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Amnistie internationale invitée à entendre les femmes au coeur de la prostitution

30 août 2015

par la CLES, le CATHII, le RQCALACS, la CSN

Réactions à la décision d’Amnistie internationale

Montréal, le 26 août 2015 - La Concertation des luttes contre l’exploitation sexuelle et les signataires ci-dessous sont outrés de la décision du Conseil International d’Amnistie internationale (AI) de défendre la décriminalisation totale de la prostitution auprès des États, au nom de la pleine jouissance des droits humains des personnes prostituées et, de ce fait, nous invitons AI à entendre la parole de celles qui sont au cœur de la prostitution, les femmes.

Il est tout à fait incompréhensible qu’un organisme tel qu’Amnistie fasse preuve d’autant d’incohérence dans son argumentaire et veuille faire croire à la population, et en particulier aux femmes, que protéger les droits des femmes revient à donner plus de possibilités à l’industrie du sexe de croître et d’exploiter plus de femmes !! Loin d’assurer un meilleur exercice de leurs droits, nous croyons que cette nouvelle politique met plutôt en danger la vie des femmes et porte atteinte à leur droit à la liberté et à la sécurité.

Nous avons lancé, au cours de la dernière année, une recherche dont les résultats démontrent sans contredit que les femmes aux prises avec la prostitution, et qui cherchent à en sortir, ignorent qu’elles peuvent demander de l’aide pour sortir de la prostitution et, surtout, à qui elles peuvent s’adresser pour le faire (81% des participantes).

De plus, la très grande majorité des participantes qui avaient quitté le milieu, au moment des entrevues, l’ont fait sans soutien et au prix de plusieurs sacrifices et impacts sur leur santé physique et mentale ainsi que sur leurs conditions de vie incluant leur vie sociale. Parfois, elles l’ont fait dans la peur pour elles-mêmes et leur famille (32,2%).

Dans notre recherche (1), quarante-cinq pourcent (45%) des femmes étaient toujours dans la prostitution sous une forme ou une autre au moment des entrevues ; 81% souhaitaient en sortir dans l’immédiat et ne savaient pas à qui s’adresser pour le faire, et ce, même lorsqu’elles fréquentaient déjà des organismes communautaires, ou ne croyaient pas en valoir la peine. Il faut aussi noter que 81% des participantes (peu importe qu’elles soient toujours prostituées ou sorties de la prostitution) ne connaissaient aucun organisme pour les aider dans la sortie ou l’après-sortie.

La grande majorité ne soutenait pas la décriminalisation totale d’une industrie qu’elles reconnaissaient, par ailleurs, comme étant un piège dans lequel elles avaient été attirées, généralement par une combinaison de différents facteurs : leur situation de pauvreté, le racisme et le sexisme systémiques ou des promesses d’une vie meilleure, d’un « amour » salvateur, etc. En d’autres mots, leurs paroles déconstruisaient le mythe de la prostitution choisie.

Quelle n’est pas notre surprise de constater que ce mythe, propagé par un lobby fort bien nanti et soutenu par divers milieux, a alimenté la décision d’Amnistie Internationale.

Nous reconnaissons que la résolution d’AI cible bien l’importance de lutter contre la pauvreté afin de prévenir l’entrée dans la prostitution. Nous pourrions ajouter qu’il est surtout urgent de lutter contre la pauvreté spécifique des femmes et d’y lier la lutte contre la violence physique, psychologique et sexuelle qu’elles subissent aux mains des hommes. Ces réalités sont bien souvent indissociables pour les femmes, l’une pouvant mener à l’autre, alimentant leur vulnérabilité partout sur la planète. Il importe également d’offrir des solutions alternatives à celles qui sont aujourd’hui dans la prostitution ou qui ont réussi à en sortir et subissent toujours les contrecoups de ce vécu dans leur chair et dans leur quotidien.

