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Pour un féminisme pluriel

17 mars 2016

par Boucar Diouf, humoriste, conteur, biologiste et animateur

Est-ce qu’on refuse de se dire antiraciste juste parce qu’il y a des gens trop épidermiques sur la question raciale dans le mouvement ?

Est-ce qu’on refuse de se dire pour la protection de l’environnement parce qu’il y a des militants environnementalistes un peu extrêmes dans la façon de crier leurs convictions

À mon avis, la réponse est non. De la même façon, et n’en déplaise à leurs détracteurs, les féministes plus affirmées dont on veut se dissocier aujourd’hui ont aussi beaucoup donné à la lutte des femmes.

Mais le phénomène n’est pas nouveau, car lorsque les Québécoises ont obtenu le droit de vote sous Joseph-Adélard Godbout, il y avait aussi des femmes sur les perrons d’églises qui disaient ne pas avoir les mêmes préoccupations que ces hystériques de l’égalité.

Dans leur longue marche, les suffragettes ont essuyé des jambettes provenant de leurs propres consœurs, qui les accusaient de polluer l’harmonie conjugale dans les bungalows avec leurs demandes et leurs méthodes qu’on trouvait déjà limites. Des opposantes qui cherchaient certainement à prendre du galon dans la perception des phallocrates qui régnaient sans partage dans les maisons et les églises. Si, à l’époque, on avait écouté ces pourfendeuses, on ne serait pas en train de se demander aujourd’hui s’il est encore pertinent de se dire féministe.

Aujourd’hui, on dirait que se distancier du travail de défrichage fait par les générations précédentes, au point d’éprouver une certaine honte à se dire féministe, est devenue presque une mode. Pourtant, pour qui veut comprendre toute l’histoire, lire la page qui précède avant d’écrire celle qui suit est la chose à faire.

Madame Lise Thériault peut bien foncer dans le tas et prendre sa place, mais comme disait le défunt Jean-Paul L’Allier, elle devrait aussi savoir que la seule fois où quelqu’un s’est réalisé tout seul, il a voulu qu’on l’appelle « Seigneur ».

Si une femme comme elle peut réaliser ses rêves en fonçant dans le tas, c’est parce que dans le passé, d’autres ont, par leur travail et leur militantisme, fragilisé ce tas afin de lui donner la chance de l’ébranler en solitaire.

Si en 2016, pour s’imposer, une femme doit encore foncer dans le tas et se faire des bleus là où des hommes ayant la même compétence butent moins souvent sur des obstacles, c’est que le féminisme est encore très actuel.

L’égalité entre les hommes et les femmes sera atteinte seulement quand on arrêtera d’en parler, et ce n’est pas demain la veille ! Il est vrai que la société québécoise a énormément progressé en ce sens.

Mais à l’heure de cette délocalisation massive des cultures qu’on aime nous présenter comme une mondialisation, je vous garantis que la lutte des femmes ne fait que commencer, car le machisme venu d’ailleurs est mis à l’abri de la critique féministe par les politiques, les chartes et autres organismes de défense des libertés individuelles qui présentent toute subversion légitime contre ces pratiques rétrogrades et liberticides pour les femmes comme de l’intolérance. Il faudra lutter très fort pour empêcher le clientélisme politique de ménager des trous dans les digues solidement acquises et ramener la condition féminine au Moyen Âge.

Autrement dit, c’est justement maintenant, plus que jamais, que nous avons besoin de militantes et de militants plus affirmés qui n’ont pas peur de déplaire. Car si le mouvement féministe a longtemps été dans un train qui avance, je prédis que dans un futur pas si lointain, il faudra encore beaucoup d’efforts pour empêcher ce véhicule de l’égalité d’amorcer son recul.

Ce texte provient de La Presse+ du 12 mars 2016. Nous remercions Boucar Diouf d’accepter de le publier sur Sisyphe.

 Lire aussi : "Cachez-moi ce vilain féministe", par Nathalie Petrowski.

Mis en ligne sur Sisyphe, le 13 février 2016

Boucar Diouf, humoriste, conteur, biologiste et animateur


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