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Pauvreté : bouc émissaire

29 janvier 2004

par Stéphanie LeBlanc

On aura beau en changer la définition et en manipuler les chiffres, la pauvreté est en augmentation au Québec. Tout le monde a une opinion sur le sujet, ses causes et bien sûr les solutions... Pendant ce temps, les personnes démunies tentent de se forger une identité entre la compassion des uns et le mépris des autres.

Le problème avec notre société, c’est qu’elle véhicule l’idée de deux catégories de pauvres : les bons et les mauvais.

La catégorie des bons pauvres regroupe les personnes âgées, les handicapé-es, mentaux et physiques, les invalides et peut-être quelques mères monoparentales à condition qu’elles soient dans la misère noire (et encore), pour espérer susciter la moindre compassion. Les bons pauvres sont donc ceux-celles-qui-sont-pauvres-mais-ce-n’est-pas-de-leur-faute !

Les mauvais pauvres sont donc, selon la croyance, les assistés sociaux "aptes au travail", les itinérant-es, les personnes dépressives, les alcooliques, les jeunes, les toxicomanes, bref ceux-celles-qui-n’ont-qu’à-travailler-s’ils-veulent-s’en-sortir ! Ceux que l’on traite le plus souvent de "parasites", de "profiteur du système", ceux et celles pour qui l’on "paie des taxes". Ceux-là n’ont aucune chance d’inspirer autre chose que du mépris de la part de la population dite active.

La classe moyenne est celle qui supporte le plus lourd fardeau fiscal. Elle éprouve donc un grand sentiment de frustration et d’injustice. Selon une étude qu’a coréalisée Léo-Paul Lauzon, professeur d’économie à l’UQAM, la part d’impôt que payaient les particuliers en 1950, représentait 51% du total et celle des entreprises 49%. En 2002, les choses ont beaucoup changé et les particuliers se tapent desormais 77% du fardeau fiscal pendant que les entreprises s’en tirent avec un confortable 23% ! * C’est sans compter le congé fiscal de 10 ans dont bénéficient les investisseurs étrangers et les 40 compagnies québécoises qui ne paient pas d’impôt du tout.

Scandaleux, non ? Seulement voilà : la classe moyenne ignore tout cela ! Se mettre la classe "payeuse de taxe" à dos n’est jamais très judicieux pour les gouvernements quels qu’ils soient. Afin de se soustraire à la colère du peuple ils doivent donc trouver un endroit où diriger cette colère. Le bouc émissaire est tout trouvé : les assistés sociaux. Et on tombe dans le panneau ! "C’est à cause des assistés sociaux que vous payez beaucoup d’impôts, ce sont ces parasites que vous faites vivre avec vos taxes !" Et les payeurs de taxes continuent de croire dur comme fer que la vie serait tellement plus facile s’il n’y avait pas tous ces pauvres à entretenir...

À force de répéter un mensonge, celui-ci finit par être perçu comme une vérité. Le gouvernement a tout intérêt à empêcher l’émergence de la solidarité ou de la compassion que pourrait éprouver la classe moyenne envers la classe pauvre. Il donne donc une cible aux payeurs de taxes et s’assure du même coup que personne ne songera à défendre les démunis. Et les vrais profiteurs du système, riches et compagnies, se roulent par terre de rire !

L’un des aspects les plus révoltant de la pauvreté est cet acharnement à maintenir les pauvres dans la misère en les empêchant d’améliorer leurs conditions de vie, ne serait-ce que légèrement. La prestation de base d’aide sociale pour une personne seule se situe autour de 567$ par mois, somme très en-dessous du seuil de la pauvreté et ne permettant évidement pas de combler les besoins de base (nourriture, logement, chauffage, habillement). Et ce ne sont pas les récentes augmentations dans les frais de garde, de chauffage et de transport en commun ainsi que la suppression de l’aide au logement pour les plus démunis qui vont améliorer les choses.

Une personne sur l’aide sociale qui désire retourner aux études pour se sortir de la misère n’aura plus le droit à ses prestations. Elle devra obtenir une bourse ou contracter un emprunt au gouvernement, emprunt qu’elle devra rembourser quel que soit son revenu après ses études. C’est sans compter les frais de garde pour les mères étudiantes, le nombre de place dans les garderies à 7$ étant insuffisant et les listes d’attente interminables.

