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avril 2005

Le "oui" va mal

par Marie-José Mondzain, philosophe et directrice de recherches au CNRS






Écrits d'Élaine Audet



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Allocution, jeudi le 14 avril, au Zénith, à Paris, lors du grand meeting de la
gauche pour le "non" à la Constitution européenne

"Le "oui" va mal.

Désormais, la campagne pour le "oui" bat son plein.
Qu’est-ce que cela veut dire ?

Depuis une semaine, et pour six semaines encore sans aucun doute, cela veut
dire que l’acceptation du traité constitutionnel ne doit plus être l’objet
d’un débat contradictoire et démocratique au sujet d’un avenir commun, mais
un objet pris dans un pur rapport de forces.

Bras de fer contre un bras de terre, puisque que les champions du "oui"
contrôlent pratiquement tous les médias. Les journalistes, consentants ou
non, se trouvent destitués de la dignité de leur profession, de leur
fonction d’information, de médiation entre les libres expressions de ceux
qui veulent débattre, parler pour comprendre.

Désormais, on assiste à la transformation de la campagne du "oui" en
programme de showbiz orchestré par des animateurs des spécialistes en
divertissement. Les citoyens ne sont plus respectés, ils sont devenus un
public à conquÈrir. L’électeur est un spectateur à qui l’on doit à tout prix
éviter de penser comme on épargnerait l’ennui. Il devient une cible pour la
vente d’un produit ; ce produit, c’est le traité. La campagne est affaire de
marketing.

Nous n’attendrons pas le 29 mai pour dire non à ce traitement indigne, qui
augure assez bien de ce qui nous attend dans le cadre même du dit traité.

Il y a quelques années, nous avons déploré, quand nous n’en avons pas ri,
que Berlusconi s’empare du pouvoir en animateur de télé dont il contrôlait
tous les programmes. Il occupait la scène en amuseur brillant et demandait
en séducteur à son public de lui faire confiance dans une double matière :
celle de l’économie et celle du divertissement - car c’est tout un :
là-dessus, la crise des intermittents a bien fait symptôme. Ils nous ont
fait entendre un fort signal, ne l’oublions jamais.

Mais devant Berlusconi, nous avons alors pensé qu’une telle caricature de la
démocratie n’était possible que dans un pays qui abritait sur son sol et par
tradition quelques grands histrions du théâtre de la vie publique. Quelle
erreur ! Aujourd’hui, la classe politique au pouvoir en France n’a pas
résisté à l’ivresse des plateaux, à la frénésie du spectacle, aux bénéfices
de l’"entertainment". Dire "oui", c’est faire partie de la grande famille
des permanents du spectacle.

Quel est le bénéfice attendu d’une telle parodie du vivre ensemble qui a d’
être vendue à notre prÈsident par un conseiller en communication ?

Il s’agit de fabriquer l’image avenante du ouiouiste européen qui ne fait
plus obstacle à rien : non seulement, comme on nous le dit, à la libre
concurrence, mais qui ne fait plus obstacle ‡ quoi que ce soit. Le ouiouiste
ignore tous les obstacles, ne résistant à rien ni à personne, toujours
d’accord avec tous les accords, il est lui-même irrésistible.

Mode d’emploi : comment fabrique-t-on un ouiouiste ? On le choisit, on
l’invite, on lui serre la main. Puis on lui demande de s’exprimer, on
l’écoute avec aménité, on lui demande ce qu’il n’a pas bien compris. On va
tout lui expliquer, car s’il doute, s’il critique, c’est qu’il est encore
trop jeune, encore ignorant, pas assez confiant. Il ne faut pas hésiter à
lui faire peur, et le mieux est d’essayer de l’endormir. Après quoi, on
mange, on boit, on fait de la musique, on va danser, peut-être.

Le profil européen du bon ouiouiste est celui-ci : il est jeune, il est beau,
dynamique et confiant. Il a du travail, et s’il n’en a pas, il en aura dès
demain matin. Il a un toit, et s’il n’en a pas, il en aura un après-demain.
Il sera bientôt riche. Il voyage gaiement, parlant cinq langues, et partout
où il va, toujours gaiement bien sûr, il a quelque chose à vendre. Il ne
connaît qu’un transport : le wagon de marchandises.

