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lundi 30 décembre 2002


Projet de loi C-56 sur la procréation assistée
Le projet de loi sur la procréation assistée, une porte ouverte aux abus ?

par Abby Lippman, généticienne






Écrits d'Élaine Audet



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Il a eu une longue gestation - presque 10 ans depuis le rapport de la Commission sur les nouvelles technologies de reproduction. Mais, il y a finalement un projet de loi sur la procréation qui d’ores et déjà peut devenir loi. Y a-t-il lieu de s’en réjouir ? Est-ce que le projet de loi répond aux préoccupations que les groupes de femmes et les groupes de pression dans le domaine de la santé n’ont cessé de soulever ? Est-ce qu’il empêchera les pratiques qui nous inquiètent le plus ?

Les technologies de la reproduction humaine fournissent à certaines femmes des voies pour palier aux causes biologiques de l’infertilité. Pour y arriver, ces technologies enlèvent du corps où ils ont été produits le sperme, les ovules et les embryons et les transfèrent dans des laboratoires où ils peuvent être manipulés, transformés, implantés ou rejetés de toutes les manières possibles, sous le contrôle des médecins et des chercheurs. Mais ce contrôle ne peut être absolu ; il ne peut non plus être simplement réglementé par une agence gouvernementale octroyant les permis, par des agences fédérales ou provinciales de subventions à la recherche ou par des comités éthiques de révision de la recherche. Nous avons besoin de mécanismes pour répondre aux questions soulevées par ces technologies (leur utilisation et leur développement) qui garantissent une consultation publique transparente et qui tient compte de la sécurité et de la justice dans ses évaluations.


Mais plus encore peut-être, nous avons besoin de procédés qui vont aller " à contre-courant " de l’infertilité. Qui pourraient la prévenir en éliminant particulièrement les causes connues, sociales ou environnementales. Parler et légiférer sur la procréation assistée hors contexte ne fait que détourner l’attention de ce dont les femmes ont besoin pour leur santé sexuelle et reproductive, soit des endroits sécuritaires pour grandir, vivre, travailler et jouer.


En y regardant d’assez près, la loi, qui semble pourtant comporter d’assez bons points se révèle décevante. Contrairement à ce que prétend le gouvernement, cette loi pourra être très permissive quand il s’agira de pratiques (cliniques et recherches) qui mènent à la commercialisation du corps humain et de ses parties. Et il n’y a rien dans le projet de loi, tel quel, qui nous assure qu’il y aura vraiment un contrôle sur quoi que ce soit.


Les embryons "surnuméraires"


À titre d’exemple, prenons la recherche sur les cellules souches embryonnaires, un point qui a retenu beaucoup l’attention depuis que le projet de loi a été rendu public. Fondamentalement, le projet de loi C-56 permettrait l’utilisation d’embryons créés pour provoquer une grossesse mais non utilisés à cette fin. Il s’agit des prétendus embryons "surnuméraires".


Bien sûr, les personnes qui feront un don d’ovules, de sperme ou d’embryons devront donner leur consentement écrit et les chercheurs devront prouver qu’il n’y a aucune autre approche possible du problème et que cette recherche était "nécessaire".


Peut-être ai-je travaillé trop longtemps avec des chercheurs dans le domaine biomédical, mais je n’ai pas encore vu un chercheur qui ne décrit pas sa recherche comme "nécessaire" ou qui ne trouve pas d’arguments pour justifier l’utilisation d’embryons supplémentaires.


Et au cas où nous voudrions mettre en doute leur exigence, je parie que, pour faire taire nos critiques, ils sont prêts à nous montrer des photos ou à nous raconter l’histoire d’enfants malades en quête de traitement ou de femmes "désespérées" désirant des bébés.


La vaste majorité des maladies ne sont pas génétiques


Dans l’immédiat, il n’y a aucun impératif moral pour faire des recherches sur les cellules souches embryonnaires. La plupart des maladies et des handicaps ne sont pas génétiques. La détresse créée par l’absence d’enfant ne mène pas (seulement) à des interventions biomédicales, reproductives ou génétiques. Les promesses trop nombreuses qu’on nous fait à propos des recherches sur les cellules souches embryonnaires sont vraisemblablement plus d’ordre promotionnel pour ce qui pourrait être une activité extrêmement lucrative impliquant le brevetage du matériau biologique humain et l’utilisation d’embryons humains.


Pourquoi le projet de loi ne peut-il pas être clair et bannir totalement toute recherche sur les cellules souches embryonnaires ? Mettre une limite au nombre d’ovules qui peuvent être fertilisés durant le traitement pour l’infertilité afin de s’assurer qu’il n’y aura plus d’embryons "surnuméraires" ? Et en créant une telle interdiction, s’assurer que le clonage humain n’est pas en train d’être réalisé derrière des portes closes.


