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Prostituée ou "travailleuse du sexe" ? De l’importance des mots pour décrire nos réalités

3 mars 2019

par Valérie Tender, survivante

En tant que survivantes de la prostitution, nous remarquons une tendance généralisée des médias à transformer les mots que nous utilisons pour nous décrire et pour raconter notre histoire. Nous voyons souvent des journalistes changer nos références à la condition de prostituée ou de victime d’exploitation sexuelle pour y substituer une expression qu’ils croient être plus digestible : celle de "travailleuse du sexe" (TDS). Ce détournement de sens se retrouve souvent en titre de leur article. 

Est-ce leur propre malaise qui parle ? Les gens semblent penser que ces mots se trouvent sur un gradient de politesse, où appeler une femme prostituée serait dégradant et où parler de "TDS" serait plus respectueux. 

Récemment, un journaliste a décrit l’expérience de l’une d’entre nous dans l’adolescence comme ayant été celle d’une "travailleuse du sexe adolescente". Cela tend à faire disparaître qu’une personne mineure prostituée est dans les faits une victime d’exploitation sexuelle au sens de la loi.

Les mots que l’on utilise pour décrire notre monde sont importants. Parler de "travail du sexe" impose à l’esprit l’acceptation même de la prostitution comme un travail et une vision de ces échanges comme étant du sexe. On en vient ainsi à percevoir la femme comme un agent libre de se vendre, mais on masque la réalité du client prostitueur, et l’effet cumulatif de ses pénétrations non désirées dans le corps des femmes traitées comme réceptacles. La traumatologie a pourtant tant de choses à nous apprendre à ce sujet ! 

Nous qui sommes sorties de la prostitution depuis plusieurs années, et qui pouvons maintenant faire un exercice de perspective sur notre vécu, devrions être plus écoutées. Il y a beaucoup de sagesse dans notre compréhension actuelle de tout ce qui nous a amenées dans la prostitution et du poids des conséquences que nous vivons dans notre corps. 

Nous disons aujourd’hui que la prostitution n’est pas un travail, que l’argent masque un grand pouvoir de coercition dans la transaction prostitutionnelle, que le consentement monnayé n’en est pas un et que le recours à la prostitution ne sera jamais autant un choix que la conséquence d’un manque de choix et de conditions prédisposantes. Une foule d’études ont confirmé que c’est près de 95% des femmes en situation de prostitution qui aimeraient en sortir, mais ne savent pas comment faire. 

En s’en tenant à des mots polis et à de vagues idées, on perd de vue ce qui devrait être inaliénable pour chaque individu-e. Rappelons que le Canada proscrit la vente de sang ou d’organes, puisque ce sont les personnes défavorisées qui en seraient les principales fournisseuses ; mais notre société semble faire bien peu de cas d’une sexualité libre de contraintes pour les femmes.

À ce titre, la FFQ faillit à vouloir protéger les femmes embrigadées dans le cycle infernal de la prostitution qui n’est, en fait, rien d’autre qu’un rapport de domination de la part des prostitueurs et des abuseurs. Elle préfère se concentrer sur un petit nombre de femmes qui disent le faire par choix (dont certaines qui font du déni pour se protéger).

Sans compter que nous voyons déjà poindre à l’horizon la volonté des jeunes Libéraux fédéraux de légaliser l’exploitation du "travail du sexe" et de la maternité de substitution. Il est temps d’avoir un véritable débat de société sur les limites de l’intrusion du marché dans la sphère intime. L’achat ou la location du corps de personnes est incompatible avec l’égalité entre les hommes et les femmes et elle renforce les attitudes patriarcales. 

 Cette lettre est cosignée par : Maylissa, Valérie Legal Tender, Rose Sullivan et Sophie Lavoie Coursolle, toutes présentes sur scène dans le numéro Hommage aux survivantes au Gala des Gémeaux 2018.

Mis en ligne sur Sisyphe, le 12 novembre 2018

Valérie Tender, survivante


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