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mardi 29 mai 2007 Léa Roback vivante pour l’éternité
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Quand je pense à Léa Roback, je pense à sa joie, à son humour, à son indépendance d’esprit, à sa vaste culture, à sa détermination, à sa parole franche et directe, à son énergie inépuisable, à sa passion de la justice et de la connaissance, et surtout à sa soif de liberté. Liberté à l’encontre des idées reçues et de toute institutionnalisation (mariage, permanence syndicale, division sexuelle des rôles, etc.), alliée à une volonté irréductible de créer un monde meilleur, libéré de tout rapport de domination.
J’ai entendu parler de Léa Roback pour la première fois en 1971. Je militais alors dans le Comité populaire du Mile-End au sein d’un groupe de femmes qui visait à conscientiser et à regrouper politiquement les ouvrières du vêtement du quartier, principalement immigrantes. C’est en lisant l’histoire des luttes dans l’industrie du vêtement et du coton que j’ai appris quelles femmes remarquables étaient Léa Roback et Madeleine Parent. Presque quarante ans, après que Léa Roback a réussi, en 1937, à obtenir la première victoire des femmes dans l’industrie du vêtement, les nouvelles arrivantes se trouvaient, dans les années 70, toujours forcées de travailler au noir ou à domicile, sous le salaire minimum, sans aucune protection syndicale. L’exemple de ces deux militantes hors pair inspirait les objectifs féministes et sociaux que nous nous fixions dans les comités de femmes, de quartier ou d’action politique. Faire quelque chose ! Face à l’injustice, « on doit faire quelque chose ! » avait l’habitude de dire Léa Roback. Elle a été une des premières à signer notre pétition en faveur des travailleuses des Caisses populaires Desjardins, en accompagnant sa signature d’un mot chaleureux et mobilisateur. Elle a été de toutes les luttes des femmes, pour l’avortement, la paix, le retrait des jouets guerriers et violents, la dénonciation de l’iniquité dans tous les domaines. Lors de la syndicalisation des manufactures du vêtement et de la RCA Victor, Léa Roback insistait pour dire que le respect de l’intégrité du corps des ouvrières faisait partie des revendications prioritaires, au moment où les patrons et contremaîtres ne se gênaient pas pour toucher les travailleuses et leur réclamer des faveurs sexuelles sous peine de perdre leur emploi. J’ai vu Léa Roback pour la dernière fois, lors de son 90ième anniversaire en 1993, où quelques centaines de personnes, en majorité des femmes, s’étaient réunies pour bruncher avec elle, donner le coup d’envoi à la fondation qui porte son nom et lui rendre hommage. Elle nous avait alors donné rendez-vous pour fêter ses 100 ans. Hélas ! Fières d’être femmes Pour les femmes qui l’ont côtoyée, Léa restera vivante pour l’éternité. Elle fait partie de ces femmes dont j’ai parlé à mes filles pour leur constituer une mémoire qui les rendrait fières d’être femmes et debout à jamais. Je voudrais tant que les nouvelles générations s’inspirent de la vie de femmes courageuses comme Madeleine Parent et Léa Roback, en prenant connaissance des oeuvres qui leur ont été consacrées, tout particulièrement du livre d’Entretiens avec Nicole Lacelle, publié en 1988 aux éditions du remue-ménage et du film de Sophie Bissonnette, Des lumières dans la grande noirceur, tourné en 1992 et disponible à la Boîte noire. Ces deux femmes exceptionnelles prennent place dans le panthéon des grandes amitiés qui jalonnent notre histoire de femmes, aux côtés de Rosa Luxemburg et de Clara Zetkin pour qui l’amitié était inséparable de la lutte pour la justice sociale et l’autonomie des femmes. Aujourd’hui, Léa Roback nous regarde de l’intérieur ou de haut, comme une étoile brillante et rieuse. Nous lui sommes redevables de ce que nous sommes, elle qui nous a laissé en héritage le secret de l’éternelle jeunesse : ne jamais plier l’échine, être ouverte aux autres, avoir une curiosité inépuisable et croire à nos rêves. « Léa une organisatrice hors pair ! » Léa est partie vite, comme elle a vécu, me dit Madeleine Parent dans l’entrevue qu’elle m’a accordée quelques jours après la mort de son amie et complice. À ma question sur ce qui restera de plus vivace lorsqu’elle pensera à Léa, Madeleine Parent me répond sans hésitation que c’est leur première rencontre. Militante dans un comité étudiant de Mc Gill, Madeleine revendiquait de meilleures bourses du gouvernement pour les étudiant-es moins fortuné-es. Léa, âgée de quinze ans de plus qu’elle et déjà engagée dans l’organisation des femmes, ayant