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L’identité masculine ne se construit pas contre l’autre

14 octobre 2003

par Robert Ayotte, directeur de L’Accord Mauricie

Depuis quelque temps, nous prenons connaissance de documents, de discours, de positions sur la place que le mouvement féministe a conquise depuis de nombreuses années. Il n’est nullement question, dans cet article, de faire l’analyse des orientations que prennent les femmes mais plutôt de regarder ce qui se cache derrière les positions de certains groupes pour hommes. En lisant certains écrits, questionnements et réflexions surgissent sur le sens qu’il faut donner à ces discours masculins.



Pour bien introduire nos réflexions, il nous faut, au préalable, identifier ces questionnements dont voici les principaux :

 À qui profitent certains discours anti-féministes que l’on entend actuellement au Québec (à qui servent-ils réellement) ?

 À quoi répondent ces discours, ces écrits ?

 Puisqu’il s’agit de discours revendicateurs, en quoi l’homme se sent-il menacé ?

 Qu’est-ce qui se cache chez l’homme derrière ces discours ?

 Quel est le danger de tels discours pour la société ?

Notre société, en regard des relations hommes-femmes, n’a guère évolué. Ou plutôt si... Les prises de positions des groupes de femmes ont obligé les hommes à se redéfinir comme individus et ce, tant dans leur rôle personnel et familial qu’économique et sociétal.

Qu’on le veuille ou non, les rapports hommes-femmes sont teintés d’inégalité que l’on a héritée du modèle patriarcal, à l’intérieur duquel existe un réel pouvoir de domination de l’homme envers la femme. Il nous faut bien comprendre le processus qui se joue derrière ce rapport de force. Au fil des ans, les hommes ont intégré un ensemble de valeurs leur attribuant statuts et privilèges. Qu’ils en soient conscients ou non, les hommes portent le poids d’un legs transmis de génération en génération qui s’est avéré, au fils des décennies, voire même des siècles, aussi destructeur pour eux-mêmes que pour leur entourage. Cette intégration a certes rapporté son lot de gains tant au plan personnel et familial que socio-économique. En revanche, ces valeurs ont confiné l’homme dans un rôle où ce dernier éprouve, aujourd’hui, de la difficulté à se définir entièrement au plan émotionnel, psychologique et social.

Au fil des ans, les femmes étant dans une position d’opprimées se sont soulevées afin de redéfinir le rôle qu’elles veulent désormais jouer ou actualiser. Le modèle patriarcal dans lequel elles évoluaient restreignait leur liberté d’expression, leur liberté de mouvement, bref, leur liberté d’être. Le mouvement féministe à ses débuts clamait haut et fort une re-définition des rôles, positions et pouvoirs de l’homme et de la femme à l’intérieur d’une société qui se voulait, petit à petit, plus équitable et plus juste. Cette reprise de pouvoir sur leur existence n’a pu se faire sans heurts car elle entraînait automatiquement un "bris de contrat social" et induisait, obligatoirement, un changement de position chez l’homme.

La dépendance de certains hommes

Il est intéressant de se questionner sur ce qui peut induire le changement.

Ce qui me frappe et m’interpelle, dans les discours actuels de certains groupes ou individus, se rattache à ce qui a été énoncé plus haut. Plus spécifiquement, l’homme s’est toujours défini en fonction de ce qui a été établi depuis fort longtemps. Il existait dans la mesure ou " l’autre " (la femme) lui signalait son existence. Il existait dans la mesure où il était conforme aux critères établis par une société. Voilà, dans un premier temps, où le bat blesse.

Si l’on regarde cette dimension, la nouvelle position des femmes entraîne un vide chez l’homme, vide qu’elle avait obligatoirement comme mandat de combler. Nous constatons que le cadre sociétal québécois, que nous avons intégré, induit une absence d’autonomie à plusieurs niveaux. Nous constatons un niveau de dépendance très élevé de la part de certains hommes compte tenu d’un legs antérieur qui fut loin d’avoir apporté des gains.

L’homme doit de se définir autrement. Il se doit de se remettre en question sur ce legs et se donner une réelle autonomie. Il n’est pas surprenant qu’il crie à l’usurpatrice quand il constate que l’autre peut très bien fonctionner sans lui, quand elle décide qu’elle ne veut plus remplir "ce contrat social" qui lui est imposé depuis de nombreuses années.

Pourquoi se sent-on coupable ?

Dans un deuxième temps, examinons une autre dimension de ces discours.

On crie aux injustices, on blâme l’autre, on lui reproche des milliers de maux, on utilise des phrases de l’autre, on ressort des théories à notre avantage, on argumente à qui mieux mieux, etc. Dites-moi, de quoi se sent-on coupable ? Si je sens le besoin de me défendre et de soulever de multiples d’arguments, qu’est-ce qui me brûle tant intérieurement au point de rechercher des arguments massues afin de faire taire "l’autre" pour qu’elle ne modifie rien. Qu’est-ce que je veux taire, intérieurement, qui m’appartient ? De quoi ai-je honte ?

