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jeudi 3 février 2005


Mémoire du groupe Salvya sur l’Avis du CSF
Non à la symétrisation et à un conseil de l’égalité

par Isabelle Boily, Hélène Charron, Catherine Charron, Laurence Fortin-Pellerin






Écrits d'Élaine Audet



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Résumé du mémoire du groupe Salvya et comité jeunes F.EM.M.E.S sororitaires du Centre des femmes d’Aujourd’hui présenté à la Commission parlementaire sur l’avis du CSF, « Vers un nouveau contrat social pour l’égalité entre les femmes et les hommes ».

Salvya est un groupe formé par des jeunes féministes de l’Université Laval provenant de différents départements. Il a comme premier objectif de discuter et d’échanger mais aussi de donner plus de visibilité à la relève féministe. Le nom du groupe vient de salvia, mot latin qui signifie sauge, dont les vertus sont reconnues pour soigner les pertes de mémoire et faciliter la respiration. Le groupe veut ainsi assurer la vitalité et la pérennité du féminisme.

***

Au Québec comme ailleurs dans le monde, les femmes continuent de subir plusieurs injustices en raison de leur sexe. La violence faite aux femmes, la difficile articulation travail-famille, le partage des tâches domestiques inéquitable, les problèmes de santé mentale et la représentation symbolique dégradante des femmes n’en sont que quelques exemples. Dans plusieurs cas, les jeunes femmes constituent un groupe particulièrement touché.

Féminisme et non-mixité diabolisés

Le discours des jeunes femmes, présenté comme anti-féministe, est utilisé dans l’avis du Conseil du statut de la femme, « Vers un nouveau contrat social pour l’égalité entre les femmes et les hommes », pour délégitimer le féminisme en général et mettre en place l’idée de la nécessaire intégration des hommes dans le « nouveau contrat social » pour l’égalité. Or, selon nous, la non-mixité, tout comme le féminisme, sont des notions qui auraient dû se voir mieux diffusées socialement avant que l’on ose affirmer qu’elles sont dépassées ou rejetées par les jeunes femmes. Le féminisme et la non-mixité sont actuellement diabolisés par les médias et les femmes s’affichant comme féministes s’exposent à diverses représailles.
Malgré cela, de nombreuses jeunes femmes s’impliquent activement dans des groupes non mixtes au sein du mouvement des femmes. Cela doit être pris en compte lorsqu’il est question de l’attitude des jeunes femmes vis-à-vis du féminisme. Les jeunes femmes ont droit à l’égalité et à la justice sociale, qu’elles soient massivement prêtes à se battre pour l’obtenir ou non. L’approche féministe, même si elle est méconnue et lourde à porter, est nécessaire pour comprendre les rapports sociaux de sexe au Québec, puisqu’elle demeure la seule porteuse d’un projet d’égalité soutenu par une analyse socio-politique de la réalité.

Par ailleurs, il est incontestable que l’ensemble des hommes devra, en définitive, transformer ses comportements pour qu’une réelle égalité soit possible. Toutefois, cela ne signifie pas qu’il faille dorénavant inclure à tout prix et indistinctement des représentants masculins dans les institutions qui luttent contre l’inégalité. Les hommes conscientisés aux rapports inégalitaires entre les sexes s’impliquent déjà aux côtés des féministes tout en ne cherchant pas à imposer leur vision de ce que devrait être l’égalité. Quels sont actuellement les instruments d’analyse dont dispose le gouvernement pour évaluer les intentions réelles des groupes masculins dans leur volonté de proposer de nouveaux modèles égalitaires ? Comment se fait-il qu’aucune réflexion ne soit faite dans l’avis du Conseil du statut de la femme sur les profondes difficultés (principalement épistémologique et politique) pour les hommes, encore en position dominante, de comprendre les discriminations que vivent les femmes ? Comment contrer le danger, bien réel, de récupération du projet d’émancipation des femmes, alors que l’avis n’aborde même pas ces questions ?

L’approche spécifique aux femmes évacuée

L’avis proposé par le CSF comporte une approche spécifique aux femmes, nécessaire selon nous, mais évacuée en douce dans l’ensemble du document. En effet, la symétrisation des situations des femmes et des hommes, présente tout au long du document, tente plutôt de justifier un abandon de cette approche. Une perspective symétrisant les positions des hommes et des femmes sous-tend les réflexions du rapport. Or, symétriser ces positions présuppose que l’égalité entre les deux sexes est pratiquement réalisée, et que si les inégalités touchent encore plus les femmes, les hommes auraient eux aussi à vivre des « discriminations » liées à leur appartenance de sexe : « Pour les garçons, les conséquences des stéréotypes peuvent aussi être préjudiciables » (CSF 2004 : 28). Nous nous opposons à l’idée qu’à la fois les hommes et les femmes sont confrontés à des discriminations fondées sur l’appartenance de sexe, ainsi que le laisse entendre l’approche préconisée dans l’avis. Il ne faut pas oublier que, collectivement, les hommes sont les premiers à tirer profit des stéréotypes. En affirmant que les hommes et les femmes sont victimes des stéréotypes de sexes, on insinue que le système patriarcal ne profite à personne. Et pourquoi fonctionne-t-il si bien et depuis si longtemps s’il n’y a que des perdants ?

Une vision naïve du changement social

L’approche transversale mise de l’avant dans l’avis pose problème dans la mesure où elle doit se concrétiser par l’approche intégrée de l’égalité, qui relève les différences entre les situations des deux sexes sans être porteuse d’une vision de changement social en vue d’une plus grande égalité. Cette approche, sujette à la récupération, n’a guère porté fruit dans les pays où elle a été utilisée. L’approche sociétale, quant à elle, est le palier de l’avis qui suscite chez nous la plus vive opposition. Elle se base sur une vision naïve du changement social où les rapports de force sont évacués et elle présente des dangers particulièrement importants dans le contexte anti-féministe que nous vivons actuellement.

