source - http://sisyphe.org/article.php3?id_article=659 -



Le prétendu "Vol du féminisme" - un pamphlet antiféministe fondé sur des anecdotes truffées d’erreurs
Une critique du livre de Christina Hoff Sommers

20 octobre 2003

par Laura Flanders, journaliste

Dans son livre Who Stole Feminism ? How Women Have Betrayed Women, Christina Hoff Sommers sonne l’alarme : « Le féminisme états-unien est présentement dominé par un groupe de femmes qui cherchent à persuader les gens que les États-uniennes ne sont pas les êtres libres que nous croyons être », écrit-elle. À l’en croire, ces féministes « ont aliéné et censuré les femmes et les hommes ». Aux communistes cachés sous chaque lit auraient succédé de menaçantes féministes dans chaque salle de classe : « Ces éveilleuses de conscience chassent les véritables universitaires de plusieurs campus. »



Contrairement aux femmes « bien adaptées » de la « première vague » du féminisme au XIXe siècle, les « féministes de genre » - une étiquette inventée par Sommers pour désigner les féministes modernes qu’elle n’aime pas - manipulent les faits, étouffent tout débat et s’approprient budgets et influence.

« Les féministes de genre se sont montrées très adroites pour aller chercher l’appui financier de sources gouvernementales et privées ; elles détiennent les clés de plusieurs fiefs bureaucratiques », écrit Sommers, sans toutefois citer de statistiques. « Il est devenu pratiquement impossible d’accéder à un poste d’administrateur universitaire sans avoir obtenu l’aval des féministes de genre », affirme-t-elle.

Alors même qu’elle conspue les féministes pour ce qu’elle appelle leur attitude « victimaire », elle se plaint que les conservatrices comme elle sont l’objet d’attaques personnelles : « Il est devenu extrêmement périlleux de critiquer l’idéologie féministe. »

Sommers, professeure agrégée à la Clark University, a tout à fait droit à ses opinions. Le problème, c’est que son livre, publié par Simon & Schuster, prétend à un contenu factuel. La revue conservatrice The National Review en a publié, le 21 juin 1994, un extrait sous le titre « Why Feminism’s Vital Statistics Are Always Wrong » (Ce pourquoi les statistiques fondamentales du féminisme sont toujours erronées). Mais son propre ouvrage est rempli du genre d’erreurs de fait, d’accusations non fondées et de citations de « recherches engagées » qu’elle prétend trouver dans les travaux des féministes qu’elle conteste.

Les mythes de l’antiféminisme

Dans une recension publiée dans The Wall Street Journal (1er juillet 1994), Melanie Kirkpatrick prend des accents lyriques : « Un des atouts de Who Stole Feminism est son absence de parti pris politique (...) Madame Sommers se contente d’aligner des faits et de faire mouche, coup après coup. »

En fait, tout comme d’autres opposants de la « rectitude politique » avant elle, Sommers mise lourdement sur une poignée d’anecdotes antiféministes usées, qui sont autant de mythes. Ainsi, les lectrices de Who Stole Feminism y retrouvent la contre-vérité rapportée par Katie Roiphe (auteure de The Morning After) et par Sarah Crichton de Newsweek (25 octobre 1993) au sujet d’une étude sur le viol en milieu universitaire qui comprenait la question suivante, « Avez-vous déjà eu des rapports sexuels non désirés parce qu’un homme vous avait donné de l’alcool ou de la drogue ? » Tout comme Roiphe et Crichton, Sommers exagère l’importance relative de cette question en prétendant que « (...) si l’on retire du sondage les réponses positives données à la question huit, le compte d’une universitaire sur quatre qui aurait été victime d’un viol ou d’une tentative de viol tombe à une sur neuf ».

Mary Koss, l’auteure de l’étude en question, écrit en toutes lettres dans l’ouvrage Current Controversies in Family Violence (un livre que cite Sommers) que, si l’on retire les réponses à cette question, c’est une étudiante sur cinq et non sur neuf qui a été victime de viol ou de tentative de viol. Le chiffre d’un sur neuf ne concerne que les viols complétés, comme en témoigne un article de journal que Sommers a apparemment lu de travers.