eu vent des activités de Madeleine, avait demandé à un ami commun de la lui présenter. Elles sont allées dans un de ces restaurants aux tables encastrées dans de hautes banquettes de cuir et elles ont parlé durant des heures, se souvient Madeleine, qui avait tant de questions à poser à Léa sur ses expériences de lutte, en Allemagne où elle avait vécu durant la montée du fascisme et, à Montréal, où elle était la principale artisane de l’accréditation syndicale des travailleuses du vêtement pour dames. L’enfer de la guenille À l’époque, c’étaient les Canadiennes-françaises qui étaient majoritaires dans le vêtement et la plupart des immigrantes étaient juives et originaires d’Europe de l’Est d’où les parents avaient fui les pogromes avec leurs enfants, lui raconte Léa. Elles avaient une conscience de classe alors que les Canadiennes-françaises étaient influencées par les curés qui leur disaient de fuir comme le diable les Juifs et les communistes. C’est ce fossé, en apparence infranchissable, que Léa Roback est arrivée à combler en faisant comprendre aux femmes de diverses origines ethniques que leurs intérêts fondamentaux étaient les mêmes, par-delà la religion et la politique. Madeleine s’est rendu compte que la grande force de Léa venait de ce qu’elle savait écouter et permettre aux femmes d’articuler leurs revendications. Très vite, elle devenait leur amie et leur confidente. Dès le départ, elle s’était dirigée vers les secteurs où les femmes étaient majoritaires parce qu’elles savaient que celles-ci étaient beaucoup plus exploitées que les hommes et que leur situation révélerait le vrai visage du patriarcat et du capitalisme. Saint-Henri et la lutte sur tous les fronts Après sa rencontre mémorable avec Léa, Madeleine Parent s’engage, en 1942, dans le comité de défense des travailleurs et travailleuses en temps de guerre, situé à Saint-Henri et, en 1943, dans le syndicat du textile primaire au moulin de coton de Saint-Henri. À cette époque, Léa a entrepris de syndicaliser les 4 000 employées de la RCA Victor également située à Saint-Henri et son comité d’organisation fait ses réunions dans le local occupé par le groupe de Madeleine. Celle-ci prend des notes durant les réunions et le soir rencontre un ami avec qui elle rédige un tract, le traduit et l’imprime sur la Gestetner. Le lendemain, elle rencontre Léa à l’épicerie du coin et elles divisent les tracts en paquets que Léa et les militantes du comité de syndicalisation cachent sous leurs vêtements pour entrer à l’usine. Elles arrivent bientôt à faire signer 97% des 4 000 travailleuses. Ce qui est exceptionnel, commente Madeleine. Une lutte qui restera dans les annales de l’histoire ouvrière où Léa Roback a démontré une fois encore, dit Madeleine, ses dons d’organisatrice hors pair. Je demande à Madeleine ce que les femmes faisaient de leurs enfants pendant leurs interminables heures de travail alors que les deux membres du couple travaillaient. C’étaient les grands-parents et les voisines qui s’en occupaient. Quand, épuisées, les mères rentraient, elles n’avaient d’autres choix que de les envoyer jouer dans la rue afin d’être capables de préparer le souper et de veiller à toutes les tâches d’entretien de la maisonnée. Une vie bien remplie Quand je m’enquiers si Léa a déjà éprouvé des regrets, Madeleine me répond qu’elle ne le croit pas. Elle a toujours été au bout d’elle-même et lorsqu’elle échouait quelque part, elle disait qu’elle saurait en tirer des leçons. Célibataire volontaire, elle a choisi, sur le plan personnel, de se consacrer à sa famille et à ses amies, prenant soin jusqu’à sa mort de sa mère qu’elle adorait. Deuxième d’une famille juive polonaise de neuf enfants, elle s’est toujours occupée de ses frères et soeurs et, plus tard, de ses neveux et nièces. Elle aimait bien les hommes, mais pas assez pour en avoir un à demeure. Tel n’était pas son destin, pensait-elle. Les enfants ne lui ont pas manqué car elle en a toujours eu une ribambelle autour d’elle. En terminant, Madeleine Parent rappelle que Léa Roback a été très active dans la lutte pour le vote des femmes, condition première de leur citoyenneté. Communiste convaincue, membre de La Voix des femmes, de divers comités populaires à Saint-Henri, elle a été de toutes les luttes contre l’antisémitisme, le racisme, l’apartheid, l’homophobie et surtout contre toutes les formes de discrimination et de violence envers les femmes. Notes biographiques . Née à Montréal en 1903 au sein d’une famille juive polonaise de neuf enfants. Mis en ligne sur Sisyphe, le 26 avril 2004. Suggestions de Sisyphe Fondation Léa Roback |