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La pensée binaire du féminisme intersectionnel ne peut que mener à l’incohérence

26 octobre 2015

par Michèle Sirois, présidente de PDF Québec – Pour les droits des femmes du Québec

Un texte percutant et très touchant que celui de Johanne St-Amour intitulé « Je suis blanche et vous me le reprochez ! » (1).

Ce texte dénonce la fracture que le féminisme intersectionnel est en train d’installer dans le mouvement féministe : la division entre les femmes, la division comme dans « diviser pour régner ». Avec le féminisme intersectionnel, on se met à parler « des » mouvements féministes au lieu « du » mouvement féministe unifié.

Tout est vu en deux pôles bien distincts et opposés : les hétérosexuelles VS les homosexuelles et les autres, les riches contre les pauvres, les « blanches » contre les « noires » ou les « brunes », et même les personnes non handicapées contre les personnes handicapées.

À l’hétérosexisme, au classisme, au racisme, au capacitisme (eh oui beaucoup de nouveaux mots en « isme » que nous déverse le féminisme intersectionnel pour stigmatiser les femmes dites « privilégiées »), on ajoute même, par bonne conscience, l’âgisme qui touche les femmes âgées. Mais chose étonnante, l’âgisme est la seule discrimination où on ne parle que des victimes, et pour laquelle on ne dénonce jamais les oppresseur-es, qui devraient être les jeunes si l’on suivait la logique de ces oppositions binaires qu’accumule le féminisme intersectionnel. Mais non ! Avec l’âgisme : que des victimes sans oppresseures !!!

Ce hiatus dans une théorie qui se répand en accusations de toutes parts serait-il dû au fait que ce sont souvent des jeunes femmes qui se targuent de pratiquer le féminisme intersectionnel ? C’est si facile d’accuser les autres et d’oublier qu’on est toujours la privilégiée de quelqu’une d’autre.

Voilà une première critique de ce féminisme intersectionnel qui a mené plusieurs femmes à délaisser la Fédération des femmes du Québec qui pratique ce type de féminisme à fond la caisse.

Comme seconde critique, j’aimerais rappeler que cette pensée binaire qui divise le monde en bons et en méchants, en privilégiées et en victimes, ne peut mener qu’à l’incohérence. Un exemple de la limite d’une telle théorie ?

Pourquoi devrions-nous être solidaires et lutter contre la pauvreté, améliorer le sort des femmes démunies si c’est pour produire des oppresseures appartenant à la classe moyenne ou à celle des riches ?

À quoi bon lutter en faveur de l’accès à l’instruction si c’est pour produire des privilégiées qui ne peuvent qu’opprimer les femmes moins instruites ?

Pourquoi la lutte des femmes si c’est pour produire des « féministes de luxe » ou des « féministes bourgeoises », termes que nous ont accolés des féministes intersectionnelles lorsque nous avons fondé PDF Québec (Pour les droits des femmes du Québec) en novembre 2013 ?

Tout au contraire, il faut reconnaître que des gains importants ont été acquis par des femmes qui luttaient pour l’égalité des femmes avec les hommes, ce qu’on appelle le féminisme égalitariste.

Des gains comme les services de garde, l’accès à l’instruction pour les filles, l’équité salariale, l’accès à des services d’avortement libres et gratuits, la protection des femmes intimidées, agressées sexuellement ou violentées, etc.

Bref ! Des gains qui profitent à l’ensemble des femmes et non seulement à un petit groupe de privilégiées.

L’égalité de droit est presque acquise, ici au Québec, mais l’égalité de fait est loin d’être atteinte. Nous devons lutter pour que toutes les femmes puissent en bénéficier, et il faut cesser de culpabiliser celles qui font la démonstration que c’est possible.

Je rappelle qu’Andrée Yanacopoulo a écrit un court texte très éclairant sur cette fumisterie qu’est le féminisme intersectionnel. Voir sur le site de PDF Québec (2).

Merci à Johanne St-Amour qui a ouvert le chemin des confidences dans ce texte si touchant, nous rappelant que le personnel ou l’intime est politique. Nous rappelant aussi que le mouvement féministe ne peut que s’affaiblir avec l’analyse intersectionnelle.

Contrairement à ces analyses simplistes qu’on peut même retrouver dans les départements d’études féministes universitaires, le féminisme égalitariste ne signifie pas du tout la perte de la nécessaire solidarité entre les femmes.

Le texte que Diane Guilbault et moi avons publié sur le site Sisyphe à propos du recours aux mères porteuses (3) l’a bien démontré. Se battre pour que les femmes ne deviennent pas des marchandises, c’est aussi se battre contre la traite des enfants.

C’est lutter pour que les femmes les plus démunies et vulnérables, celles d’ici et celles des pays pauvres, qu’elles soient blanches ou « colorées », ne deviennent pas des objets sur lesquels « l’industrie du ventre des femmes » fera des milliards.

C’est se battre pour que le commerce de la chair humaine ne prenne pas le pas sur la dignité humaine et sur les droits des femmes.

Notes

1. Sur Sisyphe, le 26 octobre 2015.
2. Le Salon d’Andrée.
3. « Du désir d’enfant au blanchiment d’enfant ».

Mis en ligne sur Sisyphe, le 26 octobre 2015

Michèle Sirois, présidente de PDF Québec – Pour les droits des femmes du Québec


Source - http://sisyphe.org/article.php3?id_article=5171 -