Sommers nous ressert également le mythe selon lequel une professeure de littérature anglaise à la Pennsylvania State University se serait « indignée » d’un tableau de Goya, La Maja desnuda, dont une reproduction ornait sa salle de classe. D’après Sommers, qui ne cite en source que le journal The Pottsville Republican, cette professeure aurait « déposé une plainte officielle de harcèlement » et obtenu que le tableau soit décroché. Ce n’est pas ce qu’en dit la première concernée, l’enseignante Nancy Stumhofer, qui a souligné dans la revue Democratic Culture (Printemps 1994) ne s’être jamais objectée au tableau lui-même mais aux commentaires d’étudiants masculins à ce sujet pendant qu’elle essayait d’enseigner. « Je n’ai jamais prétendu avoir été harcelée sexuellement par le tableau. » Il n’y a jamais eu non plus de plainte officielle déposée.

S’en prenant à l’argument féministe selon lequel la violence conjugale était tolérée dans la common law britannique, Sommers cite l’historien du droit William Blackstone, qui écrivait au XVIIIe siècle : « Il était interdit au mari d’exercer contre sa femme la moindre violence... ». Mais son ellipse fait disparaître une expression latine que Sommers a soit négligé de traduire, soit décidé d’ignorer. En français, cette expression signifie : « ...autre que celle qui revient légalement et raisonnablement au mari pour la juste gouvernance et correction de son épouse. » (Linda Hirshman, Lettre au L.A. Times, 31 juillet 1994). En d’autres mots, la citation complète dit exactement le contraire de la version tronquée qu’en présente Sommers.

Même lorsque Sommers repère une authentique gaffe féministe, elle fait elle-même des erreurs. Dans son ouvrage The Beauty Myth (Le mythe de la beauté), Naomi Wolf avait prétendu que l’anorexie tuait 150 000 femmes par année aux USA. Sommers indique que ce chiffre correspond en fait au compte annuel de cas d’anorexie. Mais elle affirme ensuite que le nombre réel de morts dues à l’anorexie est « inférieur à 100 [décès] par année ». Ce chiffre est hautement discutable puisqu’il s’en tient au décompte des certificats de décès. Or, l’anorexie est rarement indiquée comme cause de la mort sur ce document ; les décès liés à l’anorexie sont habituellement attribués à une défaillance cardiaque ou à un suicide. Les études consacrées à l’anorexie donnent à penser que le taux de morbidité de cette affection peut atteindre 15 pour cent ou plus. (The Course of Eating Disorders, Herzog et al, dir.).

Comme le dit elle-même Sommers, « Où étaient les vérificatrices de statistiques, les rédactrices en chef, les journalistes sceptiques ? » Naomi Wolf a depuis longtemps reconnu son erreur, tout comme Gloria Steinem qui avait répété cette statistique. Mais Sommers semble éprouver plus de difficulté à reconnaître les faits et à corriger ses erreurs.

« Mer de crédulité »

Dans son compte rendu d’une campagne lancée par l’organisation FAIR pour amener le réseau de télévision NBC à mettre en ondes un message d’intérêt public de 30 secondes de sensibilisation à la violence conjugale juste avant sa télédiffusion du Super Bowl de 1993, Sommers reprend de façon acritique la version particulièrement biaisée qu’a donné de cet événement un journaliste, et elle y ajoute des erreurs de son cru.

Sommers écrit qu’il n’existait « aucune base pour parler d’une hausse marquée de la violence conjugale le dimanche du Super Bowl ». Son livre donne à croire qu’elle n’a jamais lu le communiqué de presse émis par FAIR le 18 janvier 1993 où cette organisation justifie le fait de parler de violence conjugale le jour du Super Bowl. On pouvait y lire : « Le Super Bowl est un des événements télédiffusés les plus populaires de l’année. Malheureusement, les centres d’hébergement de femmes rapportent que le dimanche du Super Bowl est également un des pires jours de l’année pour la violence exercée contre les femmes à domicile. » Le communiqué citait des comptes rendus de presse (New York Times, 5 et 22 janvier 1992 ; Chicago Tribune, 27 janvier 1991), basés sur les témoignages d’intervenantes auprès de femmes victimes de violence conjugale.

En contraste avec ce qu’elle appelle une « mer démontée de crédulité médiatique » - y compris au moins une journaliste qui publiait des textes sur la violence associée au Super Bowl depuis plusieurs années avant la campagne de FAIR -, Sommers monte en épingle « un îlot isolé d’intégrité professionnelle », soit Ken Ringle, un rédacteur à l’emploi du Washington Post. Il est surprenant de la voir faire de Ringle un modèle d’éthique journalistique : en mars 1993, The American Journalism Review a conclu que, dans son article consacré à l’affaire du Super Bowl, celui-ci semble « avoir manipulé des citations et en avoir fait un usage sélectif en appui à sa thèse ». L’AJR note également que l’ombudsman du Post a reconnu l’existence d’« inexactitudes et de « failles » dans le reportage de Ringle. Sommers mentionne cet article de l’AJR dans une note en bas de page mais sans en citer une ligne.

