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Au bureau de scrutin, n’est pas accommodé qui veut

10 octobre 2015

par Micheline Carrier

Au bureau de scrutin, n’est pas accommodé qui veut.

Je suis allée voter, le samedi 10 octobre, dans la circonscription Saint-Léonard/Saint-Michel où j’ai été témoin d’un incident qui m’a mise en colère et m’a fait désespérer de la nature humaine.

Une dame haïtienne très âgée était assise, attendant son tour pour voter.

Son tour venu, tout le monde s’est rendu compte qu’elle avait de grandes difficultés à se déplacer.

Quelqu’un l’a aidée à se rendre à la table des scrutateurs, ce qui a pris beaucoup de temps.

Une fois là, on l’a renvoyée à sa chaise pour qu’elle puisse sortir ses cartes d’identité. Une fois qu’elle les eût sorties, on l’a ramenée à la table pour qu’elle les montre, ensuite retour à sa chaise, et finalement de sa chaise au paravent derrière lequel on vote et qui était à bonne distance.

Pendant plus de 15 minutes, sous le regard incrédule et les murmures prudents d’une vingtaine de personnes, on a fait déplacer cette pauvre femme qui chancelait.

Ne pouvant plus me contenir devant ce spectacle presque cruel, j’ai demandé haut et fort qui était responsable de ce bureau de scrutin. Un homme s’est présenté.

En colère, je lui ai demandé pourquoi on faisait autant de misère à cette femme, l’obligeant à se déplacer plusieurs fois, alors qu’elle pouvait très bien cocher son bulletin de vote assise sur sa chaise plutôt que debout derrière le paravent. "On n’a pas le droit", a dit l’homme.

"Pas le droit, me suis-je écriée, furieuse. Alors qu’on peut voter masqué, cette femme que vous voyez vous-même en grande difficulté n’a pas le droit de voter assise ! Manquez-vous de jugement ? Je vais faire une plainte !" Ce que j’ai fait à mon retour, mais sans attendre grand résultat d’Élections Canada.

Pourtant, il aurait été facile d’éviter à cette femme vulnérable cette procédure abusive.

D’où nous étions alignés dans l’attente de voter, personne n’aurait pu voir son bulletin de vote, si c’était le bris de confidentialité qui inquiétait le responsable du bureau. Monsieur-à-cheval-sur-les-règlements et son collègue, qui ne faisaient que regarder, auraient pu se tenir auprès d’elle et lui faire un paravent de leur corps, s’ils craignaient tant (mais quoi ?).

On accommode des gens de toutes les façons et pour toutes sortes de motifs, pourquoi pas cette femme qui avait des problèmes de mobilité évidents et qui tenait tout de même à exercer son droit de vote en personne ?

C’était le devoir des responsables du bureau de scrutin de faire preuve de jugement et de s’adapter à la situation.

Dans la file d’attente, les gens maugréaient : "Mais ça n’a pas de bon sens, pourquoi la faire lever ? Elle va tomber."

Des personnes âgées ont dit : "Voilà comment on va nous traiter, nous aussi, quand nous aurons son âge et ses difficultés".

Leur crainte me semble tout à fait réaliste. La société bête, hyperperformante et inhumaine dans laquelle nous vivons ne s’adapte pas aux personnes vulnérables, elle leur demande de se soumettre, de se débrouiller comme elles peuvent ou de disparaître de l’espace public.

Au cours de cette demi-journée, je l’avoue, j’ai haï l’humanité.

Mis en ligne sur Sisyphe, le 10 octobre 2015

Micheline Carrier


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