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Toute vérité est bonne à dire : témoignage de Sylviane sur son expérience de la prostitution

28 septembre 2010

par Sylviane

Je lis vos échanges sur la prostitution depuis quelques semaines et ça me fait bien réfléchir au point où on en est dans notre monde fucké. Je ne trouve pas que vous dites toute la vérité et avant que vous me disiez de me la fermer parce que je ne serais pas "du milieu", je me présente. Je suis une ex, j’ai commencé à 13 ans initiée par mon petit ami de 20 ans qui avait besoin d’argent pour sa dope et ses études. Pendant deux ans, j’ai été sa vache à lait si l’expression ne choque pas trop sur ce distingué site... En réalité j’ai commencé avant si on compte la fin du primaire où des gars nous obligeaient à leur faire des pipes pour ne pas être autrement "taxées". Vous savez ce que c’est le taxage, on prend votre manteau, vos livres ou votre argent ou d’autre chose. Ça a toujours existé, mais on appelait ça autrement. À moi et d’autres filles, c’est des "services" sexuels qu’on demandait pour nous laisser tranquilles. Services, ha ! ha ! faites-moi rire.

À 15 ans, mon ami m’a lâchée, il n’avait plus besoin de moi, il s’en était trouvé une autre et j’étais trop droguée, ça lui coûtait plus cher de m’entretenir que ce que je lui rapportais. Je me suis essayée toute seule dans la rue, et là, j’ai rencontré des travailleurs de rue, gars et filles. Vous savez ceux-là qui se fendent la gueule pour défendre les droits des prostituées contre la maudite société mais qui ne lèvent pas le petit doigt eux-mêmes pour les aider. Ils m’ont offert des services, ha ! ha ! ha ! encore des services, des seringues propres et des capotes pour que je n’attrape pas le sida et l’hépatite C ou A, je ne sais plus. Ils ne m’ont jamais demandé si je voulais m’en sortir, ils ne font que de l’accompagnement, qu’ils ont dit, ils ne sont pas des moralistes eux. Ils m’ont dit que je pouvais leur parler parce qu’ils ne jugeaient pas. C’est bien ça le problème, tout le monde dit qu’il ne juge pas ou accuse les autres de trop juger et, en réalité, il n’y a pas grand monde qui se sert de son jugement. Ça donne les folies que j’ai lus, que la prostitution est presqu’un service social, les femmes ont bien le droit de donner du sexe aux hommes et les hommes d’en avoir, c’est un choix individuel, la sexualité est tabou, c’est une libération de se prostituer. Mon oeil. Vraiment y en a qui dérape. Dites-moi d’abord pourquoi vous ne le faites pas vous-même si c’est si beau que ça de se prostituer.

Je continue mon histoire. Un des travailleurs de rue a remplacé mon petit ami puisque j’avais besoin de la coke, il m’en fournirait si je faisais pour lui tant de "clients" par jour, et il me protégerait. J’étais pognée par la dope et en plus j’avais bien besoin d’attention, que quelqu’un s’occupe un peu de moi. N’ayez pas peur, le travailleur de rue s’est servi lui aussi, j’étais à sa disposition. Un de ces jours, il m’a parlé d’un pimp qui recrutait des filles de mon âge. Je pouvais pas continuer tout seule, qu’il me dit, il fallait que je sois "protégée" et lui ne pouvait plus. Je serais mieux dans le cheptel - excusez encore le mot - d’un caïd du milieu qui saurait me faire gagner de l’argent vite. De l’argent, j’en avais bien
besoin pour la drogue quand le travailleur de rue m’a laissé tomber à son tour, j’ai accepté la "protection" du pimp. Un gros cochon à cigare qui me prenait pour sa chose et m’obligeait à toutes ses saletés.

Ça n’a pas été long qu’il m’a posé ses conditions, je devais acheter ma dope de lui, lui verser un montant par jour pour la location de la chambre, un autre pour sa protection et un pourcentage de l’argent que je faisais des clients. Il me restait pas grand-chose. C’était pour mon bien, pour ma protection... En fait de protection j’ai eu plus de coups du pimp que des clients, une gang de désoeuvrés riches qui ne savent plus à quels divertissements se vouer. Il y avait dans ça des professeurs d’université et des juges pires encore que les petits ouvriers du coin. J’ai pas eu beaucoup de petits ouvriers, ils n’ont pas d’argent à gaspiller peut-être ou ils ont d’autres divertissements. J’ai passé 5 ans dans cette galère, le pimp m’envoyait à Vancouver, en Ontario, à la Baie James, partout au Canada. Il avait été question de m’envoyer ailleurs, je serais plus là pour vous écrire s’il m’avait envoyée dans son réseau en Asie ou en Europe. Car vous savez peut-être que ces gens s’échangent des femmes comme de la marchandise.

