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Sexisme politique, sexe social

23 mai 2016

par Virginie Martin, Docteure en sciences politiques et présidente de Think Tank Different

Le 9 mai 2016, Denis Baupin (député EELV) démissionnait de son poste de vice-président de l’Assemblée nationale à la suite de plusieurs accusations de harcèlement sexuel de la part de collaboratrices, divulguées par France Inter (1) et Médiapart. Par la suite, un certain nombre de femmes ont témoigné, appuyées par 17 anciennes ministres (2) appelant à « ne plus se taire face au sexisme et au harcèlement sexuel ».

Cette situation – partie émergée de l’iceberg – permet de s’intéresser à une question souvent moquée, peu prise au sérieux, comme le montrent encore les récentes déclarations de Pierre Lelouche (député LR), refusant de réagir à ces « histoires de bonnes femmes ».

Séparation genrée, sexuée et stéréotypée

Déjà au début du quinquennat de François Hollande, preuve de l’inertie et du peu d’intérêt que suscite ces questions autour du sexisme ordinaire, des violences sexuelles et autres harcèlements, on polémiquait contre les tentatives de mettre à l’agenda les enjeux liés au genre, à l’égalité homme-femme et aux solutions qu’il eût été utile d’imaginer et de mettre en place pour endiguer ce phénomène.

Alors que les questions liées aux gender studies, portées avec succès outre-Atlantique par Judith Butler (3), auraient pu nous permettre d’interroger ce que l’on appelle la performativité* de genre liée au sexe de l’individu, alors qu’en 2012 la volonté politique de porter haut ce type de débat paraissait réelle, force est de constater que le sexisme ordinaire arrimé à tous les stéréotypes liés au genre continue de sévir.

Car il est bien question de genre derrière tous ces dramatiques événements qui ponctuent régulièrement l’actualité. Il est bien question, non du sexe inné mais bien de ce sexe social, de ce qui construit à coup d’injonctions souvent stéréotypées la femme et l’homme, le masculin et le féminin. Des constructions qui finissent par installer dans les imaginaires collectifs et hégémoniques une femme faite pour l’affect, la douceur et bien sûr le plaisir, face à un homme qui serait fait pour la conquête, le pouvoir, le leadership…

Dans cette séparation – genrée, sexuée et stéréotypée – du monde, la femme, même politique, doit rester celle qu’elle doit être, celle qui doit « performer » son genre et rester sous la main d’un homme, qui lui performe sa masculinité en étant dans des processus multiples – dont le sexe – de domination.

La femme, être de chair

Ainsi les stéréotypes liés aux questions de genre telles qu’entendues actuellement hyper-sexualisent la femme. Si le féminin dépend du masculin du fait des caractéristiques de son genre, il pourrait alors sembler « normal » à ceux qui s’installent dans ce système que le « mâle dominant » séducteur se voit en position de profiter d’une situation jugée « naturelle ».

Plus encore, ces stéréotypes de genre se voient intériorisés, tant par les hommes que les femmes, facilitant ainsi les actes et la propagation de ce système. La femme, être de chair, au potentiel de séduction, se voit vite enfermée dans ces carcans et intègre à son système de valeur et à ses références de vie une situation née d’une conception sexiste dès sa genèse.

Au lieu de travailler à l’interrogation de cette société hyper-genrée et stéréotypée, d’aucuns s’en félicitent. En effet, cette question de sexe et de genre n’a été que trop peu discutée, voire moquée par des courants extrêmement conservateurs, que des journalistes comme Eric Zemmour (4) ont popularisé en France, et prenant les atours du masculinisme. Ces tendances – que l’on a vu émerger au Québec – s’élèvent contre un féminisme qui ne revendique pourtant rien de plus qu’un champ des possibles égal pour les hommes et les femmes, et ce jusque dans les plus hautes sphères publiques.

