source - http://sisyphe.org/article.php3?id_article=5351 -



Désolée, vous n’êtes pas égales

15 février 2017

par Dina Leygerman

Une publication fait des vagues sur les réseaux sociaux, en réponse à la Marche des femmes du 21 janvier 2017. Elle va ainsi : « Je ne suis pas une disgrâce pour les femmes parce que je ne supporte pas la Marche des femmes. Je ne me sens pas comme une citoyenne de seconde classe parce que je suis une femme... »

Voici ma réponse à cette publication.

Dites merci

Dites merci.
Dites merci aux femmes qui vous donnent une voix.
Dites merci aux femmes qui ont été arrêtées et emprisonnées et battues et gazées pour que vous ayez une voix.
Dites merci aux femmes qui ont refusé de laisser tomber, aux femmes qui combattent sans relâche pour vous donner une voix.
Dites merci aux femmes qui ont mis leur vie en suspend, qui – une chance pour vous – n’avaient rien de mieux à faire que marcher, protester et s’unir pour votre voix.
Pour que vous ne vous sentiez pas comme une citoyenne de seconde zone.
Pour que vous vous sentiez égales.

Merci à Susan B. Anthony et Alice Paul pour votre droit de vote.
Merci à Elizabeth Stanton pour votre droit de travailler.
Merci à Maud Wood Park pour vos soins prénataux et une identité distincte de celle de votre mari.
Merci à Rose Schneiderman pour vos conditions de travail humaines
Merci à Eleanor Roosevelt et à Molly Dewson pour votre habilité à travailler en politique et à influencer les politiques.
Merci à Margaret Sanger pour la légalisation du contrôle des naissances.
Merci à Carol Downer pour votre droit à recevoir des soins relatifs à votre santé sexuelle.
Merci à Sarah Muller pour votre accès à l’éducation.
Merci à Ruth Bader Ginsburg, Shannon Turner, Gloria Steinem, Zelda Kingoff Nordlinger, Rosa Parks, Angela Davis, Malika Saada Saar, Wagatwe Wanjuki, Ida B. Wells, Malala Yousafzai.

Merci à votre mère, votre grand-mère, votre arrière-grand-mère qui n’avaient pas la moitié des droits que vous avez maintenant.

Vous pouvez faire vos propres choix, parler et être entendue, voter, travailler, contrôler votre corps, vous défendre, défendre votre famille, parce que des femmes ont marché. Vous n’avez rien fait pour mériter ces droits. Vous êtes nées avec ces droits. Vous n’avez rien fait, mais vous retirez les bénéfices de femmes, de femmes fortes, de femmes qui ont combattu la misogynie, fait reculer le patriarcat et qui se sont battues pour vous. Et vous restez assises sur votre piédestal, un piédestal que vous avez la chance d’avoir et de décrire. Une guerrière du clavier. Une combattante pour la complaisance. Une personne qui accepte ce qu’on lui donne. Une négatrice des faits. Enrobée dans votre illusion d’égalité.

Vous n’êtes pas égales

Même si vous avez l’impression de l’être. Vous continuez de gagner moins qu’un homme faisant le même travail. Vous faites moins comme directrice, comme athlète, comme actrice, comme docteure. Vous gagnez moins au gouvernement, dans l’industrie des technologies, dans les soins de santé.

Vous n’avez pas tous les droits sur votre propre corps. Les hommes continuent de débattre sur votre utérus. Sur les soins prénataux. Sur vos choix.

Vous devez continuer de payer des taxes pour vos besoins sanitaires de base.

Vous devez continuer de porter un marteau quand vous marchez seule le soir.

Vous devez encore expliquer en cour pourquoi vous aviez bu le soir où vous avez été violée.

Vous devez encore justifier votre comportement quand un homme s’impose à vous.

Vous n’avez pas encore de congé de maternité payé (voire de congé de maternité).

Vous devez encore retourner au travail alors que votre corps est brisé. Alors que vous souffrez en silence d’une dépression post-partum.

Vous devez encore vous battre pour allaiter en public. Vous devez encore prouver à d’autres femmes que c’est votre droit de le faire. Vous continuez d’offenser les gens à cause de vos seins.

Vous continuez à être objectivée. Vous êtes encore chahutée. Vous êtes encore sexualisée. Vous êtes trop maigre ou trop grosse. Vous vous faites encore dire que vous êtes trop vieille ou trop jeune. Vous êtes applaudie quand vous « vieillissez en beauté ».

