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À Radio-Canada
" La planète des hommes " : du journalisme bien paresseux !

23 février 2004

par Jean-Claude St-Amant, chercheur en éducation, Université Laval

Aux responsables de l’émission LA PLANÈTE DES HOMMES
Société Radio-Canada, du 23 au 27 février 2004



Bonjour,

Je tiens à dire que je suis très déçu des orientations des cinq émissions
(présentées sur le Web au www.radio-canada.ca/radio/profondeur/hommes/projet.html). Rien de neuf sauf un assemblage de redites et de clichés qui me font dire qu’il s’agit de journalisme peu rigoureux.

Il doit y avoir une vingtaine d’années au moins que les travaux qui portent sur les masculinités (et ce, les gens en marketing l’ont saisi depuis belle lurette) évitent ainsi de généraliser à tout un sexe des phénomènes qui ne touchent qu’une partie de ses membres et qui varient dans le temps et dans l’espace, selon les cultures, l’âge et les classes sociales. Le contenu de vos émissions y aurait gagné. Mais parler des hommes au pluriel conduit également à découvrir beaucoup de ressemblances entre les hommes et les femmes ... Dans la même veine, votre premier thème sur « les différences » s’accroche les pieds dans le sociobiologisme du dix-neuvième siècle. Il reprend le même processus de naturalisation de phénomènes sociaux dont la logique a pourtant été remise en question de façon convaincante depuis un certain temps déjà.

Une deuxième raison pour laquelle je prétends qu’il s’agit de journalisme
paresseux tient au fait qu’on n’a même pas été capable de trouver 5 thèmes pour 5 émissions, prolongeant le quatrième sur deux jours. Par exemple, parler de « L’amour des hommes entre eux » aurait pu nous sortir du biais hétérosexiste et homophobe qui imprègne la série et nous faire découvrir d’autres réalités témoignant des temps présents. Des thèmes comme « Les hommes consommateurs de pornographie », « Les hommes dans la traite des femmes et des enfants », « Les hommes et la guerre » ou encore « Les hommes et la réussite sociale » auraient aussi pu faire l’objet d’une réflexion pertinente. On y aurait appris comment se construit l’imaginaire sexuel d’un certain nombre d’hommes, on en saurait plus sur les clients de la prostitution, on en saurait plus sur les privilégiés de cette planète. Et le public se serait peut-être senti un peu plus respecté.

Une troisième raison tient à la symétrisation qui est faite entre les hommes et les femmes, ignorant à toutes fins pratiques quarante ans de travaux scientifiques sur les rapports sociaux de sexe. S’il est évident que l’on ne peut en demander autant à certains des invités qui ont choisi de cultiver leur ignorance, peut-être aurait-on été en droit d’en attendre un peu plus de ceux et celles qui ont conçu la programmation. Pour ne prendre qu’un exemple de symétrisation, la « condition masculine » dont on prétend parler en long et en large, ne correspond à aucune réalité chez les hommes, sinon à une inversion aveugle et insignifiante du concept de « condition féminine ».

Que l’on parle de condition autochtone ou de condition ouvrière,
l’expression renvoie à l’exploitation de groupes sociaux. Les hommes, quant à eux, ont des positions découlant de leur statut structurellement
avantageux et définies dans leurs pratiques : par rapport aux femmes comme groupe social, par rapport aux autres hommes, par rapport à leurs orientations sexuelles, etc. Alors quand je vois sur le site qu’on va parler de « patriarcat », je cherche la cohérence.

Enfin, « la planète » se réduit-elle au Québec ? À l’exception d’Élisabeth
Badinter qu’on nous sort à toutes les occasions qui se présentent, où est
l’information provenant de ceux et celles qui réfléchissent sur ces
questions ailleurs dans le monde ? Il est facile de comprendre que les
budgets affectés à cette série n’ont pas permis d’aller s’informer sur les
dynamiques sociales tout à fait éclairantes en Afghanistan ou aux
États-Unis. On y aurait découvert le renforcement du contrôle social des
femmes par les hommes, sur la base notamment des fondamentalismes religieux.

Peut-être qu’une documentation plus diversifiée aurait pu aider à éviter
l’avalanche de lieux communs. Le meilleur exemple à cet effet serait sans
doute le « malaise » et « la souffrance » des hommes. Une fois écartée
l’abondante couverture médiatique, qu’en reste-t-il ? Une problématique qui repose essentiellement sur la publication d’un seul volume dont la thèse principale a été récupérée ad nauseam par les masculinistes d’ici.

Quel modèle de journalisme pour nos jeunes que cette absence d’effort
intellectuel ! Ou encore, pour paraphraser un participant à la première
émission, est-ce là une valeur masculine qui s’impose ? Navrant !

Jean-Claude St-Amant, chercheur
Faculté des sciences de l’éducation
Université Laval

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Jean-Claude St-Amant, chercheur en éducation, Université Laval


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