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L’Arabie saoudite à la tête d’un panel du Conseil des Droits de l’Homme à l’ONU - Sommes-nous gouvernés par des pleutres ?

3 octobre 2015

par Carol Mann, chercheure en sociologie et directrice de l’association ‘Women in War’ à Paris

Il y a une semaine circulait la rumeur suivie d’articles, y compris dans un site destiné à repertorier les actions de l’ONU selon lesquels à partir du lundi 21 septembre, l’ambassadeur de l’Arabie saoudite à Genève Faisal Bin Hassan Trad avait été choisi pour présider le panel du Conseil des Droits de l’Homme. J’ai immédiatement réagi en publiant un blog dans Mediapart (1).

Quelques jours plus tard, de nouvelles informations ont révélé que l’Arabie saoudite n’est pas à la tête de toute la section des Droits de l’Homme aux Nations Unies, mais dirige le panel qui propose des décideurs en matière de droits humains. En bref, l’Arabie saoudite devient l’arbitre pour décider des valeurs éthiques pouvant cautionner la présence de telle ou telle personne siégeant dans un comité à l’ONU. Les experts recommandés par l’Arabie saoudite seraient tenus de se prononcer sur toute la gamme des abus, y compris la violence contre les femmes, l’orientation sexuelle, les choix religieux, politiques, en bref tout ce que ce pays réprime systématiquement avec une barbarie unique parmi les États reconnus.

Certains sites axés sur l’obsession complotiste ont immédiatement crié au ’Hoax’, à l’intox. Ils ont été beaucoup plus véhéments que les médias qui ont fait preuve de mollesse, pour ne pas dire d’auto-censure délétère. Cette nouvelle, qui aurait dû faire les manchettes de la presse internationale, a été passée sous un relatif silence dans les médias les plus importants, dont Le Monde, Libération, le New York Time, The Guardian, Washington Post et d’autres qui auraient pu l’évoquer alors que cette décision était en train d’être prise en haut lieu. Les médias russes (2) et israéliens (3), ainsi que l’Independent en Grande-Bretagne en ont fait état.

Force est de convenir que l’Arabie saoudite est un des grands clients de la France, des États-Unis et des marchands de canons et des constructeurs d’infrastructures. Les pétrodollars achètent-ils donc même un certificat de bonne conduite et de probité démocratique ? Sommes-nous gouvernés par des pleutres d’une lâcheté sans égale ? Certes, jadis, Hitler fut écouté poliment par Daladier et Chamberlain (4) avec les résultats que l’on sait. Retour à la case Munich ou pire encore ? Et que dire de nos médias qui fanfaronnent leur indépendance ? Où en sommes-nous quand la ’Une’ du ’Monde’ du week-end dernier, en pleine débâcle planétaire, titrait sur le retour de la dictée à l’école primaire…

Comment expliquer une décision qui devrait tenir du canular ?

Cette information constitue tout de même un véritable cataclysme. L’Arabie saoudite détient le record le plus déplorable concernant les droits humains sur la planète. Se basant sur la Charia la plus orthodoxe, les châtiments prévus sont à peu près identiques à ceux administrés par Daesh (l’EI), l’organisation terroriste que l’Arabie saoudite serait, en principe, en train de lutter, alors que tout indiquerait le contraire (5).

Entre autres, du côté Daesh comme en Arabie saoudite, sont considérés comme des crimes punissables de mort des droits humains quasiment universels garantis par la législation internationale : le blasphème, l’homosexualité (peine capitale), la consommation d’alcool, la diffamation (ce qui comprend l’opposition, voir le sort réservé au blogueur Raaf Badawi (6) menacé de 1 000 coups de fouet), l’adultère étant compris comme un acte sexuel entre adultes consentants et mariés (lapidation), l’adultère dite pour célibataire, soit toute activité sexuelle hors mariage (100 coups de fouet). Le vol est puni d’amputation des pieds et des mains, l’assassinat par décapitation ou la crucifixion (ce qui attend le malheureux Ali Al Nimr (7), accusé d’avoir participé à une manifestation et, surtout, coupable d’être le fils d’un opposant au régime).