Nos recommandations sont à l’effet que le Conseil du statut de la femme et le Secrétariat à la condition féminine soient maintenus comme instances autonomes et non mixtes adoptant une approche spécifique aux femmes ; qu’une ministre responsable de la condition féminine soit nommée ; que davantage de ressources soit octroyées pour documenter la situation des jeunes femmes ; que les jeunes féministes soient reconnues comme interlocutrices valables et actrices sociales porteuses d’un projet d’égalité ; que le féminisme soit enseigné aux jeunes et que les liens entre le CSF et mouvement des femmes soient maintenus tout en permettant une indépendance de pensée et d’action de ce dernier.

Mémoire du groupe Salvya

Le Québec fut et doit demeurer un modèle d’avant-garde en ce qui a trait aux avancées vers l’égalité entre les sexes. Il est toutefois pernicieux de vouloir bannir les instances spécifiquement destinées aux femmes, qui adoptent une approche explicitement féministe. En tant que groupe de jeunes féministes, nous croyons sur la base de nos expertises académique, communautaire, en matière d’intervention féministe et de réflexion critique, que les instances spécifiquement destinées aux femmes, le Conseil du Statut de la femme et le Secrétariat à la condition féminine, doivent demeurer en place sous leur forme actuelle. Selon nous, ces institutions offrent encore le meilleur cadre étatique pour penser les balises de l’égalité de fait entre les sexes, et parce que le féminisme n’est pas encore assez connu des jeunes femmes pour qu’on puisse dire sérieusement qu’elles ne s’y reconnaissent plus.
Ce mémoire propose une réflexion fondée sur des données et des faits tirés des études produites sur les jeunes femmes québécoises, et se divise en quatre parties. Nous proposons dans un premier temps un portrait bref des inégalités de sexe que vivent encore les jeunes femmes dans la société québécoise.

Puis, nous montrons qu’il est faux d’affirmer que les jeunes femmes ne se reconnaissent plus dans le mouvement féministe à l’aide de contre-exemples démontrant l’engagement féministe de plusieurs d’entre elles. Par la suite, nous identifions les limites de l’approche de l’avis du CSF (2004) Vers un nouveau contrat social pour l’égalité entre les hommes et les femmes pour finalement soumettre des recommandations en tant que jeunes femmes et que jeunes féministes. Nier l’inégalité des rapports sociaux de sexe en adoptant une approche symétrisant ces rapports ne fera jamais avancer la cause de l’égalité entre les femmes et les hommes. Au contraire, cela causera des reculs insoupçonnables pour les Québécoises des prochaines générations.

Portrait des inégalités entre les sexes et situation des jeunes femmes

Au Québec comme ailleurs dans le monde, les femmes ne vivent pas encore en situation d’égalité avec les hommes. Moins évidentes que les inégalités de droits, les inégalités sociales qui persistent se retrouvent dans tous les espaces de la vie privée et publique. L’avis du CSF fait un rapide examen des inégalités dont sont victimes les femmes jeunes et moins jeunes ; nous appuyons ses analyses à ce sujet et nous ne reproduisons pas inutilement les données statistiques qu’il propose. Nous ajoutons toutefois quelques éléments négligés.

Dans toutes les sphères du pouvoir social - notamment en politique, dans le milieu des affaires et chez les universitaires - les femmes sont encore moins visibles et se positionnent généralement aux niveaux inférieurs des hiérarchies du pouvoir (Tremblay et Pelletier 1995).

Sur le plan professionnel, les métiers typiquement féminins, vers lesquels continuent de s’orienter beaucoup de jeunes femmes, sont encore moins rémunérés, souvent précaires et faiblement reconnus socialement (1). L’équité salariale demeure un projet gouvernemental qui tarde à se réaliser. Les femmes se retrouvent donc surreprésentées parmi les personnes vivant en situation de pauvreté, d’autant plus que la maternité, facteur d’appauvrissement économique et de précarisation de l’emploi, n’est pas remise en question par les jeunes femmes (De Koninck et Malenfant 2001).

Dans ce contexte, le fait qu’elles demeurent les principales responsables des tâches domestiques (Descarries et Corbeil 1995) et sont majoritairement les cheffes des familles monoparentales québécoises (Malenfant 2002), indique l’ampleur des difficultés auxquelles les femmes, et particulièrement les jeunes femmes, sont spécifiquement confrontées dans notre société.

La difficile articulation travail-famille continue de concerner principalement les femmes, qui sont plus nombreuses à envisager le travail à temps partiel sans compensation, et même l’arrêt de travail dans des conditions qui leur enlève souvent toute autonomie financière et support de l’extérieur (Malenfant 2002) ; des conditions qui ne sont guère différentes de celles que leurs mères ont connues. L’idée largement répandue selon laquelle les hommes s’impliquent davantage dans l’espace domestique ne se traduit pas dans les faits par un allégement de la tâche des femmes, qui consacrent encore en moyenne plus de temps aux activités domestiques que professionnelles (34 heures/semaine contre 23 heures), à l’inverse de leurs conjoints masculins (22,5 h/semaine contre 33 heures) (ISQ 2000). Il ne faudrait pas, pour cette raison, croire que la situation des deux sexes se pose dorénavant dans les mêmes termes.