Je pense que je me sentirais plus en sécurité si, au lieu de laisser les décisions sur la "nécessité" de cette recherche à une agence, on avait immédiatement légiféré sur au moins un moratoire complet de 3 à 5 ans pour cette activité. Pendant ce temps, il pourrait y avoir un fond spécial pour la recherche sur les cellules souches adultes.


Nous savons très peu de choses sur le potentiel des cellules souches tirées de tissus adultes. Subventionnons la recherche pour découvrir ce que ces cellules peuvent devenir. Et subventionnons aussi les groupes de citoyen-nes afin qu’ils aient les ressources nécessaires pour prendre part dans les discussions concernant les problèmes soulevés par le travail sur les cellules souches embryonnaires, y compris leur potentiel commercial.


L’agence ou le moratoire ?


Qu’en est-il du clonage ? Ici, le projet de loi semble dire "non" sans restriction. Mais j’hésite. En autorisant (quoique aux conditions notées précédemment) l’utilisation réglementée d’embryons in vitro pour la recherche, est-ce qu’on empêchera vraiment le clonage ? Est-ce que nous ne sommes pas déjà "amadoué-es" pour laisser une telle éventualité se produire avec des chercheurs faisant une différence entre le clonage "reproductif" et "thérapeutique" ?


Plus précisément, les chercheurs préconisent même l’utilisation du terme "transfert du noyau de cellules somatiques humaines" pour ce dernier. Mais c’est utiliser les mots comme un boniment publicitaire, plutôt que donner une description exacte. Le processus (le "moyen") pour créer un clone est le même quel que soit le but.


C’est de la poudre aux yeux de distinguer les types de clonage par leurs prétendues "fins". Si nous voulions être précis, nous appellerions au moins une de ces fins "clonage expérimental, parce que c’est ce dont il s’agit.


Les embryons humains ne doivent jamais être clonés, ni les cellules somatiques transplantées dans des ovules vidés spécialement pour devenir une "ressource" pour les expériences médicales ou pour faire un bébé. Voulons-nous que la vie humaine, ses différentes parties et processus soient de simples outils de recherche ? Des biens de consommation, des produits manufacturés ?


La porteuse est rémunérée mais la grossesse est bénévole


Un autre exemple de la permissivité du nouveau projet de loi concerne « les mères porteuses ». Oui, le projet de loi interdit de rétribuer ou d’offrir de rétribuer une personne pour qu’elle agisse à titre de mère porteuse. Mais un peu plus loin, il définit les conditions permettant aux mères porteuses d’avoir leurs dépenses payées.


N’y a-t-il pas là une contradiction ? Comment peut-on avoir ses dépenses remboursées pour une activité interdite ? Pourquoi le projet de loi ne met-il pas en vigueur ce que les groupes de femmes demandent depuis longtemps, soit de bannir totalement tout incitatif financier, y compris le remboursement des dépenses, pour les contrats de grossesse ?


Né de spermatozoïde et d’ovule inconnus


Suis-je alarmiste ? N’y aura-t-il pas une agence de contrôle de la procréation assistée qui s’assurera qu’il n’y a que de "bonnes" choses faites avec les ovules, le sperme et les embryons ? Que le corps des femmes et leur santé vont être protégés ? Bon, il y aura une agence, mais on demeure suffisamment vague sur qui sera responsable de la surveillance pour déclencher la sonnette d’alarme.


À moins que cette agence ne fonctionne d’une façon moins permissive que sa contrepartie au Royaume-Uni, elle ne fournira pas le type de protection dont nous avons besoin. Nous avons besoin d’une agence qui peut augmenter la liste actuelle des activités interdites ; qui n’énumère pas seulement les conditions d’utilisation mais garantit que si une pratique n’est pas documentée à long terme, elle devrait être réglementée comme la recherche.


L’agence rassemblera des informations, attendues depuis longtemps et dont on a grandement besoin, concernant quelles procédures sont actuellement en vigueur au Canada, sur qui, par qui, et avec quel pourcentage de réussite ou d’échec. Elle retracera les enfants nés de ces techniques afin de s’informer de leur santé. Elle créera un registre que le public pourra consulter pour savoir ce qui se passe.


Là-dessus, tout le monde est d’accord que c’est essentiel. Il est toutefois très regrettable que la divulgation de l’identité des personnes qui font des dons de sperme et d’ovules ne soit pas rendue obligatoire. C’est sur cela et certains autres aspects de la future agence que nous avons besoin d’être plus informéEs et sur ce point, le projet de loi C-56 ne va pas assez loin.


