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Nadia El-Mabrouk et le frère Untel : même combat

8 mai 2019

par Françoise Breault, enseignante à la retraite

Tout le Québec sait maintenant que Nadia El Mabrouk a été censurée à cause de ses opinions sur la laïcité. Coïncidence : à cette même période, je venais d’écouter "Les insolences du frère Untel", un électrochoc nécessaire à la société, dans le cadre de l’émission "Aujourd’hui l’histoire", du 4 décembre 2018, à Radio-Canada (1).

On y raconte tout ce qui s’est passé lors de la publication de ses lettres dans "Le Devoir" et par la suite de son livre Les insolences d’un frère Untel. Savoureux !

Cela se passait vers les années 1960. Nous sommes en 2019. Le parallèle avec la censure de Mme El Mabrouk est étonnant. Presque soixante après, le même combat.

André Laurendeau, alors rédacteur en chef au "Devoir" (1957) a pris l’initiative et le risque de publier les lettres que ce frère mariste lui écrivait. Pour protéger ce dernier de la réaction du clergé, il a utilisé un pseudonyme lors de la publication.

Ce grand journaliste n’était pas engoncé dans la rectitude politique et n’a pas eu peur d’aller au front en publiant les lettres du frère Untel même s’il savait que cela soulèverait une tempête.

Dans ses écrits, le frère Untel dénonçait, entre autres, l’obscurantisme de l’Église catholique d’alors, et comment celle-ci dominait les consciences par la peur qu’elle faisait régner. Il ose même décrire les costumes religieux comme "irrationnels, encombrants et anachroniques".

Laurendeau avait vu juste car les violentes critiques des évêques se sont déchaînées. Apprenant qu’un recueil des écrits du frère Untel serait publié, ils sont montés aux barricades pour empêcher cette publication. "Les insolences, écrit Mgr Camille Mercier, est un livre dangereux. C’est un mauvais livre". En fait, c’était plutôt dangereux pour leur pouvoir.

Heureusement, ce livre fut publié. Il s’est vendu à plus de 100,000 exemplaires en quelques semaines. C’est dire à quel point il visait dans le mille. Ce livre a aidé le Québec à sortir de l’obscurantisme et de la domination de l’Église et a favorisé la mise sur pied du Ministère de l’éducation sous le gouvernement de Jean Lesage.

Aujourd’hui, le Québec la peuple est libéré de la dictature du clergé et de la peur qu’il faisait régner, et ce, en grande partie grâce à ce frère courageux qui a osé dénoncer l’éléphant dans la pièce : la domination de l’Église sur la vie des gens.

Personne alors n’a pu le traiter de raciste car il était Québécois, ni de "christianophobe" car il était toujours frère mariste. D’ailleurs, à cette époque on n’avait pas recours à d’aussi pauvres arguments.

"Le Québec est entouré par un mur de soutanes", aurait écrit le romancier André Langevin. Aujourd’hui ce "mur" est remplacé par 15,000 femmes voilées (2). Y avait-il autant de curés à l’époque ? Je ne saurais dire. Combien d’imams à l’arrière-plan font croire à ces femmes qu’être une bonne musulmane équivaut à se voiler ?

Les Québécois et les Québécoises en général s’accommodent sans trop de problèmes qu’elles portent ce symbole chez elle ou dans la rue, même s’ils ont pu constater que le première loi de l’État islamique, en occupant un nouveau territoire, était l’obligation pour les femmes de porter le voile.

Par contre, les Québécois et les Québécoises se rebiffent avec raison, lorsque leur exigence de porter des signes religieux par des représentants de l’État, est un danger pour la laïcité de l’État. Là, ils se tiennent debout, dignement, malgré les accusations de toutes sortes. Comme Mme Nadia El Mabrouk et bien d’autres. Leur but : une laïcité claire et sans ambiguïté.

Les Québécois et les Québécoises prônant une “laïcité ouverte”, que je nommerais plutôt pseudo-laïcité ou laïcité confuse, accusent les défenseurs de la laïcité, d’islamophobes, de racistes, de xénophobes, et d’être la cause de la division du Québec. De la part de gens qui se qualifient d’inclusifs, ces arguments ne sont pas très rationnels.

Il est plus facile de s’identifier inclusif que d’être étiqueté raciste ou islamophobe. En utilisant le mot inclusif pour décrire leur position, c’est une façon d’exclure tout un peuple qui veut un État clairement laïque. Qui donc divise le Québec ? Pas étonnant que face à ce discours méprisant, certains, hélas, dérivent vers la droite.

En fait, les tenants de la "laïcité ouverte" font partie de la même catégorie que les évêques et les bigots qui accusaient le frère Untel pour ses prises de position critiques envers la domination de l’Église. Inconsciemment, ils se rangent du côté de l’obscurantisme.

Par ailleurs, des Québécoises originaires du Maghreb ou du Moyen-Orient comme Nadia El Mabrouk, Leila Bensalem, et plusieurs autres se lèvent en faveur de la laïcité, une laïcité claire et sans ambiguïté.

Ces femmes courageuses risquent encore plus que le frère Untel. Certaines ont reçu des menaces de mort pour leur prise de position, ou encore on les a informées qu’on savait où vivait leur famille dans leur pays d’origine !....On pourrait les nommer : nos sœurs Unetelle.

En cette période de rectitude politique, ce ne sont pas tous les médias qui leur offrent toute la place qui leur revient. Serait-ce que nos médias sont plus frileux que "Le Devoir" au temps d’André Laurendeau ?

Si ce dernier ne s’était pas tenu debout et avait eu peur de publier des articles critiques face à la toute-puissance des évêques, notre société n’aurait pas bénéficié alors de l’électrochoc nécessaire à notre libération.

La laïcité fait partie de cette libération.

1. "Aujourd’hui l’histoire", 4 décembre 2018.
https://ici.radio-canada.ca/premiere/emissions/aujourd-hui-l-histoire/segments/entrevue/97599/insolences-frere-untel-jean-paul-desbiens-marc-laurendeau
2. "Une femme sur dix seulement porte le voile, environ 15 000 sur une population de 150 000 ", selon Francine Pelletier, "La gauche et la laïcité", Le Devoir, 31 octobre 2018. Voir aussi le Journal de Montréal.

Mis en ligne sur Sisyphe, le 8 mai 2019

Françoise Breault, enseignante à la retraite


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