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dimanche 4 février 2007


Rapport du sous-comité de l’examen des lois sur le racolage
Voyage en Absurdie

par Diane Guilbault, collaboratrice de Sisyphe






Écrits d'Élaine Audet



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Que penser d’une société où le crime le plus grave est non pas l’exploitation d’êtres humains, mais le jugement qu’on pourrait porter sur les exploiteurs ? Impossible dans le plus meilleur pays du monde ? C’est pourtant à partir de ce prisme que s’articule le Rapport du sous-comité de l’examen des lois sur le racolage, majoritairement en faveur de la légalisation de la prostitution. On aurait pu l’intituler : Voyage en Absurdie.

Je ne saurai jamais dire le découragement et l’immense malaise que suscite la lecture de ce rapport, surtout que j’ai énormément de respect pour le rôle des parlementaires. Mon premier réflexe aurait été de faire parvenir aux représentant-e-s du NPD, du BQ et du PLC l’ouvrage de Jacques Grand’Maison intitulé Quand le jugement fout le camp ! Mais le liraient-ils ?

Comment peut-on en arriver à clamer que « la prostitution est avant tout un problème de santé publique » ! Que des parlementaires refusent de voir l’évidence, à savoir que la prostitution est une des pires manifestations de la domination d’un groupe sur un autre, une preuve extrême de l’inégalité entre les femmes et les hommes, voilà qui dépasse l’entendement ! À cela s’ajoutent d’autres failles qui discréditent l’ensemble du rapport et le rendent indigne de porter le sceau officiel du comité permanent de la Justice et des droits de la personne (!).

L’absence d’analyse et de cohérence

Un rapport doit normalement préciser son objet d’analyse. Or le chapitre 2, qui se veut une description de ce qu’est la prostitution au Canada, omet un élément majeur : la description au premier chef de ce qu’est la prostitution ou, selon la novlangue utilisée par nos parlementaires, ce que sont les services sexuels. Voici comment les décrit une survivante de la prostitution :

    Un homme paye pour te pénétrer, et après celui-ci, un autre et encore un autre. Tu te sens réduite à des orifices. Ce n’est pas drôle se faire pénétrer par tant d’hommes, dans le vagin, dans la bouche et l’anus. C’est dégeulasse, son sperme qui coule au coin de ta bouche et qui te donne envie de vomir. Sans égard à toi, ils te pénètrent avec leurs mains, des objets, leur pénis. Parfois, ils t’insultent. Parfois, ils te frappent. En tout temps, tu dois faire semblant de jouir et d’aimer ça. Lui, tu le trouves gentil, parce qu’il ne t’a pas pissé dessus, parce qu’il t’a dit que tu es belle, parce qu’il n’a pas baissé le prix prétextant que tu as des bourrelets. Mais, en même temps, tu le sais qu’il est comme les autres, qu’il paye parce qu’il n’a rien à foutre de toi, parce qu’il paye l’accès à ton corps pour se faire plaisir et que tu dois toujours faire semblant d’aimer ça.(1)

De cela, pas un seul mot dans le rapport. Si les tenant-e-s de la décriminalisation/légalisation aiment bien discréditer les personnes qui s’opposent à leur position en leur refusant le droit de parole sous prétexte qu’elles ne sont pas dans la prostitution, j’avoue avoir eu moi aussi très envie d’exiger des signataires du rapport majoritaire d’offrir les services dont il est question pendant plusieurs semaines, avant d’avoir le droit d’en faire la promotion ...

Par ailleurs, le rapport effleure à peine le fait que la prostitution, c’est un système dans lequel ce sont très majoritairement des hommes qui achètent des « services sexuels » à des femmes la plupart du temps. Ne pas analyser plus en profondeur cette dichotomie entre les femmes et les hommes dans le système prostitutionnel, c’est comme dire qu’on aurait pu analyser l’ancien système d’apartheid en Afrique du Sud en faisant fi des différences entre le statut des ‘Noirs’ et celui des ‘Blancs’.

C’est avec une belle unanimité que les membres du sous-comité se prononcent contre la prostitution des mineur-e-s. Fait à noter, on parle de « prostitution » dans le cas des mineur-e-s et on semble admettre qu’ils et elles sont contraint-e-s de se prostituer de plus en plus jeunes. Un récent ouvrage de Michel Dorais sur la prostitution des mineures (2) démontre assez clairement les mécanismes qui excluent toute forme de choix pour les mineures exploitées par des prostitueurs (usagers et proxénètes) de même que toutes les difficultés pour se sortir de la prostitution. Comment alors peut-on se permettre de faire l’impasse sur les liens entre la prostitution chez les moins de 18 ans et celle chez les plus de 18 ans ? Comment peut-on même taire qu’il y a des liens alors qu’on précise qu’il faut des années et des années pour guérir de ces souffrances et s’en sortir ?