Un Bap sur la procréation assistée


La législation doit faire en sorte que toute personne nommée au conseil d’administration y siège comme individuE et non comme représentantE d’une organisation ou d’un groupe. Une totale transparence devrait être obligatoire.


De plus, la loi doit s’assurer que personne (universitaire ou membre du public) ne peut être nommé à un poste de direction s’il existe quelque conflit d’intérêt que ce soit (i.e., avec un revenu personnel reçu pour l’approvisionnement direct ou le développement de toute technologie génétique et reproductive tombant sous la juridiction de l’agence). Si c’est jugé nécessaire, toutefois, ces individuEs peuvent sûrement être appelé-es pour des consultations et des conseils.


En ce qui concerne la façon dont l’agence fonctionne dans la poursuite et le renforcement de ses tâches de réglementation, d’octroi de permis, d’enregistrement, de surveillance, et d’inspection, un modèle transparent, accessible et fiable devrait être exigé, et des méthodes innovatrices de consultation publique et de prises de décisions devraient être encouragées.


Minimalement, toutes les réunions du conseil d’administration devraient être enregistrées et toutes les audiences devraient être ouvertes au public, incluant l’accès, via Internet et tout autre moyen, à l’ensemble des documents.


Il est de la plus haute importance que la participation publique aux audiences réglementaires soit obligatoire et encouragée afin que l’ensemble des impacts de ces technologies soit évalué de façon démocratique et participative. Surtout que nous possédons déjà des modèles intéressants de participation publique, avec, par exemple, le BAPE au Québec, "Bureau d’audiences publiques sur l’environnement".


Il n’y a pas de choix sans risque


Les questions et les problèmes reliés aux technologies de la reproduction et de la génétique humaines sont devenues, au cours des années, de plus en plus complexes et intraitables ; trop souvent les "choix" qui sont offerts aux femmes créent des risques plutôt que de les réduire.


Par conséquent, il est impératif que la législation sur la procréation assistée et la réglementation de la recherche sur les embryons humains et tout autre recherche génétique s’assure qu’on offre aux femmes uniquement des options qui les prennent en considération, elles et leurs enfants.


Des options qui sont développées et approuvées sur la base d’une adhésion rigoureuse aux principes éthiques fondamentaux de la recherche et de la pratique ; des options qui tiennent compte du principe de précaution et, finalement, des options qui valorisent la diversité parmi nous et qui évitent scrupuleusement la discrimination envers toute personne handicapée, avant ou après la naissance.


Le projet de loi C-56 peut être un début pour nous amener vers cet objectif, mais il peut aussi nous en éloigner. Des changements sont nécessaires maintenant pour nous assurer que la législation va défendre les droits des femmes en santé et en reproduction ; bannir complètement toutes et chaque commercialisation du corps humain et des biomatériaux ; et créer une agence de réglementation entièrement transparente et responsable résolue à écouter la voix des citoyen-nes plutôt que les lobbyistes du complexe biotechnologique/ universitaire/industriel.


* La version anglaise de cet article a été publiée sur le site rabble.ca sous le titre « Bill C-56 : Womb for Improvement »



Publié dans l’aut’journal, édition de juillet-août 2002


Mis en ligne sur Sisyphe le 28 décembre 2002

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Le clone et ses fantômes, un documentaire radiophonique de Doris Dumais, à l’émission Des idées plein la tête, Radio-Canada. On peut écouter le documentaire sur le site même de Radio-Canada.

Glossaire de la biotechnologie, sur Sisyphe



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Abby Lippman, généticienne

Généticienne, Abby Lippman est professeure titulaire au département d’épidémiologie et de biostatistique à l’Université McGill. Critique féministe de longue date, elle partage sa vie entre l’enseignement, la recherche universitaire et le militantisme. Conférencière et auteure de nombreux articles, elle s’intéresse aux problèmes de généticisation (son propre néologisme), une tendance qui voit dans les gènes la solution à tous les problèmes.

Abby Lippman siège au Québec, au Canada et aux États-Unis, comme experte sur divers comités en rapport avec la génétique et le développement des technologies de reproduction et consacre tous ses temps libres au travail communautaire relié aux problèmes de justice sociale et de santé des femmes. Elle est notamment co-présidente du Réseau canadien pour la santé des femmes, membre du comité aviseur du Conseil pour une génétique responsable (É.U.), et, a été présidente de Head and Hands (À deux mains), un groupe communautaire montréalais qui travaille avec les jeunes et les jeunes adultes. Plus récemment, elle est devenue membre active des Femmes en noir de Montréal, mouvement international qui regroupe Juives et Palestiniennes pour la paix.



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