Le Forum sur les enjeux de la réforme du mode de scrutin, qui vient d’avoir lieu à Montréal, le 30 mai, a posé des questions cruciales pour la représentation politique des femmes. Les réponses apportées n’ont toutefois pas été aussi claires que je l’aurais souhaité comme féministe et comme porte-parole de l’UFP.
À l’instar de la plupart des rencontres féministes, le contenu informatif du Forum était copieux. Des exposés bien documentés sur les principes de la réforme proposée et sur les mesures d’action positive pour les femmes et les minorités culturelles ont mis la table. C’est donc d’autant plus dommage qu’un retard ait réduit le temps de discussion en atelier pour les quelques 60 personnes présentes. En après-midi, deux autres exposés sont venus compléter le tableau avant une discussion générale sur les suites à donner. Ce fut certainement l’aspect le plus décevant de la journée ! Les organisatrices du Forum - membres du Collectif Féminisme et Démocratie et de la Fédération des femmes du Québec - n’ont en effet proposé aucune stratégie claire pour en arriver à garantir une représentation équitable des femmes.
Un NON unanime au projet Dupuis !
Le premier objectif du Forum était de prendre position par rapport au modèle proposé par le ministre Dupuis. À ce chapitre, mission accomplie ! Le Collectif et la FFQ sont parvenus aux mêmes conclusions que l’UFP, à savoir qu’ajouter " des éléments de proportionnelle " à l’actuel système majoritaire uninominal ne peut mériter le qualificatif de réforme.
Les personnes présentes ont convenu que tout nouveau mode de scrutin devra répondre à quatre critères pour respecter la volonté de la population exprimée par le vote et pour assurer l’égalité des femmes et des hommes : 1) permettre deux votes ; 2) comporter des listes de candidates et candidats, de préférence par alternance homme, femme ; 3) allouer un minimum de 40 % des sièges à la proportionnelle pour corriger les distorsions du scrutin uninominal ; et 4) fixer un seuil d’éligibilité peu élevé pour donner aux nouveaux partis le droit à des sièges.
Un train de mesures sans locomotive
Le second objectif du Forum visait à suggérer des mesures d’action positive. Les femmes ont en effet conscience qu’il faudra plus qu’un nouveau mode de scrutin pour qu’elles soient " à égalité pour décider ". Voilà sans doute pourquoi la liste des mesures proposées par les organisatrices est si longue - 24 sans compter celles avancées par les participantes ! Certaines s’adressent aux partis et cherchent à favoriser le recrutement, la sélection et le soutien des candidates. Une des plus intéressantes, selon moi, concerne le fait de réserver automatiquement à une femme tout siège devenu vacant jusqu’à l’atteinte de la parité. Ceci permettrait d’augmenter assez rapidement le nombre d’élues, mais encore faudrait-il que les partis établis acceptent cette règle ou qu’une loi les y oblige. Les autres mesures s’adressent au gouvernement et visent par exemple à créer un Observatoire de l’égalité et à offrir des programmes d’éducation civique.
L’une des faiblesses de la longue série de mesures avancées vient de l’approche privilégiée, à savoir modifier la loi électorale pour y introduire des dispositions visant à atteindre une représentation égalitaire. L’expérience féministe depuis 40 ans a pourtant prouvé que, sans une volonté politique du gouvernement, une loi ne vaut pas le papier sur lequel elle est écrite. Mais il y a pire, selon moi. En effet, je reste perplexe devant l’absence de priorisation dans le plan d’action. Comme porte-parole nationale de l’UFP, le seul parti politique à faire campagne pour le scrutin proportionnel depuis plus d’un an, je suis très inquiète. Ajouter à la revendication d’un nouveau mode de scrutin une longue liste de mesures, n’est-ce pas offrir une porte de sortie au gouvernement ? Quoi de plus facile, en effet, que de promettre une loi qui restera ensuite lettre morte comme la loi sur l’équité salariale. En ne faisant pas de la proportionnelle notre seule revendication, pour le moment, nous risquons de rater une occasion unique de favoriser une représentation politique équitable des femmes.
Un contexte particulièrement difficile
Faut-il imputer le flou stratégique du plan d’action à des problèmes d’organisation ou aux limites de l’approche " éducation populaire " privilégiée ? Peut-être ceci trahit-il également la conscience de la conjoncture difficile et du rapport inégal des forces en présence, à savoir :
– un gouvernement libéral peu soucieux de démocratie qui concocte en secret un modèle sur mesure pour sa réélection ;
– une opposition officielle péquiste étrangement muette qui tente même de bâillonner les artisans de la réforme des institutions démocratiques, de peur d’être interpellée pour son inaction depuis 30 ans par rapport à un élément de sa plate-forme ;
– une députation adéquiste opportuniste qui tente de voir de quel côté soufflera le vent, mais qui n’aura qu’à récolter les avantages du nouveau mode de scrutin ;
– un mouvement syndical trop accaparé par les attaques répétées du gouvernement Charest pour mener des luttes plus secondaires, du moins en apparence ;
– et, enfin, un mouvement des femmes et des organisations populaires essoufflés, frappés de tous côtés par les compressions budgétaires, les abolitions et les menaces d’abolition de programmes, etc.
Que faire, alors ?
Il ne fait aucun doute qu’il faut continuer le travail d’information et de mobilisation auprès des femmes et de la population pour élargir l’appui à un mode de scrutin plus démocratique. Comme membre de l’exécutif d’un jeune parti offrant une vision alternative de la société, je suis convaincue que nous devons mettre la priorité sur cette réforme. Au lieu de réclamer des mesures, légitimes mais sans espoir de réalisation immédiate, concentrons notre énergie.
Interpellons tous les partis politiques pour les forcer à prendre position en faveur d’un scrutin vraiment proportionnel. Obtenons le soutien sans équivoque des syndicats, des groupes communautaires et des groupes de femmes. Exigeons une vraie commission parlementaire, d’une durée raisonnable pour recevoir les avis du maximum de citoyennes et de citoyens. Visons juste et ensemble, cette cible à portée de la main : un mode de scrutin capable de refléter fidèlement la volonté populaire qui nous fera franchir une étape essentielle vers la réalisation d’une véritable égalité et d’une pleine citoyenneté pour les femmes. C’est certainement la tâche à laquelle l’UFP continuera à se vouer durant les prochains mois.
Denise Veilleux a été élue porte-parole nationale et vice-présidente de l’UFP lors du deuxième congrès de ce parti qui s’est tenu du 21 au 23 mai 2004.
Site de l’UFP.
Mise en ligne sur Sisyphe, le 2 juin 2004
Suggestions de Sisyphe sur le mode de scrutin
– Mouvement Démocratie Nouvelles qui publie un bulletin à télécharger sur son site.
– Collectif Féminisme et Démocratie