En plus de la drogue, je me suis mise à l’alcool parce que je ne pouvais pas me regarder en pleine face faire ce que je faisais. Vous devez vous demander comment ça se fait que j’en suis sortie. Un jour ma mère s’est suicidée et ça a été un choc, mon père, un gros bonnet des affaires, ne voulait plus rien savoir de moi depuis longtemps. Toute seule pour vivre cet événement... Une fois j’ai dépassé les bornes et il y a quelqu’un qui m’a trouvée inconsciente sur la rue et m’a conduite au CLSC au lieu de la police. J’étais pas en mesure de décider quelque chose par moi-même, ils m’ont mise dans une maison où un travailleur social me visitait régulièrement. C’est bien l’un des rares gars qui n’a pas essayé de profiter de la situation. Parfois, c’était une travailleuse sociale et parfois les deux à la fois, ils travaillaient en équipe. Aussi bien vous dire qu’ils ne m’en ont pas fait accroire, ils m’ont donné l’heure juste. T’as 20 ans, qu’ils ont dit, t’es capable de te sortir de cet enfer - pas de philosophie sur le travail du sexe travail comme un autre, pas de propos
complaisants pour m’amadouer et de grandes rationalisations pour que je ne pense pas qu’ils jugent. La vérité en pleine face. On peut t’aider, mais seulement si tu le veux, c’est ta vie, pas la nôtre, t’es en train de te détruire, mais si c’est ça que tu veux continuer, c’est ton affaire. Mais tu vas pas vivre vieille du train que t’es partie. Si tu veux t’en sortir, on va t’aider. T’es pas obligée de décider tout de suite, on va revenir et tu nous le diras. Mais fais-nous pas des accroire sur la soi-disant libération dans la prostitution, on connaît la chanson, t’es pas la première qu’on voit.

J’ai été dans cette maison de transition pendant des mois, j’étais fuckée complètement, pour faire une histoire courte j’ai été en désintox et ai rechuté. Je me suis sauvée et je suis revenue, des aller et retour plusieurs fois. Les travailleurs sociaux étaient patients, pas surpris pantoute des rechutes et des retours. Un de ces jours j’ai été assez bien pour leur demander qu’est-ce que je pourrais bien envisager dans l’avenir. Ils m’ont dit que c’est moi qui décidais, est-ce que je voulais trouver un travail, ils me mettraient en contact avec les centres de main-d’oeuvre, et on m’en trouverait, ou bien si je voulais étudier. L’un ou l’autre me donnait une peur bleue mais au bout du compte j’ai fini par étudier, j’avais bien du retard, j’ai fait le bout qui me manquait, il fallait que je traîne aussi les conséquences de mes années de drogue, d’alcool, les coups, le sexe à répétition, ça use. Mais j’ai fini par m’en sortir, un jour j’ai su qu’il y avait un point de non retour, c’est quand j’ai affronté dans un cours un professeur qui était un ancien client... Pour essayer de cacher son malaise, il était agressif contre moi et essayait de monter la classe contre moi. J’ai rien dit, pas révélé qu’il avait été client, et finalement, c’est la classe qui s’est montée contre lui et lui a demandé quelle mouche le piquait.

Vous parlez de travail comme un autre. La prostitution n’est pas un travail du tout, c’est une forme d’esclavage, on peut difficilement en sortir. La prostitution, un choix libre. Mensonge. Je ne dis pas qu’il n’y en a pas quelques-unes - une bien petite minorité - qui décident d’essayer ça et le font librement, sans sombrer dans la dope et l’alcool comme la plupart. Et dites-moi quelle liberté a un enfant de 13 ans qui cherche l’amour, la reconnaissance de l’autre sexe - surtout quand son père l’a toujours méprisée, et qui se retrouve entre les mains de ces gens qui ne pensent qu’à l’argent et au sexe. Et la très grande majorité des prostituées adultes ont commencé quand elles étaient des enfants. Vous essayez de noyer le poisson dans toutes sortes de raisons édifiantes qui justifieraient la prostitution mais vous n’êtes pas honnêtes. Vous parlez de libération sexuelle, de sexualité, et tout et tout, dites donc la vérité : c’est pour l’argent que vous faites ça et parce que vous avez été entraînées par d’autres ou avez voulu comme moi défier votre milieu familial ou social sans savoir ce qui arriverait ensuite. La grande majorité des prostituées que j’ai connues n’étaient pas heureuses de leur situation mais ne savaient pas comment s’en sortir, à cause de la drogue et des dettes qui s’en suivent. Quand on se parlait entre nous, j’en ai jamais entendu une dire que c’était un métier enviable. Il y en a qui avaient peur que leurs petites soeurs suivent leurs traces.

