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Stéphane Bureau et désinformation à Radio-Canada au sujet des marches anti-Trump et d’Hillary Clinton

23 janvier 2017

par Micheline Carrier

Je n’écoute plus souvent l’émission matinale à la première chaîne de la radio de Radio-Canada mais, ce matin, je suis passée de ma musique favorite à l’émission "Gravel le matin".

Stéphane Bureau y faisait une chronique sur les États-Unis. Son ton prétentieux et quelque peu vindicatif m’a d’abord fait penser qu’il réglait des comptes. J’ai prêté l’oreille. La fin d’une chronique précédente avait parlé de désinformation.

Ma foi, me suis-je dit, Radio-Canada a parfois de la suite dans les idées : la chronique de Stéphane Bureau illustrait cette désinformation. Plus précisément une méthode de désinformation très prisée des donneurs d’opinion de tout acabit. Dans une démonstration ou ce que l’on veut telle, on pose des prémisses fausses mais orientées vers une conclusion qu’on a décidée à l’avance. Bref, on colle ensemble n’importe quels soi-disant faits pour justifier la conclusion qu’on veut amener.

Je m’explique.

Stéphane Bureau, "expert" autoproclamé en politique américaine, parlait de la marche anti-Trump à Washington. Mais Hillary Clinton était sa cible. Hillary Clinton était présente à la cérémonie d’investiture du président Trump, son adversaire, a dit l’expert Bureau d’un ton scandalisé ; mais elle n’a même pas participé à la marche anti-Trump - seulement un petit message sur Twitter - , alors que cette marche était en quelque sorte une marche d’appui pour elle, prétend-t-il.

Cela signifie beaucoup, a affirmé le grand expert. "Qu’est-ce que ça signifie ?", a demandé l’animateur. Qu’on ne peut compter sur Hillary Clinton pour mener l’opposition contre Trump au sein du parti démocrate car cela ne l’intéresse pas, a répondu Bureau sur un ton sentencieux et désapprobateur.

J’en étais sidérée. Comment peut-on tirer une telle conclusion de prémisses appuyées sur l’ignorance et prétendre offrir une information adéquate à la population ?

Tout d’abord, un homme qui se veut chroniqueur de politique américaine devrait tenir compte du fait que, selon la tradition aux États-Unis, les anciens présidents et autres personnalités marquantes assistent à l’investiture du président élu. Et ce fut le cas de plusieurs ex-présidents et de leur famille lors de l’investiture de Donald Trump. On ne risque pas se tromper en affirmant qu’Hillary Clinton n’assistait pas à cette cérémonie par amitié pour Donald Trump, ni parce qu’elle se range désormais derrière lui et se fout de ce qu’il fera. Elle est elle-même une figure importante de la politique américaine et elle était accompagnée de son mari, Bill Clinton, un ancien président des États-Unis. Voilà pourquoi elle était là, Stéphane Bureau.

Deuxièmement, Stéphane Bureau aurait dû lire un peu au sujet des marches anti-Trump aux États-Unis et à travers le monde, dont les journaux américains et européens notamment ont abondamment parlé pendant plusieurs semaines. Il est vrai que les "experts" auto-proclamés n’ont pas besoin de s’informer, ils tirent leur science de leurs neurones et de leurs préjugés.

Ces quelque 600 marches à travers le monde avaient pour objectif commun de dénoncer l’élection de Trump et la menace qu’il incarne pour les droits des femmes, des minorités ethniques, socio-économiques et sexuelles, et autres. Dans certains pays, les marcheuses et marcheurs voulaient aussi lancer un avertissement aux gouvernements nationaux qui seraient tentés de suivre les traces de Trump et Cie.

Il ne s’agissait pas de marches organisées pour appuyer spécifiquement Hillary Clinton, - sans doute, plusieurs des marcheuses et des marcheurs n’avaient même pas voté pour elle - bien que certain-es individus-es aient pu voir dans leur opposition à Trump un appui personnel à Hillary Clinton. Je parie que si Hillary Clinton s’était mise en vedette au cours de cette marche, des gens comme Stéphane Bureau auraient prétendu qu’elle "instrumentalise" la marche à ses propres fins.

Enfin, Stéphane Bureau pourrait-il nous donner des exemples de candidats battus qui ont ensuite orchestré et mené la résistance et l’opposition au président élu ? Pourquoi Hillary Clinton agirait-elle autrement ? Et si elle le faisait, Stéphane Bureau et semblables donneurs de leçon ne trouveraient-ils pas qu’elle est mauvaise perdante, frustrée et amère ? Est-ce bien à Hillary Clinton, non élue, d’aller au front contre Trump, à elle d’abord et à ce moment-ci, au nom du parti démocrate qui compte des représentant-e-s au Sénat et au Congrès ? Qu’est-ce qui prouve qu’elle ne le fera pas à sa manière éventuellement, sans nécessairement se rapporter aux Stéphane Bureau de ce monde ?

Dans différents réseaux, les opinions de Stéphane Bureau seront reprises comme la manne par les anti-Clinton, par ceux que Trump fascine ainsi que par certains misogynes.

Ils seront peut-être repris même dans des médias présumément sérieux qui comptent leur lot de faiseurs d’opinion.

Et ce seront les mêmes médias qui mettront en garde contre la désinformation…

Mis en ligne sur Sisyphe, le 23 janvier 2017

Micheline Carrier


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