Uni ont offert un catalyseur à de nouveaux mouvements de mise sur pied de refuges et de maisons d’hébergement dans bon nombre de pays (Dobash et Dobash, 1992). Toutefois, la réponse du gouvernement au problème de la violence conjugale a été peu efficace au R.-U., à la traîne face aux mesures adoptées par les gouvernements américain, australien, canadien et néo-zélandais. Les politiques du R.-U. en matière de violence conjugale ont été parcellaires, mal coordonnées et sous-financées. Au milieu des années 1980, une recherche consacrée à l’intervention policière dans la région urbaine de Londres a révélé une réticence à appliquer la loi en matière de violence contre les femmes. On a plutôt observé une tendance à la " décriminalisation " de facto de ces agressions (Edwards, 1989). A la suite de cette étude et d’autres travaux entrepris par des féministes dans l’Ouest du Yorkshire (Hanmer, 1989), il y a eu des changements marqués des attitudes et des politiques policières dans ce dossier : le soutien offert aux victimes s’est fait plus actif, mais l’intervention judiciaire ,encore plus rare. Au sommet de la pyramide hiérarchique, c’est-à-dire au Ministère de l’Intérieur - responsable du maintien de l’ordre public et devenu aujourd’hui maître d’œuvre du dossier de la violence conjugale - on s’est radicalement orienté vers la reconnaissance de la violence conjugale comme un délit contre lequel ont compétence pour agir toute une série d’instances officielles et associatives.

L’institut officiel de la statistique qui recense les crimes commis en Grande-Bretagne (The British Crime Survey), qui avait été longtemps critiqué par les féministes pour son incapacité à chiffrer précisément la violence infligée aux femmes par des hommes qu’elles connaissent (Hanmer & Saunders, 1985), publie aujourd’hui des chiffres permettant de repérer l’incidence de la violence conjugale chez la population étudiée. Les données les plus récentes indiquent que près de la moitié (46%) des incidents de violence infligée aux femmes en 1991 se sont produits en contexte conjugal (Mirlees-Black, 1995).

La publication de l’ordonnance de police 60/1990 du Ministère de l’Intérieur a constitué une étape importante dans la lutte contre la " décriminalisation " de facto de la violence conjugale. Le Ministère y recommandait que " tous les agents de police enquêtant sur des incidents de violence conjugale masculine considèrent la protection de la victime et l’appréhension de l’agresseur comme leur priorité absolue ". La circulaire enjoignait aux agents de police de consigner précisément les incidents de violence conjugale, de faire respecter le droit pénal et d’offrir aux victimes un traitement plus compatissant et un soutien plus réaliste. Dès le milieu des années 1980, on a mis sur pied un peu partout au Royaume-Uni des unités spéciales de police formées à l’intervention contre la violence conjugale, les " domestic violence units " (DVU), qui regroupent souvent des agents de police affectés spécifiquement à ce dossier, qui ne portent pas d’uniforme et dont bon nombre sont des femmes. Ces unités existent sur la base de leur " expertise en matière de violence conjugale " (Home Affairs Committee, 1993, p. xi), avec le mandat de dispenser conseils et formations à la force policière en matière de violence conjugale. Toutefois, les membres des DVU ne se rendent pas sur les lieux des agressions et ne mènent pas d’enquêtes criminelles. En fait, la plupart d’entre elles s’en tiennent à des horaires de bureaux, de 9 h à 17 h, et ne travaillent qu’en semaine. Elles ne sont donc pas disponibles aux moments où les femmes risquent le plus de requérir une aide d’urgence. Toutefois, bon nombre de ces policières endossent habituellement la responsabilité de donner suite à des appels téléphoniques, de veiller au suivi des plaintes et de vérifier que les victimes reçoivent des renseignements opportuns au sujet des services disponibles et sont dirigées vers des sources de soutien ou de conseils.

En quelques endroits du pays, la police, et particulièrement les DVU, ont aidé des centres d’hébergement pour femmes à élaborer des méthodes de concertation et de liaison avec les autorités locales, afin de répondre en priorité aux besoins des femmes, en termes de sécurité et de soutien pratique. Alors que dans les années 1980, les militantes des centres d’hébergement britanniques (dont l’une des auteures du présent article) avaient peine à intéresser les instances locales à ce dossier, dans les années 1990, la plupart des travailleuses de première ligne ont vu proliférer - et contribué à organiser - un nombre phénoménal de conférences destinées à informer les policiers et d’autres praticiens des enjeux de la violence conjugale.

