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dimanche 21 juin 2020


31-07-44/22-0619
La liberté de parole est-elle comme le rocher de Sisyphe ?

par Micheline Carrier






Écrits d'Élaine Audet



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THEMES ABORDES :

liberté de parole

Quand j’ai créé ce site, il y a deux ans, je m’étais promis de laisser les autres combattre les injustices et défendre des causes. À ce chapitre, me disais-je, j’ai déjà donné. Passons à autre chose.

J’envisageais de consacrer cet espace à une démarche personnelle, plus ludique et réflexive que politique et militante. Eh bien, je dois constater, dans cette douzième chronique, que je n’ai pas tenu mes promesses. De mois en mois, j’ai glissé vers le discours critique et politique. Et me voici à nouveau à défendre la cause de la justice.

Quinze ans de silence public ne m’ont donc pas immunisée contre cette maladie qui consiste à me mêler effrontément des affaires de ce monde. Comme si ce monde avait besoin de mon avis pour tourner dans le sens qu’il l’entend. En reprenant la parole pour défendre des droits, je rencontre la même vieille ennemie, la censure.

Dire qu’on m’a aussi accusée de vouloir censurer quand j’ai dénoncé la misogynie et la violence de la pornographie. Ce sont parfois des gens qui se posaient en avocats de la liberté d’expression, dans les médias, le mouvement féministe ou ailleurs, qui m’ont fait taire chacun à leur façon.

Ceux que j’ai le plus fait enrager, je crois, ce sont les pouvoirs politiques. Pour ces gens rompus à la langue de bois, une parole claire, précise et directe représente une menace. Dans un Québec qui préfère se fabriquer de faux consensus que prendre le risque de la confrontation et mener ses débats à terme, cette parole est vue, en plus, comme « radicale ». Chez les féministes aussi, j’ai reçu cette étiquette. Je n’ai pas récusé le mot. Etre radical signifie pour moi aller à la racine des choses, m’intéresser à l’essentiel plutôt qu’à l’accessoire, ne pas me contenter de faux-fuyants ou de tourner autour du pot. Si on veut en faire une étiquette péjorative, ce n’est pas mon problème.

En découvrant les possibilités du réseau internet, j’avais vu une occasion pour tout le monde de se créer un espace de parole et d’action, sans contrainte de genre littéraire ni de temps, à l’abri des censures individuelles et institutionnelles. C’était trop beau pour être vrai. Je n’aurais dérangé personne si je m’étais contentée de parler de ma passion pour la musique et pour les chats, des réflexions que m’inspire Christian Bobin ou du sort des itinérants que je croise au métro Sherbrooke. Mais voilà. Il y a trois mois, une femme m’a demandé de l’aider dans ses démarches pour faire reconnaître ses droits auprès du Consulat général du Japon à Montréal, son ex-employeur, et du ministère des Affaires étrangères du Canada. Je lui ai offert un espace sur mon site et l’ai aidée à y présenter son dossier, sollicitant l’intervention des internautes auprès du ministre afin de trouver une entente hors cour juste et raisonnable.

Ce faisant, je n’ai pas publié une primeur ou un document interdit puisque le dossier était déjà accessible au greffe de la Cour supérieure à Montréal. J’aurais certainement publié les commentaires et les précisions des milieux mis en cause, si la demande m’en avait été faite. Au lieu d’emprunter cette voie démocratique, on a intimidé le serveur Tripod.ca (Lycos-Sympatico), qui a supprimé, non seulement le dossier en question mais mon site au complet, sans avis, ni motif. Du jour au lendemain, mon site n’était plus accessible et j’ai perdu de nombreuses heures de travail. Tripod.ca n’a pas répondu à mes demandes d’explication. Pour éviter, je suppose, que je n’inscrive un autre site sous le même nom, il maintient mon identifiant (ou login) comme existant.* Cela n’a pas empêché le dossier dérangeant de réapparaître ailleurs.

