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mardi 3 décembre 2002

6 décembre 1989 : 13 ans après, la ’sale guerre’ se durcit

par Martin Dufresne






Écrits d'Élaine Audet



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Les femmes seraient-elles le " continent noir " de notre gauche québécoise ? Il me semble que l’oppression sexiste demeure ignorée, tenue hors-champ par les hommes soi-disant progressistes, un point aveugle dont profite amplement la Droite.

Au moment où nos parlementaires se paient leur minute de silence annuelle au sujet des 14 victimes du gynécide (meurtre de femmes en tant que femmes) commis à l’école Polytechnique, ils demeurent apparemment libres de négliger le fait que ce massacre se poursuit. Et ce, au nom des mêmes valeurs que celles qui animaient l’antiféministe assassin, encore aujourd’hui célébré par certains soldats canadiens et par des organisations masculinistes.1

Faute d’un soutien réel de la collectivité progressiste au mouvement des femmes, l’État a le champ libre pour institutionnaliser cette violence. Il le fait en sapant les programmes sociaux qui offrent une porte de sortie aux femmes attaquées et en multipliant les " droits " des pères agresseurs, sans égard aux risques en cause. Le cas de l’Ontario en témoigne.

La tuerie continue

Statistique Canada rapportait en septembre que le nombre de meurtres de femmes par leur conjoint avait bondi de 33% au Canada entre les années 2000 et 2001, une hausse étonnante dans un contexte de criminalité générale en décroissance continue. Facteur significatif : la quasi-totalité de cette hausse a eu lieu en Ontario, dont les programmes sociaux subissent les coupes à blanc de l’administration Harris.

Eileen Morrow, coordonnatrice du regroupement ontarien des maisons d’hébergement (OAITH), énumère les mesures gouvernementales qui piègent les femmes et leurs enfants face à un agresseur : réductions de 30% infligées à l’aide sociale et de 75% aux certificats d’aide juridique, pourtant essentiels aux femmes battues lorsque leur agresseur les menace de réclamer garde et droit de visite sans surveillance, et élimination du financement des maisons de transition et des programmes de soutien. Même pour l’hébergement d’urgence, les listes d’attente ne cessent de s’allonger. Ce genre de brusque virage à droite se produit aussi ces mois-ci en Colombie-Britannique et dans d’autres provinces, où s’organise une riposte collective.

Même durcissement au Québec

On pourrait penser que le Québec est à l’abri d’une telle dégradation. Faux : " Les maisons pour femmes victimes de violence crient au secours ", rapportaient les quotidiens du 19 octobre. Le Regroupement provincial et la Fédération des maisons d’hébergement s’indignent que le gouvernement du PQ ne comble que " la moitié des besoins d’hébergement et de soutien " des femmes aux prises avec la violence conjugale. Elles en sont à envisager un débrayage pour tenter d’ouvrir les yeux de la classe politique à cette crise.

En effet, malgré une pétition signée par 110 000 personnes en mai, le ministre Roger Bertrand refusait cet automne aux refuges d’ici les 31 millions supplémentaires essentiels à la survie de leurs programmes, pourtant déjà réduits au plus strict minimum par les administrations précédentes. L’État ne dépense au Québec que la moitié de ce qu’il consacre aux refuges en Ontario. Et on attend encore le résultat d’une campagne de pressions collectives, organisée de toute urgence en octobre, pour empêcher le gouvernement Landry de retirer la violence conjugale du Programme national de santé publique du Québec !

Ces choix du PQ ne semblent pas faire beaucoup de vagues, ni dans les médias de masse ou alternatifs, ni dans les rangs du parti. Quant à l’ADQ et au PLQ, ils parlent déjà de " faire du ménage " dans les organismes et programmes censés répondre aux besoins des femmes.

Fin du droit au divorce ?

Le fédéral prépare pire. En plus de retenir les paiements de transfert essentiels aux programmes sociaux, il annonce une réforme de la Loi sur le divorce qui va faciliter encore la tâche aux conjoints agresseurs. Le nouveau ministre fédéral de la Justice, Martin Cauchon, parle de cesser de reconnaître les droits du parent gardien au moment du divorce. (2) Coïncidence ? En 1989, l’avocat Cauchon s’affichait aux côtés du mouvement pro-vie pour soutenir le batteur de femmes Jean-Guy Tremblay contre Chantal Daigle, lorsque celui-ci l’a traînée jusqu’en Cour suprême.

