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Prostitution au temps de la COVID
Témoignages de survivantes

11 mai 2020

par Johanne St-Amour, féministe radicale et collaboratrice de Sisyphe

Ce que la pandémie révèle essentiellement sur la prostitution, c’est une plus grande haine des consommateurs envers les femmes qu’ils exploitent, me confient des survivantes et des femmes qui ne voient pas d’autres alternatives à leur survie actuellement.

Également, la situation des femmes prostituées en temps de pandémie, n’est pas uniforme, malgré ce qu’en rapportent plusieurs médias dont les sources se limitent principalement à des groupes proprostitution.

La violence des consommateurs de prostitution

Ceux qui expriment le plus de violence envers les femmes prostituées sont ceux qui se vantent d’être respectueux. Leurs prétentions semblent leur donner bonne conscience au point de faire des demandes inaccoutumées et de payer moins pour ce qu’ils exigent.

La petite amie qu’on paie est la demande la plus réclamée actuellement. On parle de "girl friend experience" (GFE), c’est-à-dire faire comme si la femme payée était amoureuse. On parle aussi de "sugar babe", soit une femme exclusive à un « client » qu’il paie très bien et à qui il réclame des services sexuels régulièrement.

En ce cas, on désigne plus communément le consommateur de prostitution sous le nom de "sugar daddy". À noter que ces hommes ne sont pas nécessairement plus vieux.

On "installe" la prostituée à domicile, ce qui évite les absences, le partage et les délais de "service". Ainsi, l’acheteur a-t-il plein contrôle sur sa "girl friend" ou sa "sugar babe".

Le "service" GFE implique, de base, des baisers et de la tendresse ce qui, dans la prostitution, dérange la majorité des femmes qui y voit un acte sentimental qu’elles préfèrent réserver à une personne proche.

Certaines des femmes qui se sont confiées affirment que des hommes sont odieux envers elles si elles refusent de les recevoir moins fréquemment ou même pas du tout. Des consommateurs de prostitution aiment croire qu’ils sont les seuls, qu’ils sont uniques et peuvent devenir très jaloux.

Des hommes en couple avec des femmes prostituées et profitant parfois grassement des revenus qu’elles produisent, refusent d’embrasser leur conjointe comme ils le feraient habituellement. Alors qu’avant, l’hépatite, l’herpès labial ou d’autres maladies transmises par la salive ne les préoccupaient pas outre mesure.

De façon générale, il ressort depuis longtemps que les hommes qui paient pour du sexe ont davantage peur de la paternité et des éventuelles pensions alimentaires à pourvoir que des maladies qu’ils pourraient attraper.

Certains hommes ont besoin de sentir que les femmes sont enthousiastes pour maintenir leur désir. La prostitution rime avec faire semblant. La pire demande selon certaines, encore très populaire en ce contexte de pandémie.

Des proxénètes envoient leur amoureuse se prostituer, malgré les dangers, les contraignent à rapporter le plus d’argent possible et s’interdisent de l’approcher. Pour les femmes qui croient encore que l’amour est au cœur de la relation proxénète-prostituée, c’est blessant.

Ils peuvent aller jusqu’à leur demander de mimer des danses ou des gestes sensuels ou carrément pornographiques pour les stimuler tout en se caressant devant elle. Et parce qu’ils l’obligent, plus ou moins subtilement, à avoir des contacts avec d’autres, eux refusent une relation intime.

La précarité, la misère, la vulnérabilité des femmes prostituées sont les moindres des soucis de ces hommes. Une femme me dira crûment que ces hommes se foutent carrément des besoins et de la réalité des femmes, pourvu que leurs désirs soient remplis.

Si la violence conjugale a augmenté considérablement pendant la pandémie, il en est de même pour la violence envers les prostituées.

Une "agence de placement" de l’"industrie du sexe" ?

Une femme m’explique que des groupes proprostitution feraient office d’"agences de placement". Des femmes qui n’en peuvent plus de faire des "massages" dans tel salon, se voient offrir de "travailler" dans un autre salon ou de faire du "domicile". Ou encore de partir son propre salon ou sa propre agence d’escortes.

Il y aurait aussi une liste informelle des salons et agences, cotés non seulement selon les préférences des prostituées, mais aussi selon leur apparence : on n’envoie pas les plus « grassettes » ou les « moins belles » à tel salon jugé plus haut de gamme.

Toujours, ces militantes proprostitution les maintiennent dans la prostitution. Il n’en va pas autrement en temps de pandémie : il leur a été proposé d’offrir des services virtuellement. C’est sans compter celles qui ont continué à recevoir des clients, faisant fi des règles de confinement et à qui on promet des mesures sanitaires qui n’ont vraiment rien de scientifiques.

Ces faits sont rarement exposés. Pourquoi ?, demandent les femmes qui se sont confiées.

Les moyens utilisés par les femmes marginalisées

Au contraire de ce que décrit le groupe Stella, des femmes s’en sortent. Celles qui ont déclaré des revenus de 5000$ et plus l’année dernière bénéficient des prestations canadiennes d’urgence (PCU). Ce sont celles qui s’en sortent le mieux en fait.