Car le ouiouiste est toujours acheteur et vendeur de quelque chose.
Tout ce que fait le ouiouiste peut se vendre.
Tout ce qu’il désire s’achète.
Tout ce dont il rêve est en boutique.
Que le meilleur ouiouiste gagne - ou plutôt, celui qui gagne le plus est le
meilleur ouiouiste. Un ouiouiste doit être gagnant.
Il vend tout, il achète tout, même la confiance, l’air pur, l’eau potable,
le médicament. Il vend les OGM et il achète chèrement son bio. Mais il
achète aussi le savoir, la pensée, la culture, la création de masse et la
culture de classe, il achète les choses et les images des choses... Le
ouiouiste est un consommateur effréné du bonheur, un boulimique de la
communication, un accro du shopping tous azimuts. Il ne sait plus recevoir et il lui sera interdit de donner.

Telle est l’image que l’on veut nous vendre. Je crois qu’elle présente un
avantage considérable pour nous qui résistons, c’est que le "oui" cesse
ainsi de se respecter lui-même. Le fabricant du ouiouiste méprise et
sous-estime sa propre créature.

Quel citoyen de bonne foi qui croit légitimement à l’Europe et qui acquiesce
au traité, ne sera pas pris d’un haut-le-coeur et rempli de révolte, car il
ne peut ni ne veut se reconnaître dans cette caricature de la citoyenneté ?

Quant à moi, si je résiste aux sirènes ouiouistes, ce n’est pas par esprit
de contradiction, ce n’est pas parce que je ne suis plus jeune ou que je
n’ai plus d’espoir, que je ne crois plus au bonheur d’être ensemble.

C’est exactement tout le contraire.

C’est parce que je fais partie, avec une majorité croissante de citoyens,
non seulement de tous ceux qui n’ont pas grand chose à vendre ni le fantasme
de pouvoir tout acheter, mais de tous ceux qui avec moi et souvent bien plus
que moi encore, passent leur vie non pas à vendre et à acheter, mais à
donner, à transmettre, à éveiller les esprits, à célébrer la puissance de la
parole, le sens des émotions, à échanger des idées et des signes, à poser
des questions, à proposer des figures, certes fragiles, mais si précieuses,
du partage.

Quelle que soit son histoire, toute vie d’homme trouve son prix non
calculable, non mesurable dans le commerce gratuit du temps consacré à
partager du sens et de l’espoir.

Dire "non", c’est ainsi poser la question de la communauté non pas en termes
de pouvoir à prendre ou de pouvoir d’achat, mais en termes de partage et de
reconnaissance.

Ce n’est pas une posture nihiliste ni rétrograde, car ce n’est pas au nom du
passé que nous nous battons. Nous n’invoquons pas le charme monarchique d’un
monde révolu, ni l’effroi du chaos. Non, nous nous battons pour une autre
figure de l’avenir.

Cet avenir est à construire.

Par quoi je veux dire que dire "non" à ce traité constitutionnel n’est pas
une position négative, mais bien au contraire la posture positive par
excellence, affirmative, même, et constructive.

Nous devons travailler pour faire entendre de plus en plus clairement à quoi
nous disons "oui".

À la question : "mais que proposez-vous à la place du traité ?", ne soyons pas
embarrassés pour répondre : à la place du traitÈ actuel, nous voulons un
texte qui nous fasse une autre place. Et c’est cette place que nous voulons
partager pour produire tous ensemble le texte qui construira l’Europe
socialement et politiquement, c’est-à-dire une Europe où tous ceux qui n’ont
rien à vendre restent notre bien commun le plus précieux."

Fenwib Digest, Vol 8, Issue 33



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Marie-José Mondzain, philosophe et directrice de recherches au CNRS



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  • > Le "oui" va mal
    (1/1) 30 avril 2005 , par





  • > Le "oui" va mal
    30 avril 2005 , par   [retour au début des forums]

    CE n’estpas forcément un commentaire je partage complètempent votre analyse et je vous recommande de jeter un oeil sur le cite suivant entièrement écrit et fabriqué par un jeune étudiant s’appelant MEHDI COLY cela rejoint votre réfléxion admirable il vaut le détour à l’époque de la marchandisation de tout il demeure quelques jeunes esprits curieux et constructifs. je vous remercie du bonheur voici l’adresse du site
    http://www.nontce.com/


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