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Le Regroupement des femmes québécoises
Mettre le féminisme au coeur du politique

7 mars 2004

par Élaine Audet

Plus ça change, plus c’est pareil, diront celles qui liront l’histoire du Regroupement des femmes québécoises (1976-81) que nous livre Andrée Yanacopoulo de ces "années de luttes passionnées, d’appropriation de notre territoire et d’affirmation de soi". Durant ce périple de cinq ans, hier comme aujourd’hui, des femmes veulent agir sur le plan politique et infléchir le processus de l’indépendance afin qu’il se fasse dans le sens de leurs revendications et des intérêts collectifs de plus de la moitié de la population.



C’est à partir d’un noyau de trois femmes, "le trimmulierat", composé d’Andrée Lavigne, Denise Lavigne et Andrée Yanacopoulo, que s’élabore, au fil des réunions, ce qui deviendra le RFQ, défini comme "un mouvement politique de pression, féministe et autonome, c’est-à-dire libre de toute attache politique autre que celles qu’il se donnera". Pour les organisatrices, l’important est de faire passer la lutte spécifique des femmes avant toutes les autres formes de lutte sociales ou nationales.

Elles partent du postulat de base que les quelque 53% de Québécoises ne sont pas adéquatement représentées dans le PQ et le gouvernement ni leurs besoins pris en considération. Il s’agit donc de veiller à la qualité de l’indépendance, car cette dernière risque fort de se faire sans les femmes et de perpétuer la société patriarcale dans laquelle elles vivent. Pour le RFQ, le féminisme doit transcender toutes les autres idéologies ou lignes de parti et c’est l’affirmation radicale de cette priorité dans le choix des actions qui fera son originalité.

Le congrès de fondation

Parce qu’elles sont indépendantistes, elles envisagent dans un premier temps de s’allier "avec celles qui militent au sein du parti et de les regrouper afin de faire pression sur ce dernier lors de son prochain congrès". Leurs espoirs sont vite déçus parce que les femmes du Comité national de la condition féminine du PQ croient plus efficace de lutter à l’intérieur qu’à l’extérieur du parti. Les militantes du RFQ se contentent donc de faire le bilan du congrès du PQ (27 mai 1977) dans le but de commencer à exercer des pressions sur son exécutif et de l’amener à prendre en compte explicitement et concrètement les demandes des femmes.

Elles entreprennent également une vaste campagne de recrutement et d’autofinancement, car il leur semble de la plus haute importance de ne dépendre de personne d’autre que d’elles-mêmes. Le RFQ prend enfin son envol lors du Colloque du 4 et 5 février 1978. Elles y réaffirment leur autonomie par rapport à l’État, au pouvoir et aux institutions et la volonté de prise en charge complète des processus de solution des problèmes spécifiques des femmes en dénonçant la présence de rapports sexuels de domination dans les domaines politique, économique, social et culturel.

En juin 1978, environ 250 militantes enthousiastes assistent au congrès d’orientation du Regroupement et affirment leur volonté de "travailler à instaurer une société sans exploitation ni oppression, à laquelle les femmes participent à titre de citoyennes à part entière, et en pleine coopération avec les hommes". Elles y font le choix de la non-mixité et de la lutte contre la violence faite aux femmes comme priorité.

Dans le feu de l’action

En 1978, elles participent à la lutte pour le rapatriement de Dalila Maschino, enlevée par son frère algérien, et prennent la tête du mouvement contre la censure de la pièce Les fées ont soif de Denise Boucher, frappée d’une injonction pour sa dénonciation virulente de l’aliénation des femmes par le patriarcat qui les réduits au statut de vierge ou putain.

Leur action la plus spectaculaire reste toutefois l’organisation d’un tribunal populaire contre le viol, précédé par la projection du film Mourir à tue-tête d’Anne-Claire Poirier devant une salle comble. Le 5 juin 1979, en présence de 750 femmes, le tribunal entend les témoignages bouleversants de femmes violées, auxquels viennent s’ajouter ceux de plusieurs spectatrices. Cette expérience illustre combien les victimes de viol sont réduites à l’impuissance lorsqu’il leur faut affronter ces trois systèmes essentiellement masculins que sont les appareils policier, médical et judiciaire. Pour Andrée Yanacopoulo, c’est une belle réussite. Pour la première fois au Québec, le viol faisait figure d’accusé sur la place publique.

Le comité référendaire

En dépit de la volonté du RFQ de mener la lutte des femmes sur le terrain politique, ce n’est que lors du référendum de 1980, après avoir perdu beaucoup de ses membres, qu’il y consacre toutes ses énergies. Il forme un comité qui a pour tâche de déterminer les priorités du regroupement et d’élaborer une stratégie et des moyens concrets afin de s’inscrire efficacement dans le débat référendaire

Les membres du comité référendaire arrivent à la conclusion que les femmes doivent se prendre en main, prendre leurs pouvoirs et désormais penser et agir en femmes. C’est cette priorité qu’elles recommandent d’inscrire au débat référendaire en écrivant "femme" sur leur bulletin de vote. Cette proposition est rejetée par la cinquantaine de militantes présentes sous prétexte qu’un tel mot d’ordre ne sera pas suivi, qu’elles veulent l’indépendance en dépit des blocages du PQ sur la question des femmes, qu’annuler leur vote serait contradictoire avec leur volonté d’être des citoyennes à part entière et qu’un tel geste favorisera le NON.

