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Les « vérités » contradictoires de l’Église catholique sur le mariage gai
22 septembre 2003
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Dans le message qu’elle vient d’adresser aux catholiques sur le mariage, la Conférence des évêques catholiques du Canada (CECC) déclare que, parce que les couples hétérosexuels jouent un rôle central dans la procréation et dans l’éducation des générations futures, l’État a le devoir de protéger ce qu’elle considère comme la "cellule de base de la société". Pour bien enfoncer le clou, le président de la CECC, l’évêque de Saint-Jean-Longueuil Jacques Berthelet, ajoute que les évêques s’inquiètent du sort des enfants dans le cadre d’un mariage gai et que lui-même, "dans la charité et le respect des personnes" bien sûr, ne pense pas "qu’on puisse dire des couples homosexuels qu’ils apportent quelque chose d’irremplaçable à la société et qu’ils construisent la société".
Ce n’est pas la moindre ironie de l’histoire que cette distinction émane d’un groupe d’hommes qui ont tous volontairement embrassé le célibat comme mode de vie. Mais, outre le fait que tende vers zéro, en matière de bien des enfants, la crédibilité d’un clergé qui a laissé sévir les Christian Brothers pendant des années et traité les orphelins de Duplessis avec la charité et le respect des personnes que l’on sait, cette distinction trahit une contradiction fondamentale dans l’enseignement catholique.
Depuis des siècles, et encore aujourd’hui sous la gouverne de Jean-Paul II, la hiérarchie invoque un idéal de perfection plus élevé que l’état du mariage en proclamant la supériorité théologique du célibat et de la chasteté des religieux et des prêtres. Dans une des lettres traditionnellement adressées au clergé mondial lors du Jeudi Saint de l’Année mariale 1988, Jean- Paul II n’invitait-t-il pas les prêtres à "se faire eunuques" au nom du Royaume des cieux et, dans une de ces invraisemblables métaphores familiales dont le clergé catholique a le secret, à miser sur l’aide de la "Vierge-Mère" pour continuer d’exercer, dans le célibat, leur "paternité selon l’esprit" au sein d’une Eglise "Mère" dirigée exclusivement par des hommes.
Cinq ans plus tôt, en évoquant plus généralement la vie spirituelle des catholiques devant les évêques américains (dont on devait apprendre par la suite le douteux degré d’attachement à l’abstinence sexuelle), Jean-Paul II ne déclarait-il pas préférer, à l’état plus commun du mariage, non seulement celui de la chasteté, mais plus radicalement celui de la virginité, cette virginité qui, "au nom du Royaume des cieux exprime mieux le cadeau du Christ au Père en notre nom" ?
Ce n’est pas le moindre paradoxe de cet idéal que, fût-il pratiqué éventuellement par tous, comme cela devrait être par définition le cas, il mènerait à l’extinction de l’espèce humaine en une génération. Il y a donc quelque chose d’irréductiblement erroné dans un tel idéal et cela d’autant plus, qu’il procède d’un choix délibéré, choix que des couples homosexuels, parfaitement capables d’avoir des enfants, ne font pas eux-mêmes.
Les contradictions ne sont pas le fait du seul clergé. En effet, combien de sénateurs non élus et de député(e)s qui, se prévalant du privilège d’un vote libre au Parlement pour exercer leur propre liberté de conscience aux dépens de celle de concitoyens et de concitoyennes qui ne partagent pas leurs croyances, s’apprêtent à défendre un enseignement ecclésial qu’ils ne respectent pas eux-mêmes totalement dans leur propre vie ?
Puisqu’ils sont prêts à réglementer la vie privée et publique des autres au nom de leurs valeurs personnelles, les députés et les sénateurs catholiques qui comptent voter contre le mariage gai n’ont- ils pas le devoir de faire toute la lumière sur leur vie privée en faisant publiquement le serment solennel qu’ils vivent toujours avec le même ou la même conjointe épousé(e) devant un prêtre, qu’ils n’ont jamais eu de rapports sexuels qu’avec cette personne, et qu’ils ont pratiqué une complète abstinence en ce domaine avant de se marier et n’ont jamais eu recours à la contraception depuis lors ?