La violence faite aux femmes, problème social majeur particulièrement criant chez les jeunes femmes, s’inscrit dans un rapport de domination des hommes sur les femmes ; elle ne doit pas être réduite à une série de fait divers indépendants les uns des autres. Le harcèlement et les agressions sexuelles touchent encore les femmes de tous les milieux. Les jeunes femmes de 18-24 ans représentent le groupe le plus vulnérable aux agressions sexuelles et au harcèlement sexuel (Néron 2000). Selon le Ministère de la sécurité publique, les jeunes de 12 à 24 ans composaient, en 2001, 25% des victimes dans les dossiers de violence conjugale (Motard 2003). Il faut également souligner le problème très réel du manque de crédibilité accordé aux femmes qui portent plainte pour harcèlement sexuel (Néron 2000).

D’un autre côté, des études récentes démontrent que l’état de santé mentale des jeunes femmes est plutôt alarmant. Le taux de détresse psychologique (notamment la dépression et l’anxiété) atteint des sommets inquiétants chez les jeunes femmes, ce qui est expliqué notamment par le contexte socio-économique, la violence subie, les pressions du marché du travail, la charge domestique et la maternité (Pageau et Ferland 2002). De plus, les troubles alimentaires (boulimie ou anorexie) touchent principalement les adolescentes (à 90%), qui sont de plus en plus nombreuses et jeunes à souffrir de ces problématiques encore mal comprises par les professionnels de la santé.

Il faut ajouter à ces éléments, dégagés par le rapport du CSF, les inégalités symboliques, de l’ordre des représentations, dont les effets sont toutefois bien concrets. Pensons au phénomène de la sexualisation précoce des jeunes filles, qui rejoint le problème plus large des modèles proposés aux femmes dans les médias : modèles sexualisés, infantilisés et anorexiques (Bouchard et Bouchard 2003). Notre groupe, Salvya, a montré en mars 2004, par le biais d’une exposition analytique, comment le sexisme était encore omniprésent tant dans la publicité que dans l’humour, la bande dessinée, les jeux vidéos et les livres pour enfants, en reconduisant sans nuances les stéréotypes de sexe et en objectivant, sexualisant et dégradant les femmes. Ces deux derniers exemples nous confrontent à une réalité inquiétante, celle du recul de certaines idées égalitaires dont les féministes de la génération précédente s’étaient faites les porte-étendards. Plus fondamentalement encore, de nombreuses recherches universitaires insistent sur le caractère androcentrique du savoir occidental, sur les effets de la culture sexiste millénaire sur la perception des femmes, sur les paradigmes scientifiques qui naturalisent les différences entre les sexes, que ce soit en psychologie ou en biologie, pour ne nommer que ces deux domaines.

Tout compte fait, les jeunes femmes continuent donc de vivre des discriminations liées à leur sexe, et l’analyse féministe demeure essentielle pour penser l’univers des possibles vers l’égalité entre les sexes. Trente ans de féminisme au sein de l’État québécois a permis de belles avancées pour les femmes, mais cela demeure peu de choses face à l’ampleur de la tâche de rendre égalitaire l’ensemble de notre société dans toutes ses dimensions.

Les jeunes femmes et le féminisme

    La méconnaissance du féminisme et son supposé rejet par les jeunes femmes

Les principaux médias québécois, les dirigeants politiques, et même le Conseil du Statut de la femme, dans son avis Vers un nouveau contrat social pour l’égalité entre les femmes et les hommes, défendent l’idée erronée selon laquelle les jeunes femmes ne se reconnaissent plus dans le féminisme. Cette idée n’est pas nouvelle. Micheline Dumont nous rappelle qu’à toutes les périodes de l’histoire contemporaine, des voix se sont levées pour affirmer, péremptoirement, que le féminisme ne rejoignait pas, ou plus, les femmes qu’il prétendait représenter.
Ce féminisme a suscité, dès son apparition, les réactions virulentes de plusieurs groupes masculins contribuant ainsi à établir une dichotomie entre le BON et le MAUVAIS féminisme. […] Peu à peu, c’est tout le féminisme qui a été jugé radical.
[…] Une nouvelle dichotomie est venue séparer les féministes. Celles qui sont PARLABLES et celles qui sont CRIARDES. […] Bien entendu, les PARLABLES sont celles qui, ironiquement, ne parlent pas, celles qui disent : « je ne suis pas féministe ». […] Mais que faire de celles qui sont CRIARDES, celles qui proposent une interprétation qui dérange les beaux syllogismes masculins (d’ailleurs repris par bien des femmes), celles qui persistent à parler ? Vous nuisez à votre cause, leur répète-t-on. Taisez-vous. Aussi est-il facile de constater que ce sont maintenant les FÉMINISTES qu’on oppose au FÉMINISME. Maintenant qu’on a reconnu la justesse de leurs analyses […], on voudrait qu’elles se taisent (Dumont 1991 : 142-144).

Actuellement, peu d’études sérieuses existent sur les jeunes femmes et les idées féministes. Celles qui sont disponibles démontrent qu’au contraire, les jeunes femmes ne rejettent pas les convictions féministes de leurs mères, qu’elles connaissent, pour la plupart, plutôt mal d’ailleurs (Guindon 1996 ; Quéniart et Jacques 2002 ; Charron 2003).

Comment se fait-il alors que le discours véhiculé dans les médias soit celui d’une désaffection féministe de la part des jeunes femmes ? Nous croyons qu’il faut chercher la réponse à plusieurs endroits. D’abord, le féminisme n’a jamais reçu un accueil suffisant dans les institutions scolaires : les professeurs ont bien cherché à éliminer un certain sexisme dans leurs classes, mais n’ont jamais été appelés à expliquer le féminisme à leurs étudiantEs. Ainsi, les jeunes qui obtiennent aujourd’hui un diplôme de premier cycle universitaire, même en sciences sociales, peuvent très bien n’avoir jamais entendu parler du mouvement des femmes (Charron et Fortin-Pellerin 2004). Ces personnes qui n’ont pas vécu la période d’effervescence des années 1970, qui sont nées alors que le discours néolibéral faisait son apparition et devenait rapidement hégémonique, ont grandi dans un contexte social de plus en plus individualiste et mixte dans lequel les seules images largement disponibles du féminisme étaient orientées vers le discrédit du mouvement : le temps des révoltes et des utopies est dépassé, le réalisme libéral comme une panacée.

