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Pourquoi la dysphorie sexuelle augmente-t-elle tout d’un coup chez les adolescentes ?

9 septembre 2018

par Margaret Wente, "The Globe & Mail"

J’ai récemment entendu parler d’une tendance déroutante. Apparemment, les cliniques travaillant auprès d’enfants qui présentent des problèmes de dysphorie sexuelle (gender dysphoria) ont constaté une augmentation soudaine du nombre d’adolescentes qui s’identifiaient comme garçons.

En Angleterre, une clinique du genre bien connue signale que la majorité de sa clientèle adolescente, autrefois composée à 50-50 des deux sexes, compte désormais une forte majorité de transhommes (passant du féminin au masculin). Que se passe-t-il ? Lisa Littman, médecin et chercheuse au département de Santé publique de l’Université Brown, a décidé de se renseigner. Mais les eaux de ce domaine sont infestées de requins, comme elle vient de l’apprendre à ses dépens. Dès la publication de ses résultats, des activistes ont déclenché dans les médias sociaux un tir de barrage de protestations, et l’Université s’est empressée de prendre ses distances des conclusions de l’autrice.

La Dre Littman décrit la condition que ces filles ressentent comme une "dysphorie sexuelle soudaine" (Rapid-Onset Gender Dysphoria). Cette DSS se développe pendant la puberté ou peu après et touche principalement des jeunes filles qui n’avaient présenté dans l’enfance aucun signe de malaise face à leur identité sexuelle. L’élément le plus discuté de la recherche de Littman est son indication selon laquelle la DSS se propage par contagion sociale et influence des pairs.

Alors que l’incidence de la dysphorie sexuelle est très faible dans la population générale – moins de 1% – il n’est pas rare que deux filles du même groupe d’amies – ou même la moitié d’entre elles – commencent simultanément à s’identifier comme transgenres. Selon la Dre Littman, la DSS se propage également par le biais des médias sociaux : des parents témoignent d’une consommation frénétique de vidéos de "changement de sexe" sur YouTube. "Il est plausible", écrit Littman dans son étude, "que du contenu mis en ligne puisse inciter les personnes vulnérables à croire que des symptômes non spécifiques et des sentiments vagues doivent être interprétés comme une dysphorie sexuelle résultant d’une condition transgenre."

La transition du statut féminin au statut masculin est une affaire sérieuse. Les filles décident de porter des vêtements d’homme, de se couper les cheveux, de changer de nom, de se bander les seins, d’envisager une mastectomie, de chercher un traitement à la testostérone et d’altérer leur fertilité. Pourtant, la Dre Littman a constaté que la plupart des cliniciens consultés par ces jeunes "n’avaient pas exploré d’enjeux de santé mentale, de traumatismes antérieurs ou d’autres causes possibles de dysphorie sexuelle avant de procéder". Littman signale aussi que beaucoup de ces jeunes se sont vu-e-s offrir des prescriptions d’agents bloqueurs de puberté ou d’hormones de l’autre sexe, et ce dès leur première visite.

Comme le souligne la Dre Littman, le parallèle évident de la DSS est l’anorexie – un désordre alimentaire qui affecte souvent les adolescentes très performantes venant de la classe moyenne supérieure –, qui se propage par le biais d’Internet, déforme leur image de soi et les amène à se faire du mal. Il n’est donc pas étonnant que les transactivistes se montrent furieux de la comparaison. Pour eux, la transition n’est pas le problème, mais la réponse. Ils affirment que la DSS n’existe pas et que l’étude en question présente de sérieux problèmes de méthodologie. (L’article, qui ne prétend pas être définitif, se présente comme une enquête préliminaire.)

Soumises à des pressions intenses, l’Université Brown et la revue scientifique ont rapidement réagi en poignardant dans le dos la Dre Littman. PLOS One, la revue scientifique à comité de lecture qui a publié cette étude, affirme maintenant qu’elle va la relire – une intervention sans précédent dans son domaine. L’Université Brown a retiré de son site Web le communiqué de presse faisant la promotion de ce travail. La doyenne de son École de santé publique a publié une déclaration ouverte dans laquelle elle déclarait craindre que les conclusions de l’étude "puissent être utilisées pour discréditer les efforts visant à soutenir les jeunes transgenres et pour invalider les points de vue de membres de la communauté transgenre". En clair, si cette recherche s’avère politiquement gênante, nous nous abstiendrons de l’appuyer.

Ray Blanchard croit que la DSS est une réalité. Le Dr Blanchard est un professeur de psychiatrie à l’Université de Toronto qui a œuvré durant de nombreuses années dans une clinique du genre. Pour lui, le problème que vit la Dre Littman est d’avoir contesté certains tabous sacrés. "L’idée que des influences sociales peuvent être impliquées heurte le discours ’je suis né comme cela’ ou ’vous êtes qui vous dites être’, qui appelle peut-être une approche différente de la meilleure pratique clinique à adopter", m’a-t-il écrit par courriel.

En d’autres termes : le fait qu’une adolescente de 14 ans se dise de sexe masculin ne signifie pas toujours qu’elle va se sentir comme ça l’an prochain. Et en fait, la Dre Littman témoigne qu’un grand nombre de ces cas se résolvent en quelques années.

Jeffrey Flier, ancien doyen de la Faculté de médecine de Harvard, pense que cette histoire soulève un problème important en matière de liberté intellectuelle. Les universitaires doivent être en mesure de mener des recherches sur des enjeux prêtant à controverse avec la certitude que leur établissement ne les laissera pas tomber. "De nombreux articles suscitent certaines questions après leur publication, ce qui est une excellente chose, écrit-il. Mais ce n’est pas ce qui s’est passé pour la Dre Littman, dont les critiques n’ont effectué aucune analyse systématique de ses résultats, mais semblent principalement motivés par une opposition idéologique à ses conclusions."

Il me semble évident que ce qui compte vraiment ici, ce ne sont pas les idéologies mais les enfants. Nous devons déterminer ce qui est bon pour elles et pour eux – même si certaines personnes ne vont pas aimer ça.

Version originale publiée dans The Globe & Mail, le 7 septembre 2018 - https://www.theglobeandmail.com/opinion/article-why-the-surge-in-gender-dysphoria-among-teenage-girls/

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Traduit par Martin Dufresne

Mis en ligne sur Sisyphe, le 9 septembre 2018

Margaret Wente, "The Globe & Mail"


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