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Le matin des mots

30 octobre 2018

par Élaine Audet

Chaque matin elle compose la toile de sa vie
avec ses mortes ses infinies ses constellations
ces voix qui montent des deux côtés du temps
et recommencent le chant à même son corps

L’automne est à l’image de cet amour fou
pas une parcelle du paysage
qui ne soit le cri flamboyant d’or rouge
du désir de s’embraser encore

Ni la pluie sur les feuilles ni les vitres
ni le brouillard opaque sur le lac
n’effacent la trace de ton souffle
dans la dentelle d’éternité de l’attente

Ses mots brûlent l’or des palais du silence
comme les étoiles la peur de l’univers
ses pensées creusent des passages secrets
dans l’origine du monde partout en toi

Elle aurait voulu faire du poème
un oiseau volant au-dessus des nuages et des saisons
mais il restait le merle éperdu
sur la branche du tremble entre amour et migration

Parfois elle ne sent plus que la fatigue des mots
le roulement des routes qui se jettent toutes à la mer
l’effritement des os sur la peau orange du matin
ton nom le lait de la nuit encore sur ses lèvres

Elle aime les barques bleues
qui partent de tes yeux
toutes voiles ouvertes
aux vents sauvages de la nuit

Il y eut le caillou poli sous les pas du destin
les lèvres du vent sur sa nuque
la panthère l’élan et l’ivresse dans son sang
le diamant sauvage de sa joie

Immobile prendre son envol
ne rien laisser du ciel fuir loin de ses yeux
pas une seule île de ta peau
sans poser ses lèvres sur son ventre d’éternité

La nuit la retient dans ses bras
métamorphose les couloirs du rêve
mots et couleurs s’entrelacent
pourquoi craindre encore la mort

Ses mains courent sur la soie de ton âme
vers la musique intérieure du poème
jusqu’à ta ligne de vie dans la sienne
l’éclat et l’élan irrépressible de la beauté

Cette façon précise de te glisser dans sa nuit
d’écarter doucement le drap des années
pour écrire en elle la note la plus haute
la chute du silence à la pointe de la lenteur

En une nuit l’érable a perdu
la moitié de ses feuilles
tourbillon de soleils d’or
venus mourir leur ciel au sol

Tu ne lui manques jamais
toi pôle extrême de la présence
seul lui manque le temps
au sablier bleu de tant d’amour

Mis en ligne sur Sisyphe, le 26 novembre 2018

Élaine Audet


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