Aux reproches fréquents qui lui sont faits d’être déconnectée de la réalité et de se cantonner dans sa tour d’ivoire, reproches que semblent confirmer les propos de l’archevêque de Montréal Jean- Claude Turcotte quand il avoue ne pas connaître les conséquences du mariage gai sur les enfants ("Je n’en sais rien") mais proclame "avoir lu beaucoup de traités sur la psychologie dans (sa) vie", l’Église catholique aime répondre qu’elle défend courageusement une Vérité intemporelle contre les dérapages d’une société à laquelle elle refuserait de la prostituer.
Or, outre le fait que l’Église catholique ne s’est jamais gênée pour invoquer le contexte d’une époque quand il s’agissait d’excuser ses errements historiques, les positions qu’elle défend sur le mariage gai non seulement ne ressortissent pas d’une Vérité éternelle, mais pèchent théoriquement contre sa propre logique et sont infirmées dans la pratique par son propre comportement.
Bien qu’elle invoque l’autorité divine, l’Église catholique demeure une institution humaine qui défend des intérêts humains et adopte des points de vue fort humains. Il n’est que d’écouter les hypothèses de l’archevêque Jean-Claude Turcotte sur les conséquences possibles de la légalisation du mariage gai (mariage entre frère et soeur, entre père et fille, entre mère et fils !), hypothèses qu’il qualifie lui-même de "farfelues", pour s’en rendre compte.
On ne peut que s’étonner alors que l’évêque Jacques Berthelet recommande aux catholiques de former leur conscience entre autres par "la lecture attentive des Écritures". N’y apprendront-ils pas par exemple qu’après la destruction de Sodome, les filles de Lot couchèrent avec leur père pour assurer une descendance (Gn 19, 30-38) ?
M. Turcotte dit recourir à de telles hypothèses pour manifester son inquiétude devant d’imprévisibles conséquences négatives du mariage gai. Or, il est des conséquences néfastes de son opposition qui, à la lumière du passé, sont, elles, parfaitement prévisibles. Il n’est pas nécessaire que les autorités lancent des appels au meurtre pour cautionner l’oppression. Comment les théologiens et les papes qui disent condamner le péché mais non pas le pécheur, le "désordre" de l’homosexualité mais non pas la personne de l’homosexuel, peuvent-ils espérer que le laïc et le clerc moyens vont faire cette distinction ? Les pontifes du Moyen Âge n’incitaient pas les chrétiens à persécuter les juifs, ils répétaient seulement que ceux-ci s’entêtaient dans l’erreur.
Quelle arrogance que de croire qu’on est seul à détenir la Vérité ! N’y a-t-il pas même quelque chose de quasi blasphématoire à qualifier d’ "erreur de la Nature", voire d’erreur de Dieu, l’existence même d’une catégorie complète de personnes ? S’il y a conflit entre nos croyances et la réalité, ne serait-ce pas nos croyances qui devraient être appelées à changer plutôt que de tenter vainement de plier la réalité à nos croyances en déniant le droit d’aimer à des millions d’individus ?
Comment peut-on prétendre parler avec " charité", dans le même souffle (et à l’encontre de la plus criante évidence) qu’on affirme ne pas penser qu’un groupe entier de personnes puisse apporter quelque chose d’irremplaçable à la société ? Simone Weil, la grande mystique et militante du XXe siècle, n’écrivait-elle pas, dans une lettre à Georges Bernanos : « J’ai eu le sentiment, pour moi, que lorsque les autorités temporelles et spirituelles ont mis une catégorie d’êtres humains en dehors de ceux dont la vie a un prix, il n’est rien de plus naturel à l’homme que de tuer. Quand on sait qu’il est possible de tuer sans risquer ni châtiment ni blâme, on tue ; ou du moins on entoure de sourires encourageants ceux qui tuent. »
L’histoire judiciaire récente des pays occidentaux le prouve puisque les tribunaux considéraient souvent l’homosexualité de la victime d’agression comme une circonstance atténuante pour l’inculpé. La notion récente de "crime haineux" en constitue d’ailleurs une preuve a contrario.
Non, l’Eglise catholique ne défend pas la Vérité. Elle ne défend même pas sa vérité puisque son discours est truffé de contradictions. De par la nature de son opposition au mariage gai, l’Eglise est une force d’oppression comme les autres.
Ce n’est pas parce qu’on opprime au nom de Dieu que l’oppression devient sacrée.
Version intégrale d’un article paru en abrégé dans Le Devoir, le 19 septembre 2003.
Mis en ligne sur Sisyphe le 22 septembre 2003
P.S.
Le mariage, reflet de la société, par Ann Robinson. Sujet d’un débat sur La Parole citoyenne de l’ONF.
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