En février 1993, une instance de la Chambre des communes britannique, le Home Affairs Select Committee, a publié un rapport sur la violence conjugale, dont plusieurs recommandations visaient à améliorer l’intervention de l’État en la matière. La même année, le gouvernement a mis en place des groupes de travail interministériels sur la violence conjugale, chargés de faire mettre en œuvre certaines de ces recommandations et de promouvoir une intervention concertée aux échelons national et local. Une circulaire diffusée récemment dans le réseau des services gouvernementaux définit maintenant la politique gouvernementale dans ce dossier et les responsabilités des principaux intervenants. Cette circulaire entend faire progresser le travail de concertation entre les différentes instances ; une collaboration qui, bien qu’en net développement au pays, n’en est encore qu’à ses débuts. Sans en faire une obligation, cette consigne favorise activement une concertation inter-organismes au nom des objectifs suivants :

 " encourager les personnes qui subissent de la violence à se manifester et à tenter de résoudre leur situation au moyen de l’aide disponible " ;
 répondre aux besoins des enfants ;
 offrir un hébergement sécuritaire et des services de soutien, en situation d’urgence et à plus long terme ;
 assurer aux personnes une protection juridique efficace, tant au plan civil que pénal ;
 traduire les agresseurs en justice et les aider à comprendre et à résoudre les raisons de leur comportement de façon à mettre fin à la violence ;
 prévenir la violence conjugale par un travail d’éducation et par des initiatives communautaires (Home Office, 1995, p. 9).

On dénombre actuellement quelque 150 initiatives de concertation inter-organismes au Royaume-Uni, mais les habitudes de travail, les résultats obtenus et les ressources disponibles varient beaucoup d’une région à l’autre (Hague, Malos, & Deer, 1995 ; Home Office, 1995). Très peu de ces initiatives abordent les problèmes que vivent les femmes dans le contexte des contacts enfants-parents, et ce malgré l’objectif clairement énoncé par le gouvernement de " répondre aux besoins des enfants affectés par la violence conjugale " (Home Office, 1995, p. 9).

…. mais personne n’est en tort

La partie du droit familial touchant les contacts enfants-parents ne tient aucunement compte du problème de la violence conjugale. Le droit familial anglais prend pour acquis que les parents sont des gens responsables qui privilégient d’abord l’intérêt de leurs enfants. Cette présomption est même illustrée par un changement récent du texte de la loi, où l’on ne parle plus de droits parentaux mis de " responsabilités ". On présume que les parents responsables mettent de côté les problèmes de conduite, y compris la violence conjugale, pour tenir compte des besoins de leurs enfants au moment de la séparation. Mais l’intérêt des enfants est en fait mis à mal par ce refus d’appuyer la mère et de tenir tête au comportement violent de certains pères.

Jusqu’aux récentes modifications législatives, la loi permettait aux tribunaux d’émettre des ordonnances de garde exclusive ou partagée et de droits de visite des enfants. Les mères obtenaient le plus souvent une garde exclusive, tandis que les pères étaient en position de parent visité, généralement les week-ends et quelques heures après l’école pendant la semaine. La nouvelle loi définit différemment les relations post-séparation. S’ils s’étaient mariés, les parents conservent tous deux la " responsabilité parentale " des enfants après la rupture. Le Children Act 1989 a aboli les notions de garde et de droit de visite pour les enfants de couples divorcés, en remplaçant ces termes par le concept de " responsabilité parentale ". Les deux parents (mariés) sont qualifiés de responsables de leurs enfants pendant leur relation et cette responsabilité perdure au-delà du divorce. Étayée par certaines modifications de procédure, cette réforme, signifie, en pratique, que l’on ne procède plus automatiquement à une audience pour décider des dispositions de résidence et de visite de l’enfant. Dans la plupart des cas, on se borne à vérifier si les ententes conclues par les parents au sujet des enfants lors de la séparation sont satisfaisantes. Ce n’est que lorsque cela s’avère nécessaire et conforme à l’intérêt de l’enfant qu’un parent peut demander au tribunal une ordonnance en vertu de l’article 8 du Children Act pour faire déterminer les modalités de contacts et de résidence de l’enfant, ainsi que les autres points qui pourraient faire l’objet de litiges. (...)

Ce texte n’est qu’un extrait.

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Lorraine Radford, Marianne Hester, Julie Humphries, Kandy-Sue Woodfield

P.S.

Mis en ligne sur Sisyphe le 4 juin 2003

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