Comment les auteures de l’avis peuvent-elles affirmer que « nombre de jeunes femmes n’imaginent pas travailler à l’égalité entre les sexes autrement que dans un contexte de mixité » (CSF 2004 : 45) alors que celles-ci n’ont connu que la mixité depuis leur plus jeune âge et n’ont jamais fait l’expérience de groupes non mixtes ? Une étude récente sur les jeunes femmes de la région de Québec conclut pourtant, à la lumière d’entretiens de groupes, que les jeunes femmes, réticentes a priori vis-à-vis les groupes non mixtes, souhaitent, une fois qu’elles en ont fait l’expérience, que ce type d’espace devienne plus accessible. « L’expérience des groupes cibles a donc fait prendre conscience à ces jeunes femmes de la pertinence des espaces de discussion non mixtes » (Charron 2003 : 65).

Il ne faut pas oublier non plus que celles qui affirment leurs convictions féministes s’exposent souvent à des représailles sociales (intimidation, par exemple), et que ce facteur joue lorsque des femmes sont questionnées à ce sujet (Guidon 1996). La non-mixité, tout comme le féminisme, devront être des notions mieux diffusées socialement avant que l’on puisse affirmer qu’elles sont dépassées ou rejetées par les jeunes femmes. Nous ne pourrons affirmer que les jeunes femmes ne se reconnaissent plus dans le discours féministe qu’au moment où nous nous serons assurés que tous les individus, dès l’école secondaire, ont reçu un enseignement sur le féminisme, son histoire, ses idées, son humanisme et ses projets d’égalité et de justice sociale. Alors seulement nous pourrons discuter sainement, car nous saurons que nous parlons du même phénomène social.

    Les engagements féministes des jeunes femmes

D’un autre côté, cette affirmation du rejet du féminisme et de la non-mixité par les jeunes femmes est facilement démontée par les nombreux exemples d’engagements féministes des jeunes Québécoises. Ces dernières années, plusieurs exemples convainquent de la vitalité de l’adhésion des jeunes femmes au féminisme.

En plus d’un engagement toujours renouvelé de jeunes femmes dans les comités femmes, les organismes communautaires, des partis politiques ou des syndicats, il est facile de constater le dynamisme des groupes explicitement féministes dans lesquels les jeunes femmes sont nombreuses à s’impliquer : FFQ, centres de femmes, maisons d’hébergement, groupes de soutien aux mères monoparentales, organismes pour la promotion des femmes en politique et dans le secteur des affaires, etc. D’autres formes de militantisme féministe rejoignent également plusieurs jeunes femmes : des émissions de radio communautaire féministes, des collectifs festifs et dénonciateurs, des groupes féministes radicaux indépendants (Pagé, 2004 ; Morissette, Landreville, Plante, Morissette, Lavoie et De la Sablonière, 2004 ; Dubé, 2004). Le milieu universitaire n’est pas en reste avec de nombreuses associations étudiantes où les femmes ont créé des structures leur étant destinées et des regroupements voués spécifiquement aux jeunes féministes (comme notre groupe Salvya). De plus, les jeunes femmes s’impliquent activement dans les groupes de recherche féministe existant dans presque toutes les universités québécoises.

Cette implication des jeunes femmes a d’ailleurs donné lieu, dans les dernières années, à de nombreux événements témoignant de la vitalité de l’engagement féministe de cette génération. L’année 2003 a connu deux mobilisations non mixtes novatrices à l’échelle provinciale. Le Rassemblement des féministes radicales a réuni durant l’hiver une centaine de féministes radicales dont la grande majorité était des jeunes et le grand rassemblement des jeunes féministes, intitulé S’unir pour être rebelles, a rassemblé plus de 200 jeunes femmes de 14 à 30 ans durant l’automne (Beaulieu, 2004). Par ailleurs, le groupe de jeunes féministes de l’Université Laval, Salvya, a présenté une exposition sur le sexisme dans les médias à l’occasion du 8 mars 2004. Dans cette veine, le comité jeunes F.E.M.M.E.S sororitaires et le comité jeunes femmes du Regroupement des groupes de femmes de la région 03 ont fait signer une pétition pour que les dirigeants politiques mettent en place une réglementation, toujours inexistante, contre le sexisme ambiant dans les médias, sexisme qui monte en force depuis les années 1990.

La voix de ces jeunes féministes est-elle entendue dans les médias, par les décideurs politiques, par les auteures de l’avis du Conseil du statut de la femme Vers un nouveau contrat social pour l’égalité entre les femmes et les hommes, et par le comité externe qui les ont conseillées dans cette réflexion ? Leur discours féministe n’est pas écouté ni considéré comme significatif de l’opinion de jeunes femmes. En lieu et place, ce discours est marginalisé, discrédité, camouflé, et c’est plutôt l’idée non documentée d’un rejet du féminisme par les jeunes femmes, présenté comme systématique et fruit d’une décision libre et éclairée, qui est largement diffusée. Une des seules études récentes sur l’engagement des jeunes femmes (Quéniart et Jacques 2002) conclut à un décalage entre leurs actions, notamment à caractère féministe, et l’image d’apolitisme qui leur est accolée. À la lumière des exemples d’engagement mentionnés précédemment et des convictions des jeunes femmes au sujet de la condition féminine dans notre société, il n’est donc pas permis de croire au désintérêt des femmes pour la cause féministe, et ce, malgré un contexte généralisé de diabolisation du féminisme et d’occultation du savoir féministe (Guindon 1996 ; Charron 2002).