J’ai fait du progrès, à maintenant près de 40 ans, mes études m’ont amenée à consulter des recherches sur les prostituées, sur le trafic des femmes, l’exploitation des enfants. Je ne sais pas qui vous représentez ici mais vous parlez pour un bien petit nombre car la majorité des prostituées, la très grande majorité ne voient pas la prostitution comme un métier, elles se sentent malprises et méprisées. Pas seulement à cause des préjugés de la société, par les clients et les proxénètes qui leur font sentir qu’elles sont de la marchandise entre leurs mains. Parfois aussi par celles qui disent vouloir le bien des prostituées et qui travaillent à les maintenir dans leur situation. Vous comparez ça avec le travail en usine, le mariage, etc. Déconnage. En usine, vous êtes libre de partir, dans le mariage aussi, le divorce existe mais dans la prostitution, souvent vous n’êtes pas libres parce que votre vie appartient à d’autres ou qu’on vous tient par la drogue ou la menace de violence.

Celles qui disent que c’est un choix individuel, voulez-vous me dire pourquoi vous voulez absolument que toute la société endosse votre choix individuel et le propose comme un métier acceptable. Merde, je suis contre. J’ai une fille de 12 ans et je ne veux absolument pas qu’on lui propose la prostitution ou satisfaire les besoins sexuels des hommes parmi ses choix de carrière. J’ai un gars de 9 ans et je ne veux pas non plus qu’il se mette dans la tête qu’il est normal qu’un homme considère les femmes comme des servantes sexuelles ou qu’il se mette à penser qu’il pourrait s’enrichir plus vite s’il devient proxénète plutôt que mécanicien ou ingénieur. Si vous étiez honnêtes, vous regarderiez dans les pays qui ont légalisé la prostitution et vous verriez que ça n’a pas changé la situation des prostituées, dans certains cas, ça l’a empiré, quand la prostitution est reconnue comme un service comme un autre, elles ne peuvent plus rien refuser et sont encore plus esclaves. Votre baratin qui chante les bienfaits de la prostitution est pur mensonge, et les hypocrites et moralistes, c’est vous autres parce que vous voulez imposer de nouvelles règles ou lois à toute la société, comme si vous déteniez toute la vérité sur le sujet. J’ai lu : laissez parler les prostituées. Lesquelles et combien ? Seulement celles qui pensent comme vous ? Je ne vois pas ce qu’il y a d’évolué à demander qu’on légalise cet esclavage. Il y a moyen d’offrir des services aux prostituées, y compris des services pour s’en sortir même si vous ne les mentionnez jamais, ces services-là, il y a moyen de cesser de les traiter comme des criminelles sans nous dire que la prostitution est un métier ordinaire.

Je pensais que le féminisme travaillait pour la libération et l’égalité des femmes, c’est pas dans la prostitution qu’on va trouver cela. Je ne peux pas dire que j’ai vu beaucoup de féministes aider des prostituées à essayer de s’en sortir, il y a l’air à en avoir plus qui essaient de les maintenir en faisant croire que c’est le plus beau métier du monde. Les groupes qui représentent les prostituées, est-ce qu’ils en aident à s’en sortir ou bien est-ce qu’ils se contentent de demander la légalisation de la prostitution ? Je me demande bien qui est derrière la propagande intense pour faire changer les lois pour rendre la prostitution plus acceptable. Il doit y avoir de gros intérêts financiers en jeux à voir comment on se débat pour justifier l’existence de la prostitution et il doit y avoir de gros bonnets qui tirent les ficelles à quelque part.