Ce n’est pas tout. Choisir l’Arabie saoudite comme arbitre des droits humains signifie aussi l’adhésion à ses choix géostratégiques. Allié désormais au Hamas et aux Frères Musulmans (les ennemis d’antan) depuis l’accord du nucléaire signé entre l’Iran et les puissances saoudiennes, l’Arabie saoudite tiendra sans doute à attirer tous ses alliés et les autres membres de l’UN dans sa bataille quasi cosmique contre les Chiites, soit l’Iran et ses alliés. Vient ensuite l’appui aux dictatures au Moyen-Orient, entre autres, le Général Al-Sissi en Égypte et Recep Erdogan en Turquie. Pour ne prendre que ce dernier, cette alliance comprend le soutien à sa guerre sans merci contre l’opposition sous toutes ses formes, principalement le HDP, les Kurdes et le Rojava. En bref, le coup de grâce aux derniers vestiges d’un idéal de démocratie en voie de disparition, tout comme Palmyre et tout ce qui a pu représenter la civilisation dans cette partie du monde. La non-intervention de l’Occident pour le sauvetage de Palmyre prend tout son sens.

En bref, la présence de l’Arabie saoudite, qui a contresigné la Déclaration des Droits de l’Homme en Islam, valide l’application de la Charia et accorde un blanc-seing à tous les gouvernements qui agissent en conformité avec le droit saoudien. Ce n’est pas Monsieur Trad qui viendra défendre les femmes battues, violées, enterrées vives par Daesh et consorts, les blogueuses égyptiennes, les artistes syriens, les LGBT où que ce soit, les Yézidies, même les jeunes dans nos cités qui refusent les diktats des imams salafistes (dans ces nouvelles mosquées financées par le Qatar).

Les pays du Golfe, on l’a vu, ont refusé de venir en aide aux réfugiés, aidant à les repousser vers l’Occident. Leur explication, selon le journaliste koweïtien Al-Fahd Shelaim : « Le Koweït et d’autre pays du Conseil de coopération des États arabes du Golfe sont trop chers pour accepter les réfugiés. Nous ne voulons pas voir les gens qui souffrent de tensions internes et de traumatismes dans notre pays » (8).

Les Talibans et Daesh, qui menacent quotidiennement les quelques acquis démocratiques en Afghanistan, ne peuvent que s’en réjouir. Idem pour les ’durs’ en Iran, en Somalie, partout au Moyen-Orient. En Occident, les institutions et bientôt les particuliers pourront sans vergogne se référer à ce corpus législatif, plutôt qu’aux législations en vigueur. L’islamisme wahhabite deviendra une alternative viable et banalisée aux droits humains tels que nous les connaissons : on peut prévoir l’instauration prochaine de tribunaux religieux officieux comme en Angleterre (9) moyennant quelques achats de Mistrals de plus. À quand la Légion d’Honneur pour Faisal Bin Hassan Trad, qui le mériterait tout autant que cet autre champion des droits humains et tortionnaire émérite, Abdelattif Hammouchi, récemment adoubé par la France ? (10)

N’en déplaise aux détracteurs et aux pourfendeurs de l’Arabie saoudite qui veulent minimiser cette situation gravissime, cet État odieux, coupable de crimes graves contre ses citoyens et citoyennes, n’a sûrement pas le droit de siéger dans des instances internationales, ne fût-ce au plus bas niveau, mais devrait plutôt être officiellement jugé et condamné par l’ONU pour des façons de faire qui vont à l’encontre de tous les principes des droits humains dfendus par les Nations Unies.

 Site de Carol Mann, directrice de l’association Women in War

Notes

1. Blogue de Carol Mann sur Mediapart.
2. Lien à venir.
3. "Saudi UN envoy to remain head of influential human rights panel".
4. "De Munich à Ankara : esquisse d’un scénario catastrophe".
6. Blogueur Raaf Badawi.
7. La-condamnation à mort du jeune saoudien Ali Al-nimr suscite des protestations mondiales.
8. "Les pays du Golfe préfèrent pilonner le Yémen et augmenter le nombre de réfugiés que d’en accueillir".
9.
10. "Portrait d’un Marocain, chevalier de la Légion d’honneur et recherché par la justice française"

Mis en ligne sur Sisyphe, le 25 septembre 2015
Mis à jour le 27 septembre 2015

Carol Mann, chercheure en sociologie et directrice de l’association ‘Women in War’ à Paris


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