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Ma rentrée féministe 2019

5 septembre 2019

par Johanne St-Amour, féministe radicale et collaboratrice de Sisyphe

Juin a été pour moi incroyablement triste. Coup sur coup, j’y apprenais le départ de mon amie Djemila Benhabib pour Bruxelles et celui de mon amie Micheline Carrier, éditrice de ce site depuis 17 ans, vers des horizons où, j’espère, l’égalité est souveraine !

Je me sens moins triste en constatant que Djemila va rejoindre le Centre d’Action laïque (CAL) à Bruxelles, un organisme qui bénéficie d’un budget mille fois plus grand que celui accordé au Conseil du statut de la femme m’a-t-elle confié, enthousiaste.

Hum ! Pas difficile ai-je pensé, puisque sous l’austérité Couillard le budget du CSF a eu son lot de coupes à blanc. Mais le CAL c’est encore plus que le CSF des débuts quand il rayonnait dans toutes les régions.

En Belgique la laïcité est inhérente à la Constitution et bénéficie de subventions notoires, tout comme les différents organismes religieux. Pour vous donner une petite idée, le CAL coordonne les activités de 33 maisons de la laïcité uniquement du côté wallon ! Et ce, depuis maintenant 50 ans !

Notre loi 21 semble tellement modeste face à cette organisation qui promeut la séparation des pouvoirs de l’État et des religions et la liberté de conscience.

J’avoue, très humblement, que lorsque j’ai pris connaissance des mandats du CAL, je suis devenue verte de jalousie. Je le suis toujours !

"Liberté, égalité, solidarité" et "Libres ensemble"

Sur son site, le CAL déclare qu’il :

s’implique dans la vie de la cité. Il réfléchit, débat et agit sur tous les aspects de notre vie en société : enseignement, égalité et particulièrement celle entre les hommes et les femmes, début et fin de vie, culture, interculturalité, émancipation, autonomie, information… Il milite activement en faveur d’une justice équitable, du droit à profiter de la vie ici et maintenant, mais aussi contre l’intolérance, le racisme, le sexisme et tout ce qui asservit l’homme et la femme. De quoi justifier sa devise "Liberté, égalité, solidarité" et matérialiser son slogan "Libres, ensemble". (1)

L’offre de services est aussi variée que surprenante pour nous, Québécois.e.s : aide aux jeunes et aux enfants en difficulté, aide sociale aux justiciables et aux victimes, assistance morale, drogues et assuétudes, aide à la réussite scolaire, insertion sociale, interculturalité, lutte contre la précarité et même aide à la recherche d’emploi. (2)

Ma stupéfaction (et ma jalousie) a monté d’un cran lorsque j’ai remarqué qu’il y avait des cérémonies pour les mariages et les funérailles laïques, le parrainage et des fêtes laïques pour la jeunesse. Des solutions aux rituels que la religion catholique (ou protestante) avait accaparés dans notre société avant le processus de sécularisation !

Le CAL étincelant en Europe et à l’international, Djemila y a trouvé un univers propice à l’expression de ses engagements, de ses convictions et l’aboutissement de son imposant bagage d’expériences.

Toutefois, je soupçonne le CAL d’avoir trouvé en Djemila la médiatrice idéale à ses conventions. Québécoises et Québécois, nous sommes véritablement conscient.e.s de la valeur de celle que nous considérions comme NOTRE défenseuse de la laïcité, "NOTRE Djemila" !

Et je suis rassurée, son départ n’est qu’un aurevoir, car déjà elle désire proposer un projet au gouvernement de M. Legault. Je vous en fait part très prochainement.

Débordement et faussetés de Gabrielle Bouchard

On est en juin, la saison des vacances s’amorce et Gabrielle Bouchard, présidente de la Fédération des Femmes du Québec, s’active frénétiquement sur Twitter.

Sans explication, sans contexte, elle lance dans la mare son pavé sur la vasectomie obligatoire à 18 ans. Ce qui lui vaudra un tollé, mais également une entrevue avec Isabelle Hachey de La Presse "La femme qui dérange". (3)

À la suite de cet article, la présidente de Pour les Droits des Femmes Québec, Diane Guilbault, demandera un droit de réplique tout à fait justifié. D’autant plus que la journaliste accuse le groupe féministe de "terf", soit trans exclusionary radical feminist. Rien de moins ! (4)

Gabrielle Bouchard relaiera la réplique de Diane Guilbault en accusant PDF Q de "prôner la stérilisation des trans".

Abasourdie par ces débordements et ces faussetés, j’ai transmis un texte à Micheline Carrier pour énoncer ma consternation. Je n’ai reçu aucune réponse, réaction inhabituelle de la part de Micheline. Élaine Audet, co-éditrice de Sisyphe, sa complice depuis 2002, m’a annonçé l’affligeante réalité : Micheline était dans le coma.

Un coma duquel elle n’est jamais sortie.

L’héritage de Micheline

Ma tristesse n’avait d’égale que l’accroissement de la responsabilité dont je me sentais tributaire. D’autant plus qu’en plein tri de déménagement, je trouvai, quelques jours plus tard, des notes de Micheline sur le travail créatif de l’écriture.