Sommers se présente comme une sceptique convaincue de l’importance de toujours consulter la source d’une information. Pourtant, ni elle ni Ringle n’ont jamais téléphoné au bureau national de FAIR à New York pour vérifier leurs prétentions ou pour obtenir copie des communiqués distribués par FAIR. Sommers n’a même pas consulté un calendrier. Sa chronologie des événements place le Super Bowl Sunday de ’93 un 30 janvier, qui était en fait un samedi.

Sommers prétend également que, peu avant le Super Bowl, « Dobisky Associates, les publicistes de FAIR, ont fait un envoi postal massif pour avertir les femmes à risque de violence conjugale de ’ne pas rester auprès de lui durant la partie’. » Si Sommers (ou Ringle) avaient pris la peine de communiquer avec FAIR, l’une ou l’autre auraient appris que les gens de FAIR n’avaient jamais collaboré avec Dobisky Associates et même qu’ils n’en avaient jamais entendu parler avant de lire l’article de Ringle.

Dans son compte rendu, Sommers se sert de citations empruntées à un psychothérapeute nommé Michael Lindsey, qui figuraient dans l’article de Ringle. Elle cite même un de ces commentaires à deux reprises, pour bien marquer le coup. Cependant, elle ne mentionne pas que l’ombudsman du Post a reconnu que les remarques de Lindsey avaient été citées hors contexte par Ringle.

Sommers ne mentionne pas non plus que les opinions attribuées à Lindsey par Ringle - une critique de la campagne de FAIR à l’occasion du Super Bowl et un déni du lien entre le football et la violence conjugale - ont été directement contredites par des citations exactes de Lindsey, publiées dans le New York Times le même jour (31 janvier 1993). « Ce message d’intérêt public va sauver des vies, a dit Lindsey. Elle va donner à des gens la permission d’appeler à l’aide, exactement comme une telle quantité de violence au football donne à des gens la permission de battre une conjointe. »

Un féminisme de droite ?

Sommers se dit féministe et la plupart des journalistes la croient sur parole. Elle a été présentée comme telle à la télévision et bon nombre des recensions de Who Stole Feminism ? ont paru sous des titres comme Rebel in the Sisterhood (Une rebelle au sein de la sororité) (Boston Globe, 16 juin 1994) ou A Feminist on the Outs (Une féministe qui décroche) (Time, 1er août 1994).

Pourtant, Sommers déclarait un peu plus tôt cette année-là au magazine pour hommes Esquire (février 1994), « Il y a un tas de filles d’apparence plutôt moche en études féministes. Tous ces sermons anti-hommes et anti-sexe sont pour elles une façon de compenser pour divers maux d’amour - elles en veulent simplement aux belles filles. » En comparaison, un réactionnaire comme le pamphlétaire Rush Limbaugh (« Le féminisme a été créé pour faciliter l’intégration sociale des femmes sans grâce. » - Limbaugh Letter, mars 1994) est un féministe !

En fait, Limbaugh - une fontaine avérée de désinformation - et Sommers, qui se décrit comme une perfectionniste en matière d’exactitude, ne cessent de s’envoyer des fleurs. Limbaugh offre une promotion continue à « l’ouvrage brave et courageux » de Sommers (émission radio, 14 juin 1994), et celle-ci lui répond, dans une lettre qu’il a lue en ondes (26 juillet 1994) : « Je suis fier de votre enthousiasme pour mon livre et je vous prie de ne pas cesser d’en parler à votre auditoire. »

Sommers prétend que « sur la scène publique, je suis une libérale » (Boston Globe, 14 novembre 1994), même si Who Stole Feminism a surtout été applaudi par la Droite. À l’émission Crossfire, le politicien de droite Pat Buchanan a déclaré que « Madame Sommers tire en plein dans le mille » (4 juillet 1994). Une ex-rédactrice de discours du président Reagan, Mona Charen, qualifie Sommers de « femme courageuse » (Rocky Mountain News, 2 juin 1994). Un chroniqueur de la revue U.S. News, John Leo, vante ses louanges dans un article où il prétend que les hommes subissent autant de violence conjugale que les femmes. Camille Paglia, célèbre pour son harcèlement du mouvement des femmes, fait l’éloge du livre de Sommers dans des propos adressés au Boston Globe (6/26/94) : « C’est un tel filon (...) Si quelqu’un tente de s’opposer à cela aujourd’hui, cela équivaut à cracher contre le vent. »