Finalement, tous ces débats autour du féminisme des Québécoises ne doivent pas faire oublier une chose : les jeunes femmes ont droit à l’égalité et à la justice sociale, qu’elles soient massivement prêtes à se battre pour l’obtenir ou non. L’approche féministe, même si elle est méconnue et lourde à porter, est nécessaire pour comprendre les rapports sociaux de sexe au Québec, puisqu’elle demeure la seule porteuse d’un projet d’égalité soutenu par une analyse socio politique de la réalité.

Critique de l’approche préconisée par l’avis Vers un nouveau contrat social pour l’égalité entre les femmes et les hommes/

Le Conseil du statut de la femme a été créé en 1973 pour promouvoir et défendre les droits et les intérêts des Québécoises. Son mandat est de conseiller le gouvernement du Québec sur tout sujet qui concerne la condition féminine et de fournir de l’information pertinente aux femmes et au public. Depuis sa création, le CSF a adopté une approche théorique féministe lui permettant de réfléchir sérieusement sur les rapports inégalitaires entre les sexes. Les transformations qui sont proposées dans l’avis Vers un nouveau contrat social pour l’égalité paraissent à première vue louables. En effet, personne ne peut s’opposer au projet de prolonger l’égalité de droit en égalité de fait. Néanmoins, il nous apparaît que les recommandations de l’avis vont dans la mauvaise direction en rejetant implicitement l’approche féministe, remplacée d’une part par l’Approche intégrée de l’égalité, et, d’autre part, par un cadre d’analyse symétrisant les positions sociales des hommes et des femmes, comme si l’analyse en terme de rapports de force était dépassée. Or, en tant que jeunes femmes concernées par la question de l’égalité entre les sexes, nous considérons que l’approche féministe demeure pertinente et nécessaire à l’atteinte de l’égalité de fait. De plus, nous soutenons que même si l’atteinte de l’égalité est impensable sans de profondes transformations dans le comportement des hommes, la présence masculine dans une instance vouée à régler les inégalités de sexe comporte actuellement plus d’un risque - notamment celui de voir se reproduire au sein de cette nouvelle instance les stéréotypes qui font que les hommes ont traditionnellement accaparé les lieux de pouvoir. Et cette présence masculine n’offre aucunement une véritable solution au problème du manque d’intérêt de la majorité des hommes pour l’égalité entre les sexes, encore perçu comme un sujet d’intérêt féminin.

    Une vision déformée du mouvement des femmes et des inégalités entre les sexes

L’avis Vers un nouveau contrat social pour l’égalité entre les femmes et les hommes laisse entendre à plusieurs reprises et de diverses manières que le cadre d’analyse féministe est insuffisant pour établir l’égalité de fait. Toute la démarche conduisant à la production de ce document semble s’édifier en fonction de cette idée.

D’abord, les auteures présentent une image déformée des avancées des Québécoises en matière d’égalité entre les sexes et des inégalités persistantes. Les femmes du Québec ont incontestablement réalisé de grandes prouesses depuis les trente dernières années. Néanmoins, il est fallacieux de présenter ces gains comme s’ils étaient linéaires, irréversibles et acquis sans résistance. Le contexte actuel aux Etats-Unis et les reculs quant aux droits à l’avortement, entre autres, démontrent bien les limites d’une vision inexacte de l’histoire (Perrault, 2003). Les droits acquis par les femmes du Québec ont été gagnés à l’arraché, dans des luttes dont l’issue n’était jamais certaine. « Le droit de vote, qui nous semble aujourd’hui si banal, a été farouchement combattu par les hommes durant près d’un siècle. Il ne suffit pas de s’étonner des propos invraisemblables qui ont été prononcés naguère. Ce temps n’est pas si loin » (Dumont 1998 : 19). L’histoire du mouvement des femmes, et des mouvements sociaux en général, nous apprend qu’il n’est pas réaliste de croire que l’égalité s’établit par consensus, sans résistance de la part des groupes possédant les privilèges à partager. L’apparition dans l’espace public québécois d’un discours masculiniste réactionnaire (Bouchard, Boily et Proulx, 2003) devrait d’ailleurs faire réaliser aux dirigeants que l’égalité entre les femmes et les hommes, au Québec, dérange encore beaucoup de personnes prêtes à se mobiliser contre toutes transformations des rôles traditionnels.

Par ailleurs, à l’exception de la brève présentation des inégalités persistantes dont souffrent les Québécoises, la vision de ces inégalités développée dans le reste du document est inquiétante. En effet, les inégalités mentionnées au début de l’avis disparaissent dans les analyses qui suivent. Au sujet du rôle parental, de l’éducation à la sexualité, des effets négatifs des stéréotypes, les deux sexes apparaissent bientôt comme confrontés aux mêmes problématiques, aux mêmes effets négatifs des stéréotypes, à des défis similaires. Cette symétrisation des positions masculines et féminines dans notre société est néfaste pour la compréhension des rapports sociaux de sexe. Nous y reviendrons.

    Un projet à trois niveaux mal défini

L’avis propose ensuite un élargissement de la perspective existante. « Le projet proposé prévoit de poursuivre les actions du passé en faveur de l’égalité tout en élargissant la perspective » (p. 9 de la synthèse). L’élargissement ne présente aucun problème a priori ; c’est la perspective choisie, défendant la nécessité d’aller au-delà de l’approche féministe, qui pose des difficultés. Déjà dans les premières pages,ladivisionduprojetentroisapprochesmontredesdéfaillances significatives. L’approche spécifique demeurerait pertinente, selon les auteures, mais insuffisante ; on devrait lui ajouter une approche transversale à tout l’appareil gouvernemental, assurée par l’approche intégrée de l’égalité (AIE), et une approche sociétale qui permettrait de mieux intégrer les hommes dans la quête collective de l’égalité.

