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Réflexions sur l’avenir du Conseil du statut de la femme et du Secrétariat à la condition féminine

29 février 2004

par Francine Descarries, professeure de sociologie, UQAM, et 11 groupes de femmes

L’égalité est le principe central de la pensée démocratique, elle est
également un incontournable de la pensée féministe. Dans son sens
dynamique, l’idéal d’égalité de droits et de faits porte l’utopie d’une
abolition de toutes les divisions et de toutes les hiérarchies. Il existe
un large consensus au sein de la société québécoise à l’effet que les
différentes luttes des femmes pour l’égalité doivent recevoir l’appui du
gouvernement et de la société dans son ensemble. Aussi, l’idée d’une
éventuelle redéfinition ou fusion des statuts et des missions du Secrétariat à la Condition féminine et du Conseil du statut de la femme (CSF), ou celle de leur réingénérie dans une approche dite intégrée de l’égalité (AIE), nous inquiètent à plus d’un titre. Le Secrétariat et le Conseil, à partir de leur mandat et lieu d’intervention respectifs, représentent deux rouages essentiels à la lutte aux discriminations que continuent de vivre les femmes en tant que femmes. D’autre part, les limites de l’AIE en matière de lutte pour l’égalité des femmes sont de mieux en mieux documentées.

Faut-il le rappeler, sur le plan international, le succès et la résilience
du mouvement des femmes comme acteur sociopolitique d’importance au sein de la société québécoise, de même que l’efficace présence d’un « féminisme d’État », constituent des traits distincts et dynamiques du Québec d’aujourd’hui. Les missions de conscientisation, de vigile et de conseil exercées par le CSF et le Secrétariat au fil des ans, en soutien et en complémentarité avec les objectifs que poursuit le mouvement des femmes, ne sont pas étrangères à cette dynamique. Se priver maintenant de tels apports dans une lutte, malheureusement toujours nécessaire, contre le sexisme serait priver le mouvement des femmes et les femmes en général d’outils indispensables pour la défense de leurs droits à l’égalité. Ou encore, pour contrer le travail de désinformation qui tente de faire croire que l’égalité entre les sexes est chose faite ou que les femmes ont tellement gagné de terrain qu’ il serait temps de passer à autre chose pour assurer l’harmonie entre les hommes et les femmes ou rejoindre les plus jeunes. Comment, en effet, peut-on envisager se priver de l’action dynamique de ces outils de promotion et de défense des droits des femmes au moment même où les inégalités qui subsistent sont souvent interprétées comme résiduelles, que plusieurs avancées en matière d’égalité entre les hommes et les femmes sont remises en question par des idéologies fondamentalistes de divers acabits et que des faux prédicateurs de l’égalité laissent entendre que les hommes seraient dorénavant les premières « victimes » des inégalités entre les hommes et les femmes.

Il est juste de dire, à l’instar de plusieurs autres dont la Commission de
la condition de la femme des Nations Unies, que « l’égalité ne pourra s’accomplir sans l’implication des hommes ». Il nous apparaît par contre tout aussi fondamental de rappeler que l’égalité entre les sexes est loin d’être une réalité dans les faits, même au sein de la société québécoise qui est, de ce point de vue, certainement parmi les plus progressistes. Pour préserver nos acquis et construire plus de démocratie et de justice sociale sur la base de l’égalité entre les femmes et les hommes, de nombreux défis restent à relever. Pensons aux dossiers de l’équité salariale, de la lutte à la pauvreté, de la sécurité économique des femmes, de l’élimination des différentes formes de violence envers les femmes, de la représentation des femmes au sein des instances de la société civile et dans les différents lieux de pouvoir économique et politique, pour ne nommer que ceux-là.

On peut comprendre que la Ministre envisage un changement de nom pour le Conseil du statut de la femme. Celui-ci, rappelons-le, a été créé en 1973 dans une toute autre conjoncture. En raison du sens même du terme statut qui désigne une situation de fait et de l’utilisation du singulier « femme » qui tend à connoter une vision homogène et uniforme de l’expérience des femmes québécoises, il serait même intéressant que l’appellation soit revue. Mais, plutôt que l’appellation Conseil de l’égalité, qui est présentement celle qui semble être retenue par la Ministre, nous proposons celle de Conseil de l’égalité pour les femmes, car la première laisse trop de zones d’incertitude, tout au moins quant aux objectifs poursuivis et aux groupes visés en priorité par ces instances.

Par contre, proposer de revoir l’existence, le financement et la vocation du CSF, et remettre du même coup en cause l’existence du Secrétariat à la condition féminine, avant d’avoir mené une consultation élargie sur la question, ou d’avoir défini collectivement quelle société nous voulons bâtir pour atteindre une plus grande égalité entre tous les hommes et toutes les femmes, quels que soient leur statut socio-économique, leur origine, leur sexe, leur religion, nous semble pour le moins prématuré. D’autant que nous jugeons primordial que les missions respectives et les responsabilités spécifiques de l’un et l’autre soient préservées dans leur intégralité. D’une part, il est nécessaire que le principe de l’autonomie relative du Conseil par rapport au gouvernement tout comme sa présence auprès des femmes dans chacune des régions, où il assume une responsabilité d’information et de sensibilisation, soient maintenus pour garantir sa crédibilité et maintenir son influence. D’autre part, dans la mesure où le rôle du Secrétariat à la condition féminine consiste prioritairement à soutenir et à orienter, au sein même de l’appareil gouvernemental, le développement et la cohérence des actions des différents ministères en faveur de l’égalité, il importe que celui-ci dispose des ressources et des appuis nécessaires pour fournir l’expertise de recherche et le soutien administratif nécessaires à la réalisation de son mandat.

Notre soutien à la reconduction des mandats du CSF et du Secrétariat n’est pas un plaidoyer pour le statu quo. Nous ne refusons pas d’emblée toute proposition de réaménagement ou l’introduction de nouvelles stratégies qui permettraient de rendre ces organismes plus efficaces à insuffler des changements positifs pour les femmes et plus influents. Bien au contraire !

Nous sommes convaincues que tous les efforts pour assurer l’égalité entre les femmes et les hommes, et entre les femmes elles-mêmes, notamment dans les législations et les politiques, sont souvent aussi bénéfiques pour les hommes et les nouvelles générations que pour les femmes.

Francine Descarries, professeure Sociologie, UQAM, directrice universitaire, Alliance de recherche IREF/Relais-femmes (ARIR)

Ont cosigné ce texte :

Michèle Asselin, présidente, Fédération des femmes du Québec
Danielle Fournier, présidente, Relais-femmes
Diane Heffernan, coordonnatrice, Réseau des lesbiennes du Québec
Lise Lamontagne, directrice générale, Réseau québécois d’action pour la
santé des femmes
Rosalie Ndejuru, directrice, Centre de documentation sur l’éducation des
adultes et la condition féminine
Francine Mailloux, présidente, Fédération du Québec pour le planning des
naissances
Louise Riendeau, coordonnatrice des dossiers politique, Regroupement
provincial des maisons d’hébergement et de transition pour femmes victimes de violence conjugale
Lise Rousseau, présidente, Fédération des associations de familles
monoparentales et recomposées du Québec
Carole Tremblay, Regroupement québécois des Centres d’aide et de lutte
contre les agressions à caractère sexuel
Lise Savard, présidente, Fédération de ressources d’hébergement pour femmes violentées et en difficulté du Québec
Sandra Trottier, coordonnatrice, L’R des centres de femmes du Québec

Mis en ligne sur Sisyphe le 27 février 2004

Francine Descarries, professeure de sociologie, UQAM, et 11 groupes de femmes


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