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Prostitution : quand la pandémie est un prétexte à protéger un système et ses exploiteurs

5 avril 2020

par Johanne St-Amour, féministe radicale et collaboratrice de Sisyphe


Je m’attendais à mieux de la part du Devoir qu’un mauvais reportage sur la détresse des acheteurs de la prostitution et les astuces « innovantes » d’un groupe qui maintient des femmes dans l’exploitation sexuelle. Mais c’est bien ce à quoi ressemble l’article de Jessica Nadeau, « L’industrie du sexe ne s’arrête pas ». (1)

Nous apprenions alors que les membres du groupe Stella sont des « expertes du sécurisexe ». « Des compétences transférables à d’autres types d’infection » sont intégrées dans ce contexte de pandémie.

Sandra Wesley, directrice de l’organisme qui défend les « travailleuses du sexe », soutenait qu’on travaillait, à travers le monde, à développer des guides pour minimiser les risques : « On tente de voir si ça se transmet dans le sperme ou non et quelles sont les précautions à prendre si quelqu’un est obligé de travailler ». On n’arrête pas le progrès ! Surtout que la distanciation ne semble pas au programme.

La prostitution serait-elle devenue un service essentiel ?

Derrière ces femmes qui auront besoin du revenu de la prostitution, Mme Wesley cache les hommes pour qui les désirs et fantasmes sexuels sont soi-disant incontrôlables.

Comment faire respecter des « nouvelles règles de sécurité » quand des exploiteurs ne respectent même pas le port du condom ? Quand les exploiteurs n’ont aucune considération pour les femmes qu’ils prostituent et sont axés sur leurs propres désirs ou leur propre profit ?

J’avais l’impression de lire un mauvais article du Journal des Affaires qui relatait le plan de réajustement d’urgence d’une entreprise indispensable à la population. Il ne s’agissait que d’une entreprise criminalisée que certains aiment bien appeler l’« industrie du sexe ».

« Les travailleuses du sexe s’adaptent toujours au marché et sont très créatives ! » Pensez au misérable gars qui est pris à la maison et n’a pas accès à sa « camgirl » ajoutait Mme Wesley. Le Devoir rapporte ces propos, alors que nos besoins de base sont actuellement soumis à des règles strictes pour s’approvisionner. Étonnant !

Prostituer est-il aussi devenu un droit ?

Un droit que popularise Mme Wesley qui, je le rappelle, est membre du CA de la Fédération des femmes du Québec.

Un droit qu’on dérobe sous le concept vaporeux d’agentivité des prostituées que la FFQ a voté en 2018, une façon détournée de cautionner la prostitution.

Madame Wesley en a profité pour demander la décriminalisation totale de la prostitution. Elle avait fait la même chose suite au meurtre de Marylène Lévesque à Québec.

Stella a l’habitude de mettre de l’avant les quelques femmes qui disent exercer cette activité par choix. C’est toujours plus « glamour ». La situation actuelle nous montre le côté plus réaliste, et plus dramatique : la pauvreté et la précarité des femmes qui sont exploitées. La très grande majorité.

Alors que les membres de la Concertation des luttes contre l’exploitation sexuelle (CLES) affirment qu’elles veulent davantage pour les femmes, un groupe comme Stella refuse de combattre les facteurs d’entrée dans la prostitution. Sandra Wesley souhaite que nos taxes et impôts prévoient un filet de sécurité, non pas pour offrir des alternatives plus viables pour ces femmes, mais afin que l’« industrie » perdure, que les acheteurs soient contentés et soulagés.

Depuis la proclamation de la Loi sur la protection des collectivités et des personnes victimes d’exploitation, promulguée en décembre 2014, moins de 250 prostitueurs ont été arrêtés par les forces de l’ordre.

On les prend parfois par la main afin de leur expliquer les enjeux du système d’exploitation qu’est la prostitution avec l’aide de survivantes ou on leur donne une amende minime, l’équivalent d’une petite tape sur les doigts.

En Suède, lors de la proclamation du « modèle nordique », une énorme campagne de publicité a été mise sur pied pour éduquer la population, notamment les acheteurs, sur les dégâts de la prostitution. Aujourd’hui, après 20 ans, les jeunes jugent la prostitution inacceptable. Elle est incompatible avec une société égalitaire.

Lors de la présentation du projet de loi criminalisant les acheteurs en 2014, Francine Pelletier, chroniqueuse au Devoir, se désolait « que [la loi rendait] quasi impossible le fait de pouvoir gagner sa vie de cette façon » ! Elle a aussi avancé l’ARGUMENT fétiche de tous les tenants de la prostitution : la sécurité des femmes.

Après le meurtre de Marylène Lévesque, Aurélie Lanctôt, autre chroniqueuse, a plaidé la mauvaise loi adoptée après l’arrêt Bedford et le même argument dénaturé de la « sécurité » !

Les seuls et uniques responsables des violences envers les prostituées, et elles sont nombreuses, sont les acheteurs et les proxénètes. Et non pas une loi. Dans des pays qui ontdécriminalisé la prostitution, la violence envers ces femmes a même augmenté. Ainsi que les violences et les viols envers toutes les femmes.

La violence fait partie de la prostitution, la sécurité y est impossible.

Le meurtre de Marylène Lévesque en est une preuve flagrante.

Des survivantes de la prostitution ont été soulagées de cette loi, car elle tempérait les acheteurs violents et minimisait leurs demandes irrecevables. Les prostituées n’étant plus criminalisées, elles avaient beau jeu d’appeler la police.

À la suite d’invectives envers les commissaires de la Commission spéciale sur l’exploitation sexuelle des mineurs par le groupe Stella, Émilie Nicolas avait appuyé le groupe. Elle parlait de la stigmatisation de la prostitution. Rien de moins ! Et de la nécessité de décriminaliser la prostitution bien sûr.

Un an après l’adoption de la loi fédérale en 2014, Hélène Buzetti avait dressé ce qu’elle appelait un bilan des conséquences de cette loi. Ce n’était rien d’autres que les doléances des personnes qui militent pour la prostitution.

Des opinions des abolitionnistes : nada. De celles des survivantes : nada.

Pour se justifier, elle m’avait dit qu’elle ne voulait pas rouvrir le débat sur la prostitution.

Lorsque la FFQ a voté son concept incongru d’ « agentivité », Marie-Andrée Chouinard avait sévèrement critiqué la FFQ : « Et voilà la prostitution soudain dénuée de toute violence, exploitation ou de tout état de vulnérabilité extrême. » affirmait-elle. C’est la seule du Devoir qui, à mon avis, a critiqué les propositions de la FFQ.

Le bouleversement que nous vivons actuellement nous éclaire sur le vécu de femmes les plus vulnérables de la société. La pandémie nous ramène à l’essentiel, enfin pour certaines personnes.

1. Nadeau, Jessica, "L’industrie du sexe ne s’arrête pas", Le Devoir, 1 er avril 2020,

Mis en ligne sur Sisyphe, le 4 avril 2020

Johanne St-Amour, féministe radicale et collaboratrice de Sisyphe


Source - http://sisyphe.org/article.php3?id_article=5572 -