Une mère monoparentale sur l’aide sociale avec un enfant à charge n’a plus droit au surplus de 111$ dont elle bénéficiait auparavent. Si elle reçoit une pension alimentaire, elle verra sa prestation d’aide sociale amputée du montant de la pension (en effet, le gouvernement considère la pension alimentaire comme un revenu pour la mère et non un montant pour l’enfant !) Si elle se trouve un emplois au salaire minimum, les frais de garde et l’obligation de payer médicaments, lunettes, soins dentaires et compagnie font qu’il ne reste plus beaucoup d’argent au bout du compte !

C’est comme si les démunis étaient au fond de l’océan. Chaque fois que quelqu’un parvient à se sortir la tête de l’eau pour respirer, le gouvernement lui assène un grand coup de massue pour le faire couler de nouveau ! De plus, il n’existe aucun barème-plancher, seuil de faible revenu en dessous duquel aucune coupure sur les prestations d’aide sociale ne pourrait être permise parce qu’aucune loi ne reconnaît officiellement le droit à un revenu décent permettant de combler les besoins de base.

Lorsqu’on ne fait pas couler les assistés sociaux, on les exploite. On peut penser ici aux "parcours d’insertion obligatoire", qui obligent les jeunes assistés sociaux de 18 et 24 ans à se soumettre à des programmes d’employabilité s’ils ne veulent pas subir une coupure de 150$ sur leurs prestations d’aide sociale. Ces programmes d’employabilité, conçus officiellement pour que ces jeunes puissent réintégrer le marché du travail, servent davantage à fournir une main-d’oeuvre bon marché à des employeurs, soucieux de diminuer leurs coûts de production. Tout le monde y trouve son compte, à part les jeunes : les employeurs disposent d’employé-es parfaitement exploitables qui n’ont pas le choix d’être là, tout en économisant sur les salaires et le gouvernement « rentabilise » l’aide sociale et se donne le beau rôle du héros qui sauve les jeunes de la déchéance...

Durant ce temps, les jeunes en question se retrouvent devant des emplois temporaires qui ne leur conviennent pas et qui n’offrent aucune possibilité d’avancement De plus, l’obligation qu’ils ont de travailler coûte que coûte pour recevoir leur maigre pitance les rend vulnérables à toutes sortes d’abus de la part de leur employeur (mauvaises conditions de travails, harcèlement psychologique ou sexuel, etc.)

Les préjugés aux sujets des assistés sociaux, qui vivent soi-disant la belle vie à ne rien faire, datent probablement de l’époque où il était effectivement possible de survivre avec l’aide sociale. Par contre, depuis une vingtaine d’années, le coût de la vie a augmenté beaucoup plus rapidement que le montant des prestations, qui ne sont d’ailleurs jamais bonifiées en fonction du coût de la vie. Aujourd’hui, pour survivre avec d’aussi maigres prestations, il faut avoir recours aux banques alimentaires pour manger de la nourriture périmée dont les grandes chaînes d’alimentation ne veulent plus, loger dans des logements insalubres et renoncer à tout loisir et à toute distraction. Ce n’est plus, en admettant que ça l’ait jamais été, une partie de plaisir.

On n’arrivera jamais à créer une société solidaire si l’on s’épuise en chicaneries stériles et mesquines. Il est grand temps de remettre à jour notre perception des démuni-es et de renouer avec la solidarité afin de lutter ensemble contre un système qui fait de plus en plus d’exclu-es. Après tout, nous pourrions, nous aussi, être un jour parmi eux.

* l’autre’journal, décembre 2003- janvier 2004, n° 225, p. 6

Complément de Sisyphe

 Un rapport publié en novembre 2003 et intitulé « Honorer nos promesses, relever le défi d’éliminer la pauvreté des enfants et des familles » indique que le revenu de 25% des travailleurs et travailleuses est insuffisant our faire vivre une famille décemment. On peut télécharger le rapport de 12 pages à cette adresse : http://www.campaign2000.ca/fr/rap/index.html

 Certain-es estiment qu’un revenu minimum garanti ou un revenu de citoyenneté contribuerait, avec d’autres mesures, à corriger la situation.

Mis en ligne sur Sisyphe le 29 janvier 2004

Stéphanie LeBlanc


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