Cette expérience me laisse perplexe quant au contrôle que les pouvoirs politiques exercent sur le réseau internet et sur le recours à l’intimidation pour empêcher la diffusion d’information qui déplaît. Ainsi, le Consulat général du Japon à Montréal a obligé, par la voie de son avocat, un site belge à supprimer un texte faisant référence au dossier et que j’y avais publié. Aucune mise en demeure ne m’a été adressée, ni à la propriétaire du dossier. Nous n’en aurions pas tenu compte parce que nous savons que le Consulat général du Japon à Montréal n’a pas respecté les procédures conformes aux règles diplomatiques dans ce genre d’affaire. Une lettre d’avocat n’est pas un jugement de cour. Quiconque peut vous adresser une telle lettre, s’il en a les moyens financiers. Cela ne signifie pas qu’il a raison et que la justice est de son côté.

On intervient auprès des serveurs, comme autrefois auprès des rédacteurs en chef ou des propriétaires des journaux. Les hébergeurs, visant d’autres objectifs que de défendre la liberté d’expression et d’information, cèdent pour avoir la paix. Cela pose également la question de la responsabilité des hébergeurs et de la confiance qu’on peut leur accorder. Ce genre de comportement veut faire peur pour obtenir le silence sur ce qu’on veut cacher.

Des amies craignent pour ma sécurité physique et m’ont exhortée à renoncer. J’admets que la personne que je veux aider, - et qui en a vu d’autres au cours de ses treize ans au service de l’UNESCO -, nourrit des craintes semblables. Je crois, de mon côté, que la meilleure défense contre cette menace hypothétique est d’identifier les intimidateurs et de dénoncer leurs actes publiquement. Me taire, ce serait leur donner raison. Ensuite, qu’est-ce qu’on voudra m’empêcher d’écrire ? Parfois, j’aborde directement sur mon site les abus de pouvoir masculins dans les rapports personnels, sociaux, politiques et économiques. Suffira-t-il qu’un homme se prétende « diffamé » ou « calomnié » pour qu’on supprime mon site ou qu’on m’interdise d’écrire sur le sujet ?

J’ai mis quinze ans à retrouver, grâce à internet, la parole publique. Je pensais que mon site était un espace libre et qu’il m’appartenait. Je prends note que mes propos dérangent encore dès qu’ils deviennent politiques. À charge pour les gens qu’ils dérangent de s’interroger sur eux-mêmes, non pas à moi de me taire.

Pour reprendre une comparaison de ma deuxième chronique, la liberté de parole est peut-être comme la pierre que Sisyphe, du mythe du même nom, devait rouler au sommet d’une montagne d’où elle dégringolait sans cesse. Je ne me sentirais pas à l’aise de m’asseoir sur cette pierre, plutôt de faire l’effort de la rouler, parce que des gens sans scrupule abusent de leur pouvoir et de leurs privilèges.

Je n’en fais pas une cause personnelle. Simplement, je résiste.

Micheline Carrier


TRIPOD.CA a finalement répondu ceci :

Madame, A la suite d’une lettre datée du 1er mai 2002 qui nous a été transmise par les procureurs agissant au nom du Consulat général du Japon, nous avons été mis en demeure de bloquer le traffic à votre site Internet accessible à l’adresse "http://michecarrier.tripod.ca/accueil.html" qui utilisait les outils fournis par notre service Tripod.ca. Conséquemment, à la lumière des termes et conditions relatifs à l’utilisation de notre service Tripod.ca, nous avons pris la décision de bloquer l’accès à votre site ci-haut mentionné.Si vous avez quelque question que ce soit en regard de ce qui précède, veuillez vous adresser aux procureurs du Consulat général du Japon. Veuillez agréer, Madame, l’expression de nos sentiments les meilleurs. Johanne Assedou Tripod.ca



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Micheline Carrier
Sisyphe

Micheline Carrier est éditrice du site Sisyphe.org et des éditions Sisyphe avec Élaine Audet.



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  • La liberté de parole s’exerce
    (1/1) 14 août 2002 , par





  • La liberté de parole s’exerce
    14 août 2002 , par   [retour au début des forums]

    Merci de ne pas avoir tenu ces promesses là. Vous lire est déjà un espoir.

    Merci.


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