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Non au voile mais non à l’exclusion des mineures de l’école laïque !

10 novembre 2003

par Catherine Albertini, chercheure et membre de Choisir la cause des femmes

Le voile est un symbole de l’oppression des femmes, il ne peut en aucun cas représenter une émancipation ou une liberté, même s’il est parfois une façon rusée de contourner la contrainte, la pression, et de regagner un peu de liberté de mouvement sous la domination masculine (pouvoir sortir sans éveiller de soupçons ou sans être agressée, stigmatisée ou injuriée). Mais ce n’est là gagner, au mieux, qu’un peu d’autonomie. L’égalité entre les sexes exige beaucoup plus !

Pour moi le voile ou la prostitution sont les deux faces d’une même médaille qui représenterait la subordination des femmes aux hommes, la mise au pas - au service - de la sexualité féminine à l’hétérosexualité masculine dominante et dominatrice.

Mais la question d’exclure de l’école laïque des jeunes filles voilées me dérange néammoins, dans un certain nombre de cas.

L’émancipation des filles ne peut passer que par l’école laïque, pas par la famille ou les écoles coraniques (la première vient d’ouvrir à Lille à la rentrée 2003). Seules les filles (pas leurs frères, ni aucun garçon de leur entourage pas même ceux qui font régner la loi machiste dans les quartiers...) sont menacées d’exclusion pour un symbole religieux et culturel qui ne concerne pas uniquement les filles. Le cas très médiatique des deux soeurs voilées du collège Henri Wallon ne doit pas masquer d’autres réalités, que je trouve personnellement plus dérangeantes.

Le quotidien Le Monde, dans un récent article, évoquait le cas d’une petite fille de 8 ans exclue de son école primaire parce qu’elle portait le voile et refusait de l’enlever. Si le "bourrage de crâne" est évident dans ce cas, il est aussi clair que cette enfant n’en est pas responsable. Elle n’est pas plus libre que responsable d’afficher ce signe religieux et ce symbole de l’oppression des femmes. Or la punition, l’exclusion, c’est elle qui la subit. L’exclure c’est par conséquent considérer qu’elle appartient à sa famille, et la déposséder de son droit à l’éducation qui lui aurait peut-être permis d’avoir un autre droit essentiel, dans le futur, le droit de s’émanciper, et ainsi de se libérer elle même du voile. Une autre très jeune adolescente de 12 ans de parents turcs a été récemment exclue de son collège et je ne pense pas pouvoir me réjouir de cela.

Je ne pense pas qu’il faille s’en réjouir ni que ces sacrifices soient justifiés.

L’enseignement est, en France, obligatoire jusqu’à 16 ans mais il peut être prodigué à distance (CNED) et les écoles confessionnelles sont autorisées - il y a même encore des régions de France où l’école du village n’est pas l’école publique mais une école dite "libre" c’est à dire privée et catholique -. Il me semble que l’on ne peut pas faire de loi d’exclusion du voile au sein de l’école laïque sans courir le risque d’amplifier le communautarisme, la main-mise des familles et/ou des religieux sur les jeunes filles et le repli sur des écoles coraniques (autrement plus dangereuses pour ces jeunes filles).

Je serais pour ma part beaucoup plus favorable à un enseignement obligatoire à l’égalité entre les sexes, à la sexualité, aux luttes d’émancipation des femmes mais aussi au rationnalisme, etc.... Si la spiritualité n’a pas besoin du voile, il serait peut-être plus opportun de déployer l’énergie du dialogue vis à vis de jeunes filles qui sont bien souvent enfermées dans un ghetto socio-économique et dans un communautarisme ethnico-religieux dont elles ne sont aucunement responsables et qui sont par ailleurs souvent victimes de discriminations racistes et sexistes. Nous devons leur tendre la main et ne pas commencer par brandir l’arme de la loi qui pourrait être ressentie comme une humiliation supplémentaire.

Mes réticences ne concernent que la scolarité primaire et secondaire (grosso modo jusqu’au bac).

Il me semble que pour ce qui concerne les emplois publics, la situation est très différente et que la fermeté doit s’appliquer à des adultes déjà suffisamment éduquées, tenues à respecter la neutralité républicaine qu’elles incarnent et à qui la République peut imposer des devoirs dans la mesure où elle leur a assuré le premier des droits, le droit à l’éducation.

Mis en ligne surr Sisyphe, le 7 novembre 2003

Catherine Albertini, chercheure et membre de Choisir la cause des femmes


Source - http://sisyphe.org/article.php3?id_article=748 -