Outre les suggestions face à l’inévitable page blanche, sur la structure, sur l’objectif, et ainsi de suite, elle me proposait de suivre mes obsessions, de me rendre au bout de ma démarche, car on ne sait jamais ce qui émergera, ce qu’on découvrira. Elle disait aussi que la création est thérapeutique ; on en retire tellement de gratification, de satisfaction. Mais qu’elle ne doit jamais être contraignante. Avant tout, l’envie et le plaisir devaient être au rendez-vous.

Elle relevait l’importance d’être indulgente envers soi, de développer de la souplesse, d’écrire au moment de la journée le plus propice pour soi à la création.

Les mots, les phrases pouvaient ressembler à du bafouillage, disait-elle, mais l’exercice d’écriture déconstruisait bien des blocages. Ne jamais se censurer et, après relecture, choisir. La création c’est ça aussi : choisir. Quelle liberté !

Elle disait que, plus jeune, elle se précipitait souvent impulsivement sur un sujet, ce qui ne m’a aucunement surprise connaissant son caractère fougueux, enflammé. Elle rajoutait : "Il peut être plus payant de contourner, d’encercler le sujet, de l’approcher avec vigilance, l’apprivoiser afin de trouver les propos les plus adaptés pour exprimer nos colères et nos indignations". Mais en fait, ce commentaire s’adressait peut-être particulièrement à moi, féministe engagée et passionnée. Ne suis-je pas l’une de ses héritières ?

"Le devoir d’acquisition de la justice parfaite"

Pour ma part, je lui offre pour la rentrée toute ma considération et ma gratitude, mais aussi mes obsessions de féministe radicale. Notamment à propos de l’activisme transgenre que je scruterai à la loupe, la majorité des médias ayant, selon moi, failli à la tâche jusqu’à maintenant.

Je reprendrai mon questionnement amorcé en juin suite aux déclarations étranges de Gabrielle Bouchard, dont celle-ci à Isabelle Hachey : "Le mouvement féministe a été bâti autour de l’utérus. Alors, arrêter de voir les femmes comme des objets reproducteurs et parler de la pluralité de leurs expériences, pour elles, c’est difficile" ?! (5)

Gabrielle Bouchard en a-t-elle fini avec ce qui semble être un acharnement à nier le corps des femmes ? Déjà qu’elle avait contesté les mots maternité et paternité lors d’une commission parlementaire en 2016 !

Qu’a-t-elle à dire aux femmes qui scandent "GET OUT OF MY UTERUS !" pour contester les nouvelles lois contre l’avortement en Alabama ? Les traite-t-elle de "terfs", elle aussi, et de transphobes comme elle le fait régulièrement sur Facebook ?

Jusqu’où réfutera-t-elle le sexe biologique des femmes ? Les évidences anatomiques, physiologiques, pathologiques, scientifiques du corps humain ?

L’abolition de la prostitution sera aussi, comme toujours, un de mes sujets de prédilection. Pour la journée internationale de non-prostitution, le 5 octobre, je brosserai un portrait de ceux sans qui la prostitution n’existerait pas : les acheteurs.

Je questionnerai les " assises ", les justifications et les prétextes qui dédouanent les acheteurs.

L’enfantement pour autrui sera aussi au cœur de mes préoccupations puisque la Consultation sur la réforme du droit de la famille pourrait changer les conditions des mères porteuses.

J’observerai les travaux de la sénatrice indépendante Julie Miville-Dechêne à ce sujet. Elle reconduit le travail amorcé alors qu’elle était présidente du Conseil du statut de la femme, où elle valorise l’altruisme des mères porteuses. Altruisme ou esclavage moderne, comme plusieurs organismes le dénoncent ?

En septembre, je vous entretiendrai du nouvel essai de Genevyève Delorme "Le Témoin Immodeste – Pour une épistémologie féministe des sciences", publié aux éditions Jet bleu éditrice/Les immodestes.

Avec cet essai, Genevyève Delorme désire apporter un éclairage féministe sur la méthodologie scientifique : une lumière au bout d’un tunnel sans fin où, encore une fois, les femmes n’ont pas eu tellement droit de cité. Et ce, dans un secteur rarement remis en question par les féministes. (6)

Cet automne, je vous parlerai aussi de ma lecture du livre de Fatiha Agag-Boudjahlat, féministe française laïque, universaliste et très engagée, "Combattre le voilement". Une femme qui n’a surtout pas peur des coups de gueule pour défendre ses positions, ni des analyses réfléchies.

Sisyphe.org est plus que jamais actif et militant.

Plusieurs se sont penchés sur le mythe de Sisyphe, condamné à recommencer sans fin à pousser son fameux rocher au sommet de la montagne. Personnellement, je fais mienne l’interprétation de Jean d’Ormesson : "C’est une métaphore du devoir de l’acquisition de la justice parfaite." (7)

Notes
1. Centre d’Action laïque
2. Idem.
3. Hachey, Isabelle, "La Femme qui dérange", La Presse, 12 juin 2019.
4. Guilbault, Diane, présidente de Pour les droits des femmes du Québec, " "Quelles femmes dérangent vraiment ?", La Presse+, 13 juin 2019.
5. Idem.
6. À noter que le 21 septembre, j’animerai une causerie avec l’autrice à la Librairie-Café Le Mot de Tasse à Québec.
7. Wikipedia, Sisyphe, 26 août 2016.

Mis en ligne sur Sisyphe, le 28 août 2019

Johanne St-Amour, féministe radicale et collaboratrice de Sisyphe


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