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Les prestations de compassion ne tiennent pas compte de la réalité

5 février 2004

par Pat Armstrong et Kathleen O’Grady

En janvier 2004, le gouvernement fédéral révélait la mise en place d’un programme de prestations de compassion selon lequel des prestations d’assurance-emploi seront octroyées aux Canadien(ienne)s qui s’absentent de leur travail pour fournir des soins ou un soutien à un membre de famille gravement malade ou mourant. Le programme prévoit jusqu’à six semaines de congé payé pour les membres de familles (parent, conjoint(e), enfant) qui prennent soin d’un(e) patient(e) qui, selon les médecins, risque de mourir à l’intérieur de six mois.

Bien que cette mesure constitue un pas très attendu dans la bonne direction (la Suède, l’Allemagne, l’Autriche, la Norvège, le Portugal, l’Espagne, la Grèce, pour ne nommer que quelques pays, se sont déjà dotés de programmes de prestations aux personnes qui prodiguent des soins à un membre de famille), un nombre inacceptable de soignant(e)s ne sont pas couvert(e)s par le programme de prestations de compassion. En fait, les soignant(e)s non rémunéré(e)s qui ont le plus besoin d’aide sont ceux(celles) qui ne bénéficieront probablement pas des avantages de ce nouveau programme.

Seul(e)s les soignant(e)s qui ont accumulé 600 heures d’emploi assurable au cours des 52 dernières semaines de travail peuvent recevoir des prestations de compassion. De plus, ces personnes ne recevront que 55 % de leur rémunération assurable moyenne. Donc, toute personne qui n’occupe pas un emploi à temps plein, telles que les aîné(e)s, les parents qui demeurent au foyer ou les employé(e)s à temps partiel et les travailleur(euse)s autonomes qui ne sont pas éligibles aux prestations d’assurance-emploi en général. Les prestations de compassion ne s’adressent pas non plus aux personnes qui prennent soin d’un parent handicapé, âgé ou atteint d’une maladie chronique. Une majorité de soignant(e)s non rémunéré(e)s ne sont donc pas couvert(e)s par ce programme.

Les femmes défavorisées par cette mesure

Malheureusement, ce sont les femmes qui risquent le plus d’être non admissibles aux prestations de compassion, puisque ce sont les femmes qui constituent la majorité des parents au foyer, qui travaillent le plus souvent à temps partiel pour jongler avec les responsabilités imposées par les obligations parentales et domestiques, et qui sont le plus souvent sans emploi. De nombreuses recherches crédibles portant sur la prestation de soins non rémunérée au Canada attestent clairement que ce sont en effet les femmes qui prodiguent la plus grande part des soins sans rémunération.

Au foyer, la prestation de soins est considérée comme une tâche féminine. Les femmes fournissent sans rémunération 80 % des soins prodigués aux aîné(e)s et aux personnes de tout âge atteintes d’une invalidité de longue durée ou d’une maladie de courte durée. Selon une étude, trois personnes soignantes non rémunérées sur quatre sont des femmes âgées de 50 à 65 ans, donc des femmes dans la force de l’âge qui déjà jonglent avec des adolescent-es, des parents vieillissants et une carrière professionnelle.

Pour les femmes, la prestation de soins non rémunérée peut entraîner l’interruption d’une carrière, une perte de temps de travail, une baisse de revenu et une transition vers un emploi à temps partiel, ou même une perte d’emploi. Ces coûts peuvent entraîner des conséquences à long terme et se traduisent en rente de retraite minime ou inexistante et en perte de contacts sociaux et de satisfaction vécus dans le cadre d’un travail rémunéré. Toutefois, nombre de coûts sont difficilement identifiables ou mesurables.

La recherche a également démontré que les coûts sont particulièrement élevés pour les femmes non seulement sur le plan financier mais aussi sur le plan de la santé. Les exigences physiques de la prestation de soins, lorsqu’elles sont notamment combinées à l’absence de formation ou de soutien et à des contraintes de temps, peuvent mener à l’épuisement et à de fréquentes blessures, ainsi qu’à des affections chroniques et un risque accru de maladie.

Les soignantes non rémunérées disent aussi éprouver de la culpabilité : elles se sentent coupables d’être en bonne santé, de ne pas tout connaître sur la maladie, de ne pas prendre la bonne décision pour les personnes soignées et de se sentir prises au piège. Leur sentiment de culpabilité est accentué par le fait qu’elles sont à la fois des confidentes et des décideures et par les pressions culturelles et autres selon lesquelles les femmes doivent prendre soin des gens qu’elles aiment. Elles souffrent de dépression et de stress. Les pressions sont particulièrement grandes pour celles qui ne disposent pas de l’argent nécessaire pour s’assurer des services de soutien privés ou pour celles qui ne peuvent recevoir un appui du secteur public en raison des normes d’admissibilité.

Un système de santé qui exploite le bénévolat des femmes

Les réformes de la santé créent actuellement un système de santé caché, un système dont les coûts sont élevés pour les femmes qui prodiguent des soins sans rémunération et qui leur offre peu de choix en ce qui a trait à la prestation de ces soins. Le fait d’envoyer les gens à la maison pour recevoir des soins et l’absence d’un programme de soins à domicile adéquat renforcent l’idée selon laquelle la prestation de soins fait partie des tâches féminines et limitent aux femmes l’accès à des emplois rémunérés. Si les femmes déclenchaient une grève et arrêtaient de prodiguer des soins au foyer, les soins à domicile disparaîtraient et le système de santé serait débordé.

Les soignant(e)s non rémunéré(e)s qui prodiguent des soins au foyer éprouvent souvent une grande satisfaction mais ces personnes, pour la plupart des femmes, n’ont aucun contrôle sur le temps et la durée des soins et sur le choix de prodiguer ou non ces soins puisque le secteur public leur offre peu d’appui sinon aucun.

Le programme de prestations de compassion constitue un pas dans la bonne direction mais il ne remplace pas ce que la population a vraiment besoin : une stratégie exhaustive de soins à domicile qui tient compte des rapports sociaux entre les sexes. Selon ces nouvelles dispositions, une proportion importante des soignant(e)s mêmes qui devraient bénéficier de l’aide de ce programme ne sont pas admissibles aux prestations.

Un programme de prestations de compassion ne peut s’avérer efficace que s’il tient compte des coûts que paient les femmes qui font la plus grande part du travail non rémunéré de soins, autant sur le plan économique que sur le plan de la santé. Ce qui est en jeu, ce sont rien de moins que la santé et le bien-être des personnes soignées, ainsi que des personnes soignantes.

Site du Comité coordinateur des femmes et la réforme en santé :
http://www.cewh-cesf.ca/reformesante/index.html

Mis en ligne sur Sisyphe le 5 février 2004

Pat Armstrong et Kathleen O’Grady


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