L’AIE est une formule importée d’Europe, où les mesures spécifiques sont pratiquement inexistantes, qui demeure limitée au cadre gouvernemental et dont les résultats sont peu satisfaisants dans leurs pays d’origine (Bouchard 2004). Si elle n’est pas accompagnée d’une perspective féministe, l’AIE causera de grands reculs pour les Québécoises. Si cette approche permet en effet d’observer des différences entre les sexes, elle ne facilite en rien cependant le développement d’une réflexion sérieuse sur les moyens que la société québécoise devrait adopter pour que les hommes prennent leurs responsabilités dans les domaines des tâches domestiques, de la sexualité, du rôle parental, etc.

Les auteures de l’avis affirment qu’un troisième pallier d’intervention, sociétal, doit être mis en place pour que les hommes et les garçons fassent dorénavant partie de la réflexion sur l’égalité, comme si l’approche spécifique et féministe ne concernait pas l’ensemble de la société. Il s’agit encore une fois d’une image tronquée du mouvement des femmes et de l’analyse féministe. En effet, il existe déjà une ouverture au sein du mouvement des femmes pour l’implication des hommes qui désirent apporter leur appui sans pour autant dicter leur ligne d’action aux femmes. Cependant, cette participation masculine repose sur une base volontaire, et elle ne doit pas être un critère pour juger de la légitimité du mouvement. Les changements prônés par les féministes sont globaux, leur vision est large et leur travail bénéficie à l’ensemble de la société.

Voici quelques exemples qui nous permettent d’affirmer que les auteures de l’avis procèdent à cette négation de l’expertise féministe en matière de rapports sociaux de sexe et des efforts du mouvement des femmes pour interpeller et intégrer les hommes à leurs luttes.

1- « L’État ne peut à lui seul porter le projet de l’égalité » (synthèse p. 10). L’État n’a jamais été, et n’est pas davantage aujourd’hui, le principal acteur de la lutte pour l’égalité entre les sexes. Le mouvement des femmes, et les féministes, demeurent les principaux agents du changement, même si leurs actions sont ignorées dans ce rapport.
2- « Il serait utile de documenter les manifestations et les effets des stéréotypes sexuels et sexistes. […] Plusieurs sujets mériteraient d’être approfondis tels la construction des rôles sociaux basés sur le sexe et l’intégration des stéréotypes… » (synthèse p. 11). Une abondante littérature scientifique féministe existe déjà sur ces thèmes et continue d’être produite dans les milieux universitaire et communautaire. Pourquoi ne pas utiliser ce savoir disponible et dégager de nouvelles ressources pour qu’il puisse se développer sans la précarité qui est actuellement une des caractéristiques majeures de ses conditions de production ? Pourquoi le gouvernement pense-t-il avoir besoin d’une nouvelle approche pour « éliminer toute conception stéréotypée des rôles masculins et féminins dans les programmes éducatifs » (p. 12 synthèse), alors que cette tâche a été amorcée efficacement avec une approche féministe depuis la fin des années 1970 ?
3- « Cette expertise [scientifique, largement féministe, au sujet de l’égalité entre les sexes] doit être maintenue et même développée pour inclure des nouveaux angles d’approche et documenter les différents enjeux liés à l’égalité » (synthèse p. 25). Or, quelles sont ces nouvelles approches, théoriquement mal définies, vaguement présentées comme des solutions miracles ? Les dirigeants politiques québécois prendront-ils la décision de modifier l’approche adoptée par le CSF depuis 1973 sans que ces nouvelles voies soient préalablement clairement définies, alors qu’on sait que les seules avenues qui ont à ce jour donné des résultats sont les approches féministes, pourtant rejetées du revers de la main dans le document ?
4- « La conjoncture réclame maintenant de passer à une autre étape, plus systémique ». Cette nouvelle approche pour assurer l’égalité entre les hommes et les femmes au sein du gouvernement, en prenant comme exemple les pays européens, occulte une fois de plus le fait, documenté, que les résultats de l’application de l’AIE n’a pas donné de résultats convaincants, et qu’elle demeure une mesure limitée, loin d’être systémique.

    La symétrisation des positions masculines et féminines ; la négation de l’analyse socio politique des rapports sociaux de sexe

Derrière ces propositions se cache la volonté de mettre au rancard un cadre d’analyse qui positionne les rapports sociaux de sexe comme historiquement et structurellement inégalitaires, ce qui implique une analyse en termes de rapports de force. En effet, une perspective symétrisant les positions des hommes et des femmes sous-tend les réflexions du rapport. Or, symétriser ces positions présuppose que l’égalité entre les deux sexes est pratiquement réalisée, et que si les inégalités touchent encore plus les femmes, les hommes auraient eux aussi à vivre des « discriminations » liées à leur appartenance de sexe : « Pour les garçons, les conséquences des stéréotypes peuvent aussi être préjudiciables » (CSF 2004 : 28).

Nous nous opposons à l’idée qu’à la fois les hommes et les femmes sont confrontés à des discriminations fondées sur l’appartenance de sexe, ainsi que le laisse entendre l’approche préconisée dans l’avis. Il ne faut pas oublier que, collectivement, les hommes sont les premiers à tirer profit des stéréotypes. Il est d’ailleurs démontré que ce sont eux qui résistent le plus à s’en affranchir (Fortin-Pellerin 2004 ; Murnen et Smolak, 2000). Prétendre que les discriminations sexuelles sont vécues aussi par les hommes constitue, à notre avis, un mauvais point de départ pour comprendre les rapports sociaux de sexe dans le contexte actuel.

