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Libres d’être inégales ? Le problème n’est pas le voile comme "vêtement", mais ce qu’il représente

29 octobre 2017

par Annie Brisset, professeure émérite à l’Université d’Ottawa

Le problème n’est pas le voile comme « vêtement », mais ce qu’il représente dans notre régime de visibilité, de mixité et d’égalité, estime l’auteure.



Des gens ont manifesté à visage couvert, prouvant par l’absurde une faille de la Loi sur la neutralité religieuse.

Mais ceux qui prennent fait et cause pour les femmes intégralement voilées ne semblent pas saisir la contradiction : ils invoquent la liberté de choix d’un vêtement qui proclame l’inégalité de la femme dans l’espace public.

Non, le niqab n’égale pas le masque antipollution, le passe-montagne ou le chapeau à plume. Le voile intégral n’est pas un vêtement comme les autres : il a pour but de rendre la femme invisible en tant que femme. Il affirme la domination masculine, vigoureusement dénoncée la même semaine par les mêmes personnes.

Le texte sacré n’oblige nullement la femme à se couvrir le visage, ni même les cheveux. En revanche, il faut écouter les arguments de ceux qui prétendent le contraire.

Depuis les comparaisons dégradantes entre la femme non voilée et le bonbon non enveloppé ou encore la pièce de monnaie « qui passe de mains en mains » (Hani Ramadan) jusqu’au degré zéro du machisme déguisé en plaidoyer éthico-théologique pour « le devoir d’engagement » de la femme : la chevelure et le cou, mais aussi les bras et les jambes interdits de soleil parce que « le regard de l’homme sur la femme n’est pas le même que celui de la femme sur l’homme » (Tariq Ramadan*).

Autrement dit, la femme est par essence un objet de désir, un sexe pour le dire crûment, et non un sujet à part entière. Une femme-possession, dépositaire de l’honneur du mâle supposément incapable de refréner ses pulsions. Ou la femme responsable de l’inconduite des hommes.

Suivant cette logique phallocrate, certains pays comme l’Arabie saoudite et l’Iran contraignent les femmes à se voiler, c’est-à-dire à dissimuler leur état de femme dans l’espace public, loi de base renforcée par un attirail juridique qui présuppose et consolide leur infériorité.

Instrumentalisation

Le problème n’est pas la « religion », mais son instrumentalisation au détriment des femmes.

Nous vivons dans une société de droit où personne n’aurait l’idée d’invoquer les injonctions du texte sacré à tuer les incroyants, celles-là bien réelles, pour laisser faire les massacres terroristes en vertu de la liberté religieuse !

C’est différent pour la condition féminine. Rappelons-nous cet étudiant de l’Université York ayant exigé et obtenu un examen spécial pour ne pas côtoyer des femmes, au prétexte, fallacieux mais efficace, que sa religion le lui interdit. Un accommodement parmi d’autres : avec la religion ou la misogynie ?

Le problème n’est pas le voile comme « vêtement », mais ce qu’il représente dans notre régime de visibilité, de mixité et d’égalité. Il interpelle dans une société où les femmes ont conquis quelques droits en luttant contre la tradition patriarcale dénoncée pour ce qu’elle est. Voilà pourquoi le féminisme voilé est une contradiction dans les termes.

Quelle solidarité avec les femmes qu’ailleurs on oblige à porter un vêtement liberticide ?

Quel respect, ici, pour le combat de nos aînées, plus que jamais actuel, contre la domination masculine alors secondée par les religieux ?

Il serait temps d’écouter la voix de ceux qui, au sein de l’Islam, réclament une modernisation des textes que d’autres, plus nombreux et mieux organisés, utilisent pour leur ordre du jour politique en faisant croire aux femmes que Dieu a des préférences vestimentaires.

Comme naguère, au nom de la revanche des berceaux, les femmes ne pouvaient plaire à Dieu qu’enceintes tous les ans. Était-ce leur choix ? Les femmes étaient libres, n’est-ce pas ?

* "Tariq Ramadan : le passé sulfureux de l’islamologue refait surface".

Publié avec l’autorisation de l’auteure. Aussi dans Le Devoir.

Mis en ligne sur Sisyphe, le 25 ocotbre 2017

Annie Brisset, professeure émérite à l’Université d’Ottawa


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