Des accents de ce masculinisme peuvent se retrouver ici ou là, à l’instar de Christine Boutin (5) qui, réagissant à l’initiative des 17 ministres, déclare : « Honte à ces anciennes ministres qui laissent entendre que les hommes sont des obsédés. » Entre minimisation de la question du sexisme en politique et sa légitimation il n’y a qu’un pas que certains semblent parfois franchir…

Les horreurs du système patriarcal

Pourtant la question du genre et de l’égalité homme-femme devrait être au centre des préoccupations dans le champ politique, en ce qu’il est censé montrer l’exemple. Au contraire, nous sommes face à toutes les horreurs d’un système patriarcal qui n’a pas honte de se perpétuer, bien loin d’une certaine loi du 6 juin 2000 concernant la parité homme/femme (6) dans les mandats électoraux.

Ainsi, la question qui se pose aujourd’hui est celle de la pleine légitimité des femmes à être aux postes qu’elles désirent – que ceux-ci soient politiques ou autres, visibles ou invisibles. Or ce sexisme ambiant les fait apparaître comme des êtres déterminées et vus par rapport à leur genre et non par rapport à leur légitimité ; les cas de sexisme renvoient perpétuellement la femme à sa chair.

C’est pour cela que tant que la question du genre ne sera pas sérieusement abordée, il est peu probable que la question du sexisme soit réglée. Peut-être l’épisode actuel pourrait-il permettre d’éveiller les consciences sur le sujet. Il doit devenir un enjeu majeur, car derrière lui se trouvent les questions du viol, des agressions sexuelles, des violences faites aux femmes et des systèmes prostitutionnels. (7)

* L’auteure remercie Paul Bouteiller et Florian Goyon, stagiaires au Think Tank Different.

* Note de Sisyphe - Performativité : La notion de performativité a été développée par le philosophe John Langshaw Austin dans son ouvrage Quand dire c’est faire (1962), dont le titre original est How to do Things with Words (littéralement Comment faire des choses avec des mots). Elle caractérise certaines expressions qui font littéralement ce qu’elles énoncent. Toute réalité sociale repose sur des actes performatifs et des « croyances partagées », c’est-à-dire, les représentations collectives qui façonnent nos manières de penser à l’échelle individuelle, et ce, souvent inconsciemment. Ainsi les idées, la pensée sont contrôlées par le contexte social et culturel, et en sont dépendantes. Et c’est un des fondements de la sociologie de la connaissance selon Peter L Berger. (…) Par son analyse de la performativité de genre, la philosophe et féministe américaine Judith Butler va aller encore au-delà de Searle, qui s’en tenait aux grandes institutions civiles, religieuses, sociales et familiales, pour parler de la construction du genre, de l’identité sexuelle des individus. Voir plus d’information.

L’auteure : Virginie Martin, Docteure en sciences politiques, HDR sciences de gestion, Kedge Business School. Auteure en 2015 de "Ce monde qui nous échappe, pour un universalisme des différences". Professeure au Kedge Business School et Présidente de Think Tank Different.

Notes

1. "Des femmes dénoncent des faits de harcèlement et d’agression sexuelle de la part du vice président écologiste de l’Assemblée.
2. "Face au sexisme, 17 ex-ministres lancent un appel : "Nous ne nous tairons plus".
3. Défaire le genre.
4. "Zemmour, une dérive française"
5. "Harcèlement sexuel : ‘Moi j’aime bien la gauloiserie’, revendique Christine Boutin"
6. "Loi n° 2000-493 du 6 juin 2000 tendant à favoriser l’égal accès des femmes et des hommes aux mandats électoraux et fonctions électives", NOR : INTX9900134L. Version consolidée au 23 mai 2016. Titre Ier : Dispositions relatives aux élections se déroulant au scrutin de liste.
7. "Violence conjugale : comment aller au-delà de l’intervention pénale".

* Source originale : The Conversation. Publié sur Sisyphe avec l’aimable autorisation de l’auteure.

Mis en ligne sur Sisyphe, le 23 mai 2016.

Virginie Martin, Docteure en sciences politiques et présidente de Think Tank Different


Source - http://sisyphe.org/article.php3?id_article=5265 -