Nous observons cette symétrisation lorsque les auteures parlent des stéréotypes masculins comme si les stéréotypes liés à la domination des hommes et à la soumission des femmes avaient le même effet sur les deux sexes, que ce soit :

1- dans la famille : les hommes sont encore libres de mettre en priorité leur vie professionnelle, alors que les femmes, qui continuent d’assumer la majorité des responsabilités domestiques fragilisent leur autonomie économique, s’isolent, s’épuisent, négligent leurs aspirations professionnelles et sociales faute de temps, de disponibilité d’esprit et de ressources pour tout faire à la fois ;
2- dans la sexualité : les femmes sont, par une écrasante majorité, les grandes victimes de la pornographie et de la prostitution (Audet & Carrier 2004). Les effets de cette marchandisation du corps des femmes ne peuvent être évalués comme s’ils étaient partagés également à travers l’ensemble de la population. La violence sexuelle est vécue au quotidien par plus de 10% des jeunes femmes (Lavoie et Vézina 2002). La contraception, finalement, reste largement la responsabilité des femmes parce qu’elles demeurent celles qui devront assumer, ultimement, les conséquences d’une grossesse indésirée ;
3- dans le domaine politique : les femmes s’impliquent moins en politique non par manque d’intérêt, mais pour un ensemble de raisons liées aux contraintes domestiques, aux différences psychologiques produites par les modèles inégalitaires qui imprègnent encore notre culture. Il ne suffit donc pas de trouver les bons slogans, les bonnes techniques de marketing pour qu’elles s’y impliquent massivement. Cela est également vrai pour les métiers encore peu investis par les femmes.

En symétrisant les positions sociales des hommes et des femmes, on nie que le groupe des hommes exerce encore une domination (économique, politique, symbolique) sur le groupe des femmes. En affirmant que les hommes et les femmes sont victimes des stéréotypes de sexes, on insinue que le système patriarcal ne profite à personne. Et pourquoi fonctionne-t-il si bien et depuis si longtemps s’il n’y a que des perdants ? Certes, les hommes peuvent, individuellement, être confrontés à des difficultés diverses, ou vivre des injustices dans leurs rapports aux autres. Malgré la tristesse qu’inspirent les situations personnelles, ceux-ci ne sauraient constituer la base d’une réflexion sur les rapports sociaux de sexe. Une perspective globale, au contraire, montre clairement que les hommes détiennent encore l’essentiel des attributs de la domination et du pouvoir (pouvoir économique, politique, symbolique, etc). La tendance récente d’imputer la responsabilité des problèmes de garçons à leur sexe est une stratégie pour délégitimer la lutte des femmes et le caractère spécifique de leur discrimination. D’ailleurs, un examen un peu plus attentif de ces dits problèmes masculins, notamment sur la réussite scolaire et le suicide, permet de conclure qu’il existe une désinformation troublante sur ces sujets (Bouchard, Boily et Proulx 2003).

    L’égalité ne s’atteint pas par consensus ; les hommes demeurent privilégiés par le système social actuel

L’avis affirme que « cette démarche fondée sur une action solidaire entre les femmes et les hommes pourrait engendrer des consensus plus vastes et plus efficaces sur des questions d’intérêt commun » (CSF, 2004:45). Or, il est naïf de prétendre que l’égalité de droit ou de fait s’établit par consensus. Dirait-on aux syndicats qu’il est grand temps qu’ils s’associent avec les dirigeants d’entreprise pour régler les antagonismes issus de la relation de travail ? Pourquoi serait-ce plus évident pour les femmes et les hommes ?

Les hommes, collectivement, ont encore intérêt au maintien des inégalités, car ils retirent encore des avantages dans le maintien du système social tel qu’il existe. Pourquoi quitteraient-ils spontanément les postes les mieux rémunérés et les plus valorisés socialement ? Pourquoi désireraient-ils soudain assumer une part égale d’un travail domestique non reconnu, astreignant et gratuit ? Pourquoi rejetteraient-ils massivement une vision de la masculinité liée aux éléments culturels qui sont encore les plus valorisés socialement ? Les hommes ne sont pas la principale clé de l’égalité entre les sexes.

Au point où nous en sommes dans notre quête d’égalité au Québec, il faut plus que jamais - pour améliorer l’égalité de fait et transmettre aux jeunes femmes cette passion que nous partageons toutes, membres de Salvya et du comité jeunes F.E.M.M.E.S. sororitaires - s’intéresser prioritairement aux jeunes femmes, les regrouper sur une base non mixte pour qu’elles parviennent à définir ce qu’elles veulent dans un espace qui leur appartienne, pour qu’elles prennent conscience du chemin qu’il reste à parcourir et des stéréotypes qui dominent encore leurs choix de vie. Cela n’empêche nullement qu’elles puissent vivre, travailler, discuter et s’associer avec des hommes pour toutes sortes de projets particuliers, mais elles doivent d’abord connaître ce qu’est la pensée féministe et les avantages des groupes non mixtes, notamment l’avantage de pouvoir s’exprimer en toute liberté sur les discriminations qui touchent les femmes et de prendre conscience de leur situation commune.

    Quels sont les hommes actuellement concernés par les rapports sociaux de sexe ?