De leur côté, les éditions du Remue-ménage, appuyés par neuf autres groupes autonomes de femmes optent pour un "oui critique". Nicole Lacelle, en entrevue à l’émission radiophonique Présent Québécois (7-05-80), déclare : "Annuler, pour nous, c’est exempt d’efficacité parce que, le terrain politique, nous ne l’occupons pas, et il s’occupe de nous. […] Après le rassemblement des Yvettes, on aurait été peureuses de ne pas se prononcer. S’il n’y avait pas, je pense, de groupe féministe qui se prononce sur cette question, ça laisserait l’impression que toute la question politique est une affaire qui ne concerne que les hommes alors que ça règle autant la vie des femmes que celle des hommes".

Pour le comité référendaire du RFQ, annuler un vote, de manière concertée et délibérée, c’est refuser d’être complice de la société, c’est affirmer son autonomie et poser la lutte des femmes comme prioritaire. Selon A. Yanacopoulo : " Il faudrait qu’une bonne fois, les femmes utilisent leur pouvoir politique pour faire valoir leurs intérêts à elles".

Oppression spécifique, sociale, nationale

Le débat sur la position référendaire du RFQ ne fera que cristalliser les divergences qui le minent depuis sa création. La cause de son échec est de n’avoir pas su articuler sa lutte prioritaire contre l’oppression spécifique des femmes avec l’oppression sociale et nationale que subissent les Québécoises. En cela, il n’est pas le seul, car telle est la pierre d’achoppement de tous les rassemblements politiques féministes et de gauche au Québec.

Plusieurs militantes ont invoqué pour justifier leur démission : les luttes de pouvoir au sein du comité de coordination, l’absence de collégialité, le manque de cohésion, les divergences idéologiques et fonctionnelles, la priorité accordée aux actions ponctuelles par rapport aux objectifs initiaux du regroupement. Andrée Yanacopoulo pense qu’il s’agit plutôt, dès le départ, d’une contradiction entre celles qui voyaient dans le regroupement une sorte de groupe de conscientisation où prédominaient les rapports personnels plutôt qu’un lieu révolutionnaire pour inscrire les femmes en tant que citoyennes à part entière dans le destin collectif du Québec.

D’intenses débats ont aussi eu lieu en 1980 au sujet de la proposition d’amender la plate-forme pour y lire que, pour le RFQ, "l’objectif premier est de lutter contre l’oppression spécifique des femmes, sans distinction de classe sociale ni d’origine ethnique ni de race". Cet amendement est rejeté par l’assemblée du 25-26 janvier 1980 et remplacé par "l’oppression spécifique des femmes, laquelle atteint tout particulièrement les femmes moins privilégiées". Pour Andrée, Yanacopoulo, il s’agit là d’un "net recul du radicalisme".

Certaines militantes du RFQ considèrent les femmes comme une classe sociale en soi, évacuant ainsi complètement les différences socio-économiques entre celles-ci. Par rapport à une telle position, les féministes marxistes "reconnaissent que les deux systèmes de pouvoir s’articulent dans la réalité et, en partant des acquis du féminisme, elles essaient de développer une perspective de classe à l’intérieur du mouvement". Plusieurs cherchent à articuler les différentes facettes de leur identité comme fondement inaliénable de leur intégrité.

Aujourd’hui, l’ex-fondatrice du RFQ pense que "féminisme et nationalisme, loin d’être antagonistes, sont à vrai dire indissociables. […] On ne saurait être féministe au Québec sans être indépendantiste". C’est sur ce terrain que la rejoint Louise Harel, qui signe la préface.

Il faut savoir gré à Andrée Yanacopoulo d’avoir pu, dans une langue claire, précise, dénuée de toute lourdeur, tirer de l’oubli ce moment important de l’histoire des femmes en le situant de manière très vivante dans les débats de l’époque. L’auteure a puisé dans ses archives personnelles de nombreux documents qui viennent illustrer et renforcer la narration. Une réflexion qui s’impose au moment où le mouvement féministe est à nouveau confronté à diverses options politiques qui engagent son avenir.

Andrée Yanacopoulo est psychiatre, essayiste et éditrice. Elle a dirigé avec Nicole Brossard des collections consacrées à des productions de femmes dans diverses maisons d’édition et, pendant plus de dix ans, a assuré la recension de livres féministes au magazine Spirale.

Andrée Yanacopoulo, Le Regroupement des Femmes Québécoises 1976-1981, Montréal, Point de fuite et Remue-ménage, 2003.

Mise en ligne sur Sisyphe, le 28 février 2004

Élaine Audet


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