On vous dit encore que les hommes vieillissent « mieux ». On vous dit encore de vous habiller comme une dame. Vous êtes encore jugée sur votre habillement et non sur ce qui se trouve dans votre tête. La marque du sac à main que vous portez à plus d’importance que votre niveau de scolarité.

Vous êtes encore abusée par votre conjoint, par votre petit ami. Vous êtes encore assassinée par votre partenaire. Battue par votre âme "soeur".
Vous êtes encore dénigrée si vous êtes une femme de couleur, une femme homosexuelle, une femme transgenre. Vous êtes encore harcelée, rabaissée et déshumanisée.

Vos filles continuent de se faire dire qu’elles sont belles avant de se faire dire qu’elles sont intelligentes. Vos filles se font dire de bien se tenir, que « les garçons seront toujours des garçons ». Vos filles se font dire qu’elles se font tirer les cheveux et pincer par les garçons parce qu’ils les aiment.

Vous n’êtes pas égale, vos filles ne sont pas égales. Vous êtes systématiquement opprimée.

L’Estonie permet aux parents de prendre un congé allant jusqu’à trois ans, entièrement payé pour les 435 premiers jours. Les États-Unis n’ont pas de politique sur les congés de maternité.

Les femmes de Singapour se sentent en sécurité quand elles marchent seules la nuit. Pas les femmes américaines.

Les écarts de salaire entre les femmes et hommes sont de 5.6% en Nouvelle-Zélande. Aux États-Unis l’écart est de 20%.

L’Islande compte le plus grand nombre de femmes chefs d’entreprise, soit 44%. Aux États-Unis ce taux est de 4,0%.

Les États-Unis occupent le 45e rang pour l’égalité des femmes. Derrière le Rwanda, Cuba, les Philippines et la Jamaïque.

Mais je comprends. Vous ne voulez pas l’admettre. Vous ne voulez pas être une victime. Vous pensez que le féminisme est un mot dépassé. Vous pensez que ce n’est pas chic de se battre pour l’égalité. Vous détestez le mot chatte. À moins, bien sûr, que vous l’utilisiez pour désigner un homme qui ne répond pas à vos standards de masculinité. Vous savez le type d’homme qui « laisse » « sa » femme faire tout ce qui peut bien lui plaire.

Je comprends. Vous croyez que les féministes sont émotives, irrationnelles, irraisonnables. Pourquoi les femmes ne sont-elles pas seulement satisfaites de leur vie, c’est ça ? Vous avez ce que vous avez et ça vous satisfait, n’est-ce pas ?

Je comprends. Vous voulez vous sentir puissante. Vous ne voulez pas croire que vous êtes opprimée. Parce que ça signifierait que vous êtes en fait une citoyenne de seconde classe. Vous ne voulez pas vous sentir comme elle, je le comprends.

Mais ne vous inquiétez pas, je vais marcher pour vous. Je vais marcher pour votre fille. Pour la fille de votre fille. Et peut-être continuerez-vous de croire que le monde n’a pas changé. Vous croirez que vous avez toujours eu les droits que vous avez aujourd’hui.

Et c’est correct. Parce que les femmes qui se préoccupent et supportent actuellement d’autres femmes se moquent de ce que vous pensez d’elles. Elles se préoccupent de leur avenir et des femmes qui viendront après elles.

Ouvrez les yeux, ouvrez-les grands. Parce que je suis ici pour vous dire, avec un million d’autres femmes, que vous n’êtes pas égale. Notre égalité est une illusion. Un tour de passe-passe de bons sentiments. Un truc de l’esprit.

Je suis désolée de te le dire, mais nous ne sommes pas égales. Ni d’ailleurs vos filles.

Mais ne vous inquiétez pas, nous allons marcher pour vous. Nous allons combattre pour vous. Nous allons nous tenir debout pour vous.

Et un jour, vous serez effectivement égales au lieu de simplement penser que vous l’êtes.

 Traduction libre, la version originale anglaise du texte peut-être consultée sur :https://medium.com/@dinachka82/about-your-poem-1f26a7585a6f#.kcrkpoydu
 Traduction diffusée avec l’autorisation de l’auteure.

Mis en ligne sur Sisyphe, le 2 février 2017

Dina Leygerman


Source - http://sisyphe.org/article.php3?id_article=5351 -