À la demande des pères désireux de faire tomber les pensions alimentaires et de rétablir l’autorité paternelle au-delà du divorce, le nouveau ministre fédéral de la Justice parle aujourd’hui de remplacer le droit de garde par un vague " partage de la responsabilité parentale ", avec sanctions criminelles pour les mères qui y résisteraient. Une catastrophe pour les femmes et enfants qui perdraient ainsi la possibilité d’échapper au contrôle et au harcèlement d’un mari violent ou d’un père incestueux ou irresponsable.

Pourtant les risques en cause sont évidents. L’analyse des 679 meurtres de femmes et d’enfants commis à ce jour par des hommes au Québec, depuis le 6 décembre 1989 (3), révèle des tendances inquiétantes. Les assassinats de femmes sont de plus en plus le fait d’un conjoint qui refuse la séparation. Les meurtres d’enfants par leur père ont plus que doublé au Québec depuis quelques années, en proportion directe de la réticence croissante des juges et de l’État à sanctionner les agresseurs. Malgré les recommandations successives de coroners, on ne refuse presque jamais aux hommes les sacro-saints " droits de visite ", même quand la récidive des attentats est prévisible, voire même annoncée par des menaces. " Droits du Père " obligent. Au plus recommandera-t-on à Monsieur de " consulter " un organisme masculiniste...

À quand des recours collectifs contre un système aussi complice, mais si bien conforté par l’idéologie ?

Le backlash masculiniste

Si l’État fédéral et provincial peut ainsi aggraver la situation au lieu de la corriger, c’est grâce au vent de backlash attisé par les mass médias. Un ressac que les hommes progressistes tardent encore à reconnaître comme une des plus virulentes formes de montée de la Droite, quand ils ne hurlent pas eux-mêmes avec les loups, comme le font Pierre Foglia, Pierre Bourgault, et autres.

À en croire ce nouvel intégrisme mâle, ce seraient non les femmes mais les hommes qui seraient les victimes du sexisme. Victime, le garçon qui, faute d’étudier ou de se détacher de stéréotypes virils, ne réussit pas aussi bien que sa sœur. (4) Victime, l’homme qui se dit " discriminé " par l’existence d’un refuge pour celle qu’il vient d’agresser. Victime, le père à qui l’État réclamerait de quoi nourrir ses enfants. Victime, le comédien à qui on propose des rôles parfois trop réalistes, pas assez " héroïques ".

Il n’est pas inopportun de rappeler que ce discours revanchard et nostalgique était celui de Marc Lépine, quand il a pris les armes.

À voir qui se rassemble dans les organisations masculinistes (5), on constate que ces hommes se disent victimes dans la mesure où ils tentent de rétablir une impunité traditionnelle, de protéger leurs privilèges masculins. Privilèges d’abord financiers : le fossé qui se creuse présentement entre riches et pauvres défavorise majoritairement les femmes (70% des bénéficiaires d’aide sociale), surtout à l’approche d’un troisième âge où les mères restées au foyer seront les premières dépouillées.
Où sont les voix d’hommes progressistes pour entraver ce violent retour du bâton et faire réellement cause commune avec les femmes contre le durcissement du sexisme ?

Combien d’autres meurtres faudra-t-il compiler avant qu’on cesse d’y voir autant de " tragédies " incompréhensibles ? Ou même une preuve de la soi-disant " détresse masculine ", nouveau truc pour repousser l’exigence de justice entre les sexes, c’est-à-dire de justice sociale ?

Le féminisme est une lutte populaire. Même si elle bouscule une bonne conscience masculine qui en a bien besoin.

Sources

1. http://www.lapresrupture.qc.ca/GerardLevesque_juillet25.htm
2. http://www.owjn.org/custody/index.html
3. Sisyphe
4. Pierrette Bouchard et J.-C. St-Amant, Réussite scolaire et stéréotypes sexistes, Montréal, Remue-ménage, 1997.
5. Masculinisme et criminalité sexiste

Autre document suggéré

Limites et risques de l’intervention psychologisante auprès des batteurs de femmes

Mis en ligne sur Sisyphe en décembre 2002
Cet article est publié simultanément dans l’édition de décembre de l’aut’journal



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Martin Dufresne

Longtemps associé au Collectif masculin contre le sexisme, créé en 1979, Martin Dufresne est connu comme un allié des milieux féministes et a produit dans plusieurs médias des analyses percutantes sur divers aspects de la condition masculine, ainsi que sur la violence faite aux femmes.



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