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Le féminisme, chèvre émissaire !
On attaque le féminisme

29 juin 2003

par Florence Montreynaud, historienne et écrivaine

En France, bombardement médiatique : de nouveau, des micros se tendent vers des femmes connues qui hier défendaient le droit de se prostituer comme l’un des droits des femmes. Aujourd’hui, les voilà qui repartent à l’attaque contre « les féministes » considérées en bloc, sans nuances, comme si une pensée unique inspirait ce mouvement.

Elles amalgament, elles déforment, elles fabulent et surtout elles parlent de ce qu’elles connaissent mal. Ayant acquis une compétence dans un autre domaine, elles portent des jugements définitifs sur les féministes, sans recherches approfondies ni raisonnements rigoureux. Ainsi, elles reprochent aux féministes françaises un prétendu « maternalisme » (priorité donnée à la dimension maternelle des femmes), alors que cette tendance a toujours été très minoritaire. Reprenant des lieux communs erronés, elles agitent l’épouvantail du féminisme des États-Unis dont l’influence nuirait aux si bonnes relations entre hommes et femmes en France, mais elles ne citent que des auteures radicales alors que la réalité est plus diverse.

Comme tout mouvement social international, le féminisme n’est pas réductible à quelques formules. Il est riche d’une histoire, de courants de pensée, de modes d’expression et de pratiques qui diffèrent selon les pays et les époques. Comme le rôle historique des féministes est occulté, comme il n’est enseigné ni à l’école ni à l’université, on ignore généralement que les sociétés occidentales doivent à ce mouvement des étapes décisives de leur modernisation. Qui sait que le droit de vote des Françaises en 1944, ou celui des Suissesses en 1971, ont été obtenus après des décennies de travail et des dizaines de manifestations de rue ? Beaucoup de ceux qui méconnaissent les féministes du passé diabolisent celles du présent : aux États-Unis, certains les appellent « féminazis » ; en France, on se plaît à dénoncer de prétendus « excès » féministes sans pouvoir en citer un seul exemple concret et vérifié.

De plus en plus de personnes s’indignent de violences sexuelles ou de discriminations sexistes, d’excisions, d’attaques à l’acide ou de mariages forcés. Pourtant, qui connaît les actions menées depuis des décennies par des groupes féministes, sans relais médiatique, pour faire prendre conscience à l’opinion de ces horreurs ou de ces injustices, et pour y remédier dans la mesure de leurs moyens, souvent faibles ? Que sait-on de l’activité rassembleuse du Collectif national pour les droits des femmes, de ses prises de position, des manifestations ou des colloques qu’il a organisés ? Que sait-on de l’énorme travail, en grande partie bénévole, accompli par de nombreuses associations, comme le Planning familial ou le Collectif féministe contre le viol ? Combien de médias ont-ils informé sur la Marche mondiale des femmes contre les violences et la pauvreté, avec les millions de femmes qui ont marché en 2000 dans le monde, et les 15 000 qui ont défilé à Paris en juin 2000 ?

Bien que les livres pour enfants ou la publicité persistent encore trop souvent à reproduire des clichés sexistes, les mentalités évoluent, et c’est en grande partie grâce aux féministes : qui trouve normal que, en 2003, malgré la loi sur la parité, l’Assemblée nationale française soit à 88 % masculine ? Néanmoins, on ne se révolte pas assez contre d’autres inégalités : malgré les lois sur l’égalité professionnelle, les hommes gagnent 20 % de plus que les femmes, en moyenne, pour un travail équivalent, et ils n’assurent que 20 % des tâches ménagères et des soins aux personnes dépendantes.

Depuis deux siècles, au nom de leur idéal féministe, des femmes et aussi des hommes demandent la justice, le respect et l’égalité. De manière non-violente, patiente et persévérante, elles et ils veulent obtenir que femmes et hommes soient égaux, en dignité et en droits, et que ces droits soient appliqués. Elles et ils rêvent d’un monde sans prostitution, d’un monde où la sexualité sera au service de l’amour, et non de la haine. On respecte les antiracistes ou d’autres personnes engagées pour un monde plus juste, avec Médecins sans frontières ou avec Amnesty international ; au contraire, on se moque des féministes, on les calomnie, on les méprise. Parce qu’elles et ils mettent en question l’ordre établi sexiste, les féministes dérangent. Certains machistes les haïssent, d’une haine parfois meurtrière.

Aux États-Unis, des médecins ayant pratiqué des avortements légaux ont été assassinés parce que le droit d’avorter, l’une des clefs de la liberté des femmes, n’est pas encore admis par tous. Le 6 décembre 1989, à l’École Polytechnique de Montréal, un homme a massacré quatorze femmes en criant : « Je hais les féministes ».

« Le féminisme n’a jamais tué personne, mais le machisme tue tous les jours », rappelle l’écrivaine et féministe Benoîte Groult. Oui, le machisme tue, et il continue à tuer. Il blesse, il viole, il meurtrit, il détruit, il ravage. Voilà que des femmes connues apportent publiquement des munitions à sa violence. En attaquant les féministes, elles se trompent d’adversaire.

Florence Montreynaud, féministe et fière de l’être, 5 mai 2003
Ce texte est paru dans l’Humanité du 29 mai 2003.

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Florence Montreynaud, historienne et écrivaine

P.S.

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