Amnistie condamne la traite à des fins d’exploitation sexuelle, l’exploitation sexuelle des jeunes de moins de 18 ans, mais affirme d’un même souffle vouloir demander aux États de décriminaliser l’industrie de la prostitution (soit les clients et les proxénètes, les propriétaires de lieux d’exploitation sexuelle et tout autre intermédiaire profitant de la vente des services sexuels d’autrui) afin de tenir compte du "choix" des femmes ou des hommes prostituéEs d’être dans cette industrie. La capacité des personnes prostituées, tout particulièrement des femmes qui sont majoritaires dans la prostitution, de défendre leurs droits humains est sérieusement handicapée par le mythe du choix.

Plusieurs femmes que nous côtoyons au quotidien, fréquentant notre organisme et participant au travail que nous faisons, affirment être hantées par cette question de choix et se voient comme étant responsables de la situation dans laquelle elles se retrouvent. Plusieurs d’entre elles ne sont pas entrées dans la prostitution à cause d’un proxénète bien que plusieurs aient abouti dans le filet de telles personnes à un moment ou à un autre. Cette question de "choix", qui renvoie aussi à la notion de "consentement" et responsabilise les femmes pour leur situation de vie, fait en sorte que bien souvent elles ne font pas le pas pour aller chercher de l’aide et, lorsqu’elles le font, c’est un acte de courage immense.

La décision d’AI a été reçue par les femmes dans la prostitution (ou les survivantes) comme une bien mauvaise surprise, étant donné qu’AI affirme avoir consulté les groupes de femmes dans la prostitution, et comme une négation de leurs droits humains et leur droit fondamental de ne pas être prostituées.

La nouvelle loi canadienne visant à criminaliser l’achat de services sexuels et la vente des services sexuels d’autrui leur avait donné du courage en s’attaquant à la demande et non à ce qu’elles ont bien pu faire pour se retrouver dans la prostitution. Nous croyons qu’en décriminalisant les personnes prostituées elles-mêmes et en intensifiant notre lutte contre les inégalités sociales, économiques, culturelles et politiques, nous pouvons, comme société, donner de l’espoir aux femmes et reconnaître leur droit à l’égalité.

Tout comme la ministre de la Condition féminine de la Suède a fait, en invitant Amnistie internationale à venir constater sur place l’impact de la loi suédoise criminalisant l’achat d’actes sexuels, nous invitons Amnistie internationale, section Québec, à venir rencontrer les survivantes de la prostitution avec qui nous travaillons et à entendre leur parole. Nous leur demandons également de n‘intervenir d’aucune façon pour invalider la nouvelle loi, sauf pour demander qu’aucune personne prostituée ne puisse être criminalisée pour son exploitation. Les femmes veulent plus que la prostitution et les femmes dans la prostitution ont besoin que l’on reconnaisse que la prostitution, et l’industrie qui s’y est greffée, sont incompatibles avec une société de droits.

. Concertation des luttes contre l’exploitation sexuelle (CLES)
. Comité d’action contre la traite humaine interne et internationale (CATHII)
. Regroupement québécois des centres d’aide et de lutte contre les agressions à caractère sexuel (RQCALACS)
. Calacs de Granby, Calacs à Tire d’aile, Calas de l’Outaouais, Calacs de Châteauguay, Calacs Agression Estrie, Calacs Entre Elles, Lac St-Jean, Calacs Abitibi, Calacs La Pointe du jour de Sept-Iles, Calacs la Chrysalide de Terrebonne, Calacs La Vigie de Valleyfield, la Maison de Marthe, le Collectif d’aide aux femmes exploitées sexuellement, le Gîte l’Autre Porte de Val d’Or.
. La CSN.

CLES : 514-750-4535 - Cellulaire médias : 514-692-4762
Site.

Note

1. Pour cette recherche intitulée Connaître les besoins des femmes qui ont un vécu dans l’industrie du sexe pour mieux baliser les services, nous avons pu interviewer 109 femmes réparties dans six villes québécoises ayant été ou étant toujours dans l’industrie du sexe. Cette recherche est disponible en ligne sur le site de la CLES.

Mis en ligne sur Sisyphe, le 30 août 2015

la CLES, le CATHII, le RQCALACS, la CSN


Source - http://sisyphe.org/article.php3?id_article=5137 -