Des prostituées qui ont demandé conseil à l’organisme se seraient fait répondre que ce n’était pas une bonne idée de déclarer leurs revenus, car elle seraient stigmatisées et marginalisées. Ce qui est faux selon les femmes interrogées. Plusieurs déclarent recevoir des revenus d’escortes ou de masseuses sans être jugées ou marginalisées.

Les groupes proprostitution ont tout intérêt à noircir la réalité pour discréditer la loi pénalisant les achats de services sexuels, adoptée en 2014 (Loi sur la protection des collectivités et des personnes victimes d’exploitation). Ils visent la décriminalisation totale de la prostitution.

Il semblerait également que des propriétaires de salons de massage ou autres lieux de prostitution n’aimeraient pas que des femmes déclarent trop de revenus, ce qui aurait comme conséquence de mettre à jour leurs véritables revenus à eux.

Outre les femmes qui ont déclaré des revenus en 2019, les femmes qui bénéficient d’allocations familiales sont également en meilleure position financière, car elles reçoivent davantage pendant la crise. Cela leur permet de tenir la tête hors de l’eau.

Des survivantes ont réussi à obtenir un emploi rapidement, bien que les études qu’elles avaient entreprises n’étaient pas terminées. Mais aussi d’autres ont perdu leur emploi, souvent précaire, sans recevoir de compensation.

Quelques-unes disent avoir fait appel à leurs consommateurs « privilégiés » pour une avance ou pour de l’aide, qui leur est souvent refusée. La détresse des femmes qu’ils exploitent ne les atteint pas.

Certaines femmes qui avaient entamé des démarches de sortie de la prostitution voient leurs efforts brisés et continuent de se prostituer. La famille proche, quand elles sont en bons termes avec elle, peut rarement les financer.

Certaines prostituées utilisent téléphones et webcams, mais cela a un coût. Et la peur d’être reconnue est réelle.

Cette crise aura permis à des femmes de réaliser que leur travail est invivable et inhumain : passer de « masseuse » à serveuse sexy n’est pas une promotion.

Celles qui ont plusieurs enfants risquent plus que d’autres d’accepter des situations insupportables parce qu’elles ont besoin du soutien financier de leur « protecteur » ou encore de leur ex-conjoint. Elles acceptent parfois de renouer avec celui-ci pour partager la responsabilité du soin aux enfants, difficile à diriger pendant la pandémie.

Vivre, encore, dans la pauvreté et la misère est la plus grande des peurs de toutes ces femmes.

Des solutions

Tous les groupes, abolitionnistes ou non, s’entendent sur une chose : il faut aider les femmes prostituées. Personne ne devrait être laissé pour compte, abandonné à son sort.

Pour les abolitionnistes, il faut le faire sans jamais donner l’impression que la prostitution est un travail. Et toujours garder en tête qu’y recourir est un réflexe de survie dans la très grande majorité des cas.

Il faut instaurer un salaire minimum garanti. Particulièrement à court terme sans juger de l’activité effectuée. De cette façon, plusieurs n’auront pas besoin de recourir à la prostitution.

À moyen et long terme, il faut appliquer la loi de 2014 pour diminuer la demande. Mais surtout éduquer la population, notamment les consommateurs, sur cette violence qu’est la prostitution.

Il est primordial de se pencher sur les facteurs d’entrée dans la prostitution : la banalisation, la présentation faussement attrayante de la prostitution, la violence subie dans l’enfance et qui perdure dans la prostitution, la mauvaise estime de soi, le peu de perspective de réussite professionnelle, la pauvreté et la précarité d’emploi.

Il serait temps qu’on se penche sur ces « décrocheuses », car les possibilités pour un travail convenable sont moindres que celles offertes aux décrocheurs.

On ne peut pas encourager à moyen ou à long terme les organismes qui vont continuer à maintenir des femmes dans la prostitution. Cela envoie le message que les femmes sont prostituables et les maintient dans la violence, la marginalité, la fragilité et l’incertitude.

Et surtout ce n’est pas ce que veulent les survivantes et les femmes prostituées pour leurs enfants ou pour n’importe quel enfant.

Une fois qu’on aura véritablement appliqué la loi, arrêté les acheteurs et les proxénètes, accordé un revenu minimum aux femmes marginalisées, subventionné généreusement les groupes qui aident les femmes à sortir de cet enfer, là on pourra compter les femmes qui font de la prostitution librement, qui mettent de l’avant leur prétendue "agentivité". Ce nombre risque d’être minime. Très minime.

Merci à toutes ces femmes qui ont accepté de me parler. Pour des raisons évidentes, leur anonymat sera conservé.

Mis en ligne sur Sisyphe, le 10 mai 2020

Johanne St-Amour, féministe radicale et collaboratrice de Sisyphe


Source - http://sisyphe.org/article.php3?id_article=5576 -