Peut-être que vous m’avez rencontrée sans le savoir dans les couloirs d’une université quand je faisais mon bac ou ailleurs. C’est la preuve qu’on peut s’en sortir mais pas en se faisant accroire que la prostitution est un beau métier en essayant de se valoriser à nos propres yeux et pas en menant campagne pour légaliser la violence. Il y en a qui rappellent les meurtres des prostituées de l’Ouest et elles ont l’air de dire que c’est de la faute des féministes qui sont contre la légalisation. C’est ridicule. C’est pas parce que la prostitution serait légale qu’il n’y aurait plus de violence envers les prostituées. Le mariage est bien légal et ça n’élimine pas la violence conjugale, le viol, etc. Il y a moins de gens qui aident
les prostituées à s’en sortir que de discoureuses sur les supposés bienfaits de la prostitution. Et ça, c’est un vrai problème. Sylviane.

Note - Ce texte a été adressé par son auteure à Sisyphe et à NetFemmes en réponse à un débat qui a eu lieu sur la liste féministe de NetFemmes, fin 2003 et début 2004. On comprendra que l’auteure signe d’un pseudonyme.


Marie, qui a été dans la prostitution pendant 9 ans, a répondu à Sylviane le 9 janvier 2004.

Je te remercie Sylviane pour ta sincérité. J’ai écrit il y a quelques jours
mes questionnements concernant justement la liberté de choix. J’ai aussi
fait de la prostitution pendant 9 ans. Et ce qui me choque, c’est que ce
sont souvent les prostituées qui veulent légaliser la prostitution qu’on
entend le plus, parce que les autres, elles ont souvent trop peur, trop
honte, pour dire ce qui en est pour vrai. Si à l’époque j’ai cru que c’était
un métier comme un autre, il m’arrive de penser que c’était probablement
pour me faire avaler la pilule à moi-même et me rendre ça plus acceptable à
mes propres yeux. Ça ne fait pas très longtemps même, que j’en ai parlé.
Depuis que je suis sortie du milieu, j’en avais jamais reparlé, même aux
plus proches de moi, par honte. Si c’était un métier comme un autre, il me
semble que j’aurais fais un autre choix. Je n’avais pas de pimp mais je
louais des chambres de passe où la dope coulait à souhait et où il y avait
tout de même une certaine protection...enfin. Mes amies, elles, ne croyaient
pas non plus que c’était un métier comme un autre et elles ont tout fait
pour s’en sortir. Malheureusement, toutes n’ont pas réussies et une en est
morte. Sans tomber dans la culpabilisation à outrance et dans le jugement de
ce que l’on a fait comme "supposé choix", et en ce sens j’utiliserais un
autre mot que moralité, je crois de plus en plus que ce n’était pas un choix
de se prostituer mais, et que si j’avais eu un réel choix, ce n’est certes
pas ce que j’aurais fait de ma vie. Mais comme toi, le besoin d’attention,
d’amour et de tendresse, la ferme conviction que seul ce milieu pouvait me
prendre comme j’étais, me comprendre, m’aimer, et plus tard le besoin de
dope pour geler le tout, tout ça m’a amené tranquillement à faire tout ce
que l’on voulait que je fasse.

Je n’ai pas subi de violence d’un pimp, mais j’ai dû me livrer à toutes sortes de bassesses pour la dope, pour un peu d’amour. Et puis la violence, ce sont les clients qui me l’ont fait vivre. Alors, nier le pouvoir que les clients ont, nier la violence qui est faite aux prostituées, raconter des histoires du genre que la prostitution empêche les hommes de violer et autres sornettes du genre, ce ne sont que des histoires pour nous faire avaler la pilule, et en fait, de plus en plus je me demande si bien malgré nous, nous avons joué le jeu de la promotion de la prostitution au grand plaisir des clients, des pimps et des pushers,
majoritairement des hommes. De la même façon que ce sont les femmes qui
promouvoient dans certains pays d’Afrique l’excision. Les hommes n’ont même
plus à le faire. Et comme je le disais dans un autre message, si c’était si
valorisant que ça, n’y aurait-il pas plus d’hommes qui feraient ce métier ?
Ça m’aura pris presque 15 ans pour sortir de mon mutisme et pour réaliser
que finalement, je vivais dans un monde de violence et que je subissais une
forme d’esclavage en pensant que la seule chose que je pouvais donner, et
pardonnez-moi mon ton un peu cru, c’était mon cul ! Marie

Mis en ligne sur Sisyphe, janvier 2004.

Sylviane

P.S.

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