Pourquoi ai-je besoin d’élever des barricades pour monter à la guérilla ? En fait, de quoi me défends-je au point de me décrire comme l’"opprimé" ? Il me vient l’image d’un enfant qui se fait prendre et, pour ne pas assumer la responsabilité de son acte, crie que "l’autre" aussi a participé au méfait. La culpabilité est dès lors projetée sur l’"autre", donc non-assumée. Qu’on perçoit comme l’ennemi réel.

Pourquoi, si le problème est la femme, pourquoi restons-nous là, à entretenir une animosité, argumentant à qui veut bien l’entendre que, oui mais, elle aussi... Soyons congruents dans notre discours, partons de notre côté et travaillons à ce qui nous appartient !!! Depuis 15 ans, je travaille auprès des hommes ayant des comportements violents dans un contexte de relation conjugale, j’ai entendu des milliers de récriminations contre les femmes (discours similaires à ce qui est véhiculé actuellement). Une question me revenait sans cesse : "Qu’est-ce qui t’appartient à toi ?" Je me dois de souligner que cette question a beaucoup dérangé car elle impliquait la part de responsabilité de l’homme. Elle impliquait qu’il était responsable de ce qu’il était et de ce qu’il faisait. Il en avait l’entière responsabilité. Bien sûr, il invoquait l’argument "je ne suis pas responsable de tout". Ma réponse était la suivante : "O.K. Quel est le pourcentage que tu te donnes (40%, 50%, 60%), peux-tu l’assumer à 100% ? Peux-tu te donner ce pouvoir ?"

Un discours qui alimente la misogynie

Si, le discours entretenu actuellement est congruent, quelles en sont les assises ? Quel est le danger de véhiculer de tels messages ?

Il n’y a aucun doute, les dangers de véhiculer de tels messages sont nombreux et réels. Dans un premier temps, de tels discours (disons-le, hargneux, voire misogynes) ne peuvent faire autrement que contribuer à alimenter l’agressivité de certains hommes qui n’attendent que ce prétexte pour projeter leur fiel sur les femmes. Dans un deuxième temps, de tels messages peuvent possiblement favoriser le passage à l’acte (qui est très présent) chez certains autres. Quand les médias nous rapportent un drame conjugal horrible, certains trouvent, à la limite, ces gestes justifiés (je n’irais pas jusqu’à dire qu’ils sont heureux mais...). Ainsi, ce genre de discours peut venir appuyer et/ou justifier les idées de certains hommes. D’ailleurs, ne cherche t-on pas nous-mêmes, dans notre vie quotidienne, des appuis et des justifications lorsque nous sommes confrontés à des situations nouvelles, insécurisantes ou, parfois même, plus questionnables sur le plan de la morale ?

Ainsi, de telles revendications, que l’on qualifierait "d’égocentriques" (disons-le), ne tiennent pas compte de la réalité de l’autre et, sous le couvert de principes, de valeurs, maintiennent les mêmes schèmes de pensée. Ces appels au ralliement sont-ils animés d’intentions orgueilleuses ayant pour but de sauver la face ? Y aurait-il une réalité profonde de défaillance identitaire dans cette perte d’être "objet d’intérêt" pour l’autre ?

Le fait de cautionner de tels discours entraîne malheureusement, pour nous les hommes, un certain refus, le refus d’identifier, de conscientiser ce que nous sommes, soit l’absence d’une identité propre. Les hommes devront, s’ils veulent faire partie intégrante du processus de changement social, redéfinir leur identité en auscultant le legs des générations antérieures (autant en termes de pertes que de gains). Un tel travail ne peut se faire "sur le dos de l’autre", la seule résultante équivaudrait à un élargissement du fossé qui existe actuellement dans les relations hommes-femmes.

Au Québec, il y a heureusement des hommes qui acceptent de se remettre en question et de se regarder tels qu’ils sont afin de modifier l’ordre ou la structure du système dans le but de redéfinir, ensemble, un nouveau un contrat de société qui, petit à petit (soyons réalistes), se négociera sur des bases plus saines et plus équitables. Bref, la différence ou l’inconnu revêt toujours un caractère menaçant et ce n’est, à mon avis, qu’en acceptant et en intégrant nos propres différences que nous serons aptes, dans un deuxième temps, à accepter les différences qui existent dans les rapports hommes-femmes.

Au Québec, il y a heureusement des hommes qui se dissocient de ces discours revendicateurs. Ils ont compris que le simple fait de s’acharner contre "l’autre" les détourne de l’enjeu réel qui est de se construire eux-mêmes.

Robert Ayotte, directeur de L’Accord Mauricie


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