Il est incontestable que l’ensemble des hommes devra, en définitive, transformer ses comportements pour qu’une réelle égalité soit possible. Toutefois, cela ne signifie pas qu’il faille dorénavant inclure à tout prix et indistinctement des représentants masculins dans les institutions qui luttent contre l’inégalité. Actuellement, des hommes très visibles dans les médias, revendiquent, au nom de la difficile « condition masculine », un retour à leurs prérogatives anciennes et nient les inégalités dont sont victimes les femmes, en insistant au contraire sur les inégalités dont seraient victimes les hommes (Bouchard, Boily et Proulx 2003). Ces antiféministes ne doivent pas être des interlocuteurs obligés dans la lutte pour l’égalité des femmes. Le dialogue est impossible avec un dominant qui ne veut pas remettre en question les schémas de la domination qui sont au cœur de son identité. Pourtant, ce sont eux qui sont mobilisés et attendent impatiemment l’abolition du Conseil du statut de la femme et la venue d’une nouvelle instance qui aurait comme mandat d’intégrer les hommes, pour bombarder les représentants politiques de leurs revendications réactionnaires et illégitimes. Les recherches (Eichler, 1994 ; Eichler 1998) portant sur l’implication des hommes dans le mouvement des femmes ou dans les réflexions sur l’égalité entre les hommes et les femmes montrent clairement que des enjeux majeurs, comme la récupération de l’argumentaire des féministes et l’imposition des points de vue masculins, rendent problématique, ou du moins très complexe, cette association des deux sexes dans la lutte pour l’égalité. Un nouvel organisme intégrant indistinctement les hommes et les femmes dans une approche symétrisant leurs situations et leurs rôles dans l’établissement de l’égalité serait porteur de constantes menaces pour les acquis fragiles des Québécoises.

Les hommes conscientisés aux rapports inégalitaires entre les sexes s’impliquent déjà aux côtés des féministes tout en ne cherchant pas, par ailleurs, à imposer leur vision de ce que devrait être l’égalité. Des groupes d’hommes pro-féministes s’opposent d’ailleurs à la transformation du mandat du Conseil du statut de la femme.

Quels sont actuellement les instruments d’analyse dont dispose le gouvernement pour évaluer les intentions réelles des groupes masculins dans leur volonté de proposer de nouveaux modèles égalitaires ? Comment se fait-il qu’aucune réflexion ne soit faite dans l’avis sur les profondes difficultés (principalement épistémologique et politique) pour les hommes, encore en position dominante, de comprendre les discriminations que vivent les femmes ? Comment contrer le danger, bien réel, de récupération du projet d’émancipation des femmes, alors que l’avis n’aborde même pas ces questions ?

En somme, compte tenu de l’absence de réflexion théorique, et de recherches empiriques, sur ce que sont les rapports sociaux de sexe, sur le phénomène de résistance des dominants au changement, sur les dangers de l’implication des hommes dans les instances chargées d’approfondir l’égalité entre les sexes, nous sommes en désaccord avec le projet, défaillant, défendu dans l’avis Vers un nouveau contrat social pour l’égalité entre les femmes et les hommes. L’expertise féministe, sous-utilisée et sous-estimée, offre de nombreuses analyses et des pistes de solution au manque d’engagement des hommes et des garçons dans le projet de l’égalité entre les sexes. Encore faudrait-il que cesse d’être véhiculée, et ce, tant dans les médias que dans les instances gouvernementales, l’image complètement erronée du féminisme comme étant une position extrémiste (souvent décrite comme un pôle dont l’opposé serait le masculinisme) rejetant les hommes et leurs savoirs, voulant assurer la domination des femmes. Taxé d’idéologisme, alors qu’il respecte tous les standards scientifiques reconnus, le savoir féministe est aujourd’hui largement délégitimé même s’il demeure le seul à s’être intéressé, dans des perspectives les plus diversifiées, aux rapports sociaux de sexe dans toutes leurs dimensions.

À partir de l’analyse que nous venons de produire, nous proposons au gouvernement que :

1. Le Conseil du statut de la femme ET le Secrétariat à la condition féminine soient maintenus dans leur forme actuelle, comme des instances autonomes et non mixtes et adoptant une approche spécifique aux femmes.
2. Une ministre responsable à la condition féminine soit nommée.
3. Des ressources supplémentaires soient octroyées afin de documenter la situation actuelle des jeunes femmes dans la société.
4. Les jeunes féministes soient reconnues et entendues comme actrices sociales porteuses d’un réel projet d’égalité.
5. Le féminisme soit enseigné aux jeunes dès l’école secondaire.
6. Un effort soutenu soit déployé afin de maintenir la consultation et la collaboration du CSF avec le mouvement des femmes dans le respect de son autonomie et de sa liberté.

Note

1. C’est dans ce contexte qu’il faut appréhender le fait que les femmes sont depuis peu majoritaires dans les programmes de premier cycle à l’université.

Références

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Tremblay, M. et Pelletier, R. (1995). Que font-elles en politique ? Québec : Presses de l’Université Laval.

Auteures du mémoire : Les membres du groupe Salvya, appuyé par le comité jeunes F.E.M.M.E.S sororitaires du Centre Femmes d’aujourd’hui.

 Pour information :
Isabelle Boily, porte-parole de Salvya
Courriel

 Pour télécharger ce mémoire pour usage personnel, cliquez sur l’icône ci-dessous.

 DROITS RÉSERVÉS. Il faut l’autorisation des auteures pour reproduire ce document ou le présenter sous tout format que ce soit sur un autre site ou dans un autre média.

 On peut consulter « Vers un nouveau contrat social pour l’égalité entre les femmes et les hommes » sur le site du CSF et lire mon commentaire sur cet Avis.
 Des mémoires des groupes de femmes sont déjà en ligne sur le site du Réseau des tables de concertation.
 Sisyphe en publiera éventuellement quelques-uns.
 Netfemmes également. Visitez régulièrement la page d’information de Netfemmes sur la Commission parlementaire.
 Enfin, Cybersolidaires et l’ORÉGAND diffuseront une veille informationnelle sur leur site respectif.

Mis en ligne sur Sisyphe, le 20 janvier 2005.



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Isabelle Boily, Hélène Charron, Catherine Charron, Laurence Fortin-Pellerin



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