Rien d’étonnant à ce que des conservateurs se réjouissent de cette plus récente attaque contre le féminisme, puisque ce sont des fondations de droite qui en ont financé la publication. Sommers a beau se plaindre qu’il « n’est pas si facile d’obtenir des subventions pour une étude qui critique les erreurs et les excès de l’establishment féministe », elle ne remercie pas moins les fondations de droite Olin, Bradley et Carthage leur « soutien gracieux et généreux » sans lequel « je n’aurais pas pu écrire ce livre ». En fait, les registres de ces fondations révèlent que ces trois organismes de droite lui ont accordé au moins 164 000 $ entre 1991 et 1993 pour écrire son livre, et ce en plus d’une avance de plus de cent mille dollars consentie par l’éditeur Simon & Schuster (Boston Globe, 17 mars 1992).

Dès sa publication, Who Stole Feminism ? a eu droit à la page couverture de la National Review (21 juin 1994), un autre bénéficiaire de la fondation Olin. Sommers doit s’adresser en septembre (1994) au McLaughlin Group, dans une série de conférences également subventionnée par Olin. La recension publiée par Newsweek (20 juin 1994) prédisait que l’ouvrage de Sommers serait le manifeste le plus discuté depuis Backlash de Susan Faludi. Il est vraiment dommage que l’auteure de cet article, Laura Shapiro, n’ait pas enquêté sur les ficelles de ce succès.

Les fondations conservatrices qui assurent la promotion de Who Stole Feminism ? ne sont certainement pas intéressées à promouvoir « un féminisme plus représentatif et moins doctrinaire », comme Sommers aime décrire sa mission. Le groupe Olin, par exemple, est la fondation qui a financé la publication du livre Illiberal Education, le pamphlet de Dinesh D’Souza contre les universitaires progressistes, ainsi qu’un livre calomnieux de David Brock, The Real Anita Hill.

Si un ouvrage comparable avait été financé par une alliance de fondations aux convictions de gauche, on se serait sans doute attendu à ce que des journalistes non alignés utilisent ce facteur pour le discréditer ou, plus probablement, pour l’ignorer. En contrepartie, si les grands médias s’intéressaient régulièrement aux débats qui occupent le féminisme, la plupart des arguments de Who Stole Feminism ? feraient fait figure de vieille histoire. Le mouvement des femmes a toujours fait place aux controverses - par exemple, entre celles qui attribuent l’oppression des femmes aux contraintes biologiques et celles qui ciblent plutôt les rapports sociaux de pouvoir. Et il y a plus d’un siècle que des féministes débattent des avantages et des inconvénients de lois « protectrices » en matière de prostitution et de pornographie. Il est symptomatique de la négligence ou du préjugé des médias que l’examen superficiel de ce débat par Sommers ait bénéficié de plus d’attention qu’un livre comme Pleasure and Danger, une anthologie consacrée à ces enjeux par Carole Vance, une décennie plus tôt.

Si les auditoires télé avaient été habitués à des échanges entre diverses avocates des droits des femmes, les gens auraient trouvé parfaitement absurde la prétention de Sommers à ranger dans le camp des « féministes de genre » des intervenantes aussi différentes que l’avocate anti-pornographie Catharine MacKinnon et la journaliste Susan Faludi.

De la « rectitude politique » aux féminazies

Non, la plupart des grands médias se sont contentés d’accorder à Who Stole Feminism ? le traitement superficiel qu’ils réservent d’habitude aux thèmes féministes. Ainsi, Delia O’Hare a pu écrire dans The Chicago Sun-Times qu’elle remerciait cet ouvrage de « nous rappeler qu’un scepticisme infatigable demeure un excellent instrument du civisme ». Elle a affirmé « n’avoir trouvé qu’une seule erreur de fait » dans sa vérification des assertions de Sommers (26 juin 1994).

O’Hare n’a pas dû faire beaucoup d’efforts. L’ouvrage de Sommers est truffé d’erreurs, qui vont de qualifier régulièrement la National Organization for Women de National Organization of Women jusqu’à faire dire à une de ses sources que le relativisme culturel constitue un « goon » (gorille), alors que la personne interviewée avait parlé d’un « boon » (bienfait).

Les ouvrages politiques méritent des lecteurs et lectrices plus alertes. Ils exigent également d’être situés dans un contexte élargi. Une rédactrice du Boston Globe, Barbara Carton, a présenté le pamphlet de Sommers comme reflet d’un « conflit interne du féminisme ». En fait, le travail de Sommers s’inscrit dans une conjoncture plus vaste. En 1984, William Bennett, alors président du National Endowment for the Humanities (NdT : l’équivalent états-unien du Conseil des Arts du Canada), a déclaré qu’il fallait arracher l’enseignement supérieur aux réformateurs des programmes classiques (To Reclaim a Legacy). Dix ans plus tard, Sommers reprend la même accusation, en ciblant cette fois les « féministes de genre ».

Les idéologues déchaînés contre la « rectitude politique » au cours des années 1980 se plaignaient de la façon dont les éléments radicaux des années 1960 avaient marginalisé et fait taire les traditionalistes, alors même que les débats survenus au sein du NEA démontraient qui avait le pouvoir de censurer qui. Remplaçant « les radicaux des années 60 » par les « féministes » dans son discours, Sommers adhère au lobby anti-rectitude politique en appuyant la National Association of Scholars (NAS). « Une seule organisation, écrit-elle, se préoccupe ouvertement de ce que font les transformationnistes », la NAS. Elle suggère que cette organisation est mal financée et manque de personnel. « Contrairement aux transformationnistes, la NAS est entièrement autonome. »

Elle passe sous silence les appuis dont dispose la NAS aux plus hauts échelons de l’establishment états-unien. Créée en 1987 avec l’aide de la Fondation Olin (In These Times, 27 mai 1992), la NAS dispose du soutien de mécènes conservateurs comme Olin, Bradley et Coors. Trois de ses membres, nommés par le président Bush père, siègent au National Council on the Humanities. Le NCH, qui gère le National Endowment for the Humanities, est l’organisme fédéral qui exerce sans doute la plus grande influence sur la recherche et les programmes en matière de sciences humaines.

En contrepartie, Sommers agite le spectre de « féministes de genre » dans les coulisses du pouvoir. Elle affirme que Donna Shalala, décrite comme un « poids-lourd de l’équipe misandriste » « gère un ministère dont le budget annuel équivaut presque au double de celui de la Défense », sans toutefois mentionner que plus de 95 pour cent du budget de la Santé et des Services sociaux est composé d’éléments non discrétionnaires comme la sécurité sociale et les programmes d’assurance-maladie et Medicaid. La prétention que le ministère de Shalala possède plus de pouvoir économique que le Pentagone est pour le moins trompeuse.

Si les grands médias prenaient plus au sérieux le débat sur les questions féministes, on aurait sans doute vu les thèses de Sommers soumises à des analyses plus rigoureuses. On l’a plutôt vue pratiquement incontestée à l’émission Equal Time de CNBC (15 juillet 1994), avec la journaliste-animatrice Susan King et la co-animatrice Linda Chavez, une ex-commissaire aux droits civiques sous le régime Reagan, qui semblaient convenir avec Sommers qu’il existait réellement des « féminazies ».

À l’émission Crossfire de CNN (4 juillet 1994), Eleanor Smeal du Fund for a Feminist Majority a tout de même eu quelques instants pour confronter Sommers au sujet du contenu factuel de son livre. « Les seules occasions où Smeal est invitée à des heures de grande écoute sont sacrifiées à défendre le féminisme contre des accusations absurdes, » souligne la directrice des relations publiques du FFM, Colleen Demody. « On ne la laisse jamais définir les conditions du débat. »

On ne peut malheureusement pas en dire autant de Christina Hoff Sommers.

(Traduction : Martin Dufresne)

Extrait de : Real Majority, Media Minority : The High Cost of Sidelining Women In Reporting, Monroe, ME, Common Courage Press, 1997.

À paraître en mars 2004 : Bushwomen : Tales of a Cynical Species, chez Verso Books.

Traduit et publié avec l’autorisation de Laura Flanders

Mis en ligne sur Sisyphe, le 3 octobre 2003

Laura Flanders, journaliste


Source - http://sisyphe.org/article.php3?id_article=659 -