Force est de constater que le sous-comité a choisi de ne pas voir ce qui aurait pu altérer ses conclusions que l’on sent dessinées d’avance dès les premières pages, ne serait-ce que par le choix du vocabulaire (travailleurs du sexe, services sexuels, etc.).

Deux poids, deux mesures

En outre, tout au long du rapport, on sent une tendance à discréditer les informations fournies par celles et ceux qui dénoncent la prostitution comme une violation des droits humains. Chaque fois qu’une démonstration fouillée et étayée est faite pour montrer le côté sombre de la prostitution, le rapport cite un ou deux témoignages contraires en leur accordant autant sinon davantage de crédibilité.

C’est d’ailleurs assez flagrant dans la section concernant la législation suédoise sur laquelle est venue témoigner la conseillère spéciale du gouvernement suédois, Gunilla Ekberg. Celle-ci a déposé plusieurs documents officiels (bien identifiés dans le rapport), faisant le point sur les effets de la loi abolitionniste suédoise. Mais pour le comité, cela ne semble pas faire le poids devant les paroles et des « documents » déposés par les pro-travail du sexe, dont plusieurs ne sont pas identifiés dans le rapport et dont la crédibilité devrait être questionnée.

Concernant les effets négatifs (amplement documentés) de la prostitution tant sur les femmes en général, les collectivités que sur les personnes dans la prostitution, le rapport les balaie du revers de la main en quelques mots, car « des témoins ont qualifié ce discours de moralisateur »... Là encore, pas de définition ni d’arguments pour appuyer le propos. Le dire suffit...

Ne pas juger

On connaît désormais la chanson : les gens qui ne sont pas capables de concevoir qu’une personne puisse choisir librement de vendre son corps ou d’acheter celui d’une autre personne sont des moralisateurs ! Car, selon les pro-décriminalisation/légalisation, il n’y a rien d’immoral à exploiter le corps humain, au contraire ! Et les député-e-s de se mettre à croire que la marchandisation des femmes et du corps humain est un droit de la personne ! Mais alors, qu’attendent-ils pour légaliser la vente d’organes ? Tout comme les femmes pauvres qui choisissent la prostitution, les pauvres du monde entier pourront enfin profiter de cette nouvelle interprétation du droit. Les proxénètes et autres trafiquants auront fini par triompher, grâce aux droits de l’homme (!).

Quiconque trouve que cela frôle l’absurde est prié de se taire et surtout de ne pas juger. Car les député-e-s nous rappelleront vite à l’ordre : ils ne sont pas là pour porter un jugement. C’est d’ailleurs écrit en toutes lettres : « En arriver à un équilibre sans juger ».

Exclu tout jugement sur les prostitueurs et marchands qui tirent profit de l’exploitation humaine. Toutes ces personnes ne sont après tout que des « adultes consentants ». Oubliée la mineure d’hier qui a changé de statut et de capacité de choix du jour au lendemain ! Oubliée la jeune adolescente qui s’est fait embrigader par un proxénète qui s’est bien joué d’elle ! Oubliées les femmes autochtones auxquelles on consacre pourtant quelques paragraphes (insuffisants), mais dont la détresse n’est, finalement, qu’un simple problème de santé publique.

Étrange tout de même, que nos député-e-s revendiquent le droit de ne pas se servir de leur jugement ! Moi qui croyais que le jugement était « au coeur de ce que nous avons de plus spécifique comme être humain : l’intelligence et la conscience. » (3) Sur quelles bases exercent-ils donc leur rôle de parlementaire ? Sans jugement, comment peut-on évaluer si des gestes portent atteinte à la dignité humaine ?

De nouvelles valeurs à promouvoir ?

Le droit joue un rôle essentiel : « réglementer les libertés et éduquer à certaines valeurs » (4). Ce que ces parlementaires nous proposent avec ce rapport, en fin de compte, ce sont de nouvelles valeurs telles que
• les femmes sont une marchandise comme une autre
• la société doit reconnaître aux hommes le droit d’acheter et de commercialiser le corps des femmes
• les corps de toutes les femmes sont potentiellement à la disposition des hommes.

On peut aussi facilement imaginer que les femmes qui reçoivent de l’aide de l’État seront invitées à se tourner vers ce métier en pleine expansion, puisque désormais autorisé et déstigmatisé. Mais ne nous y trompons pas : les seuls qui verront leur statut social rehaussé si jamais il y avait décriminalisation/légalisation, ce sont les prostitueurs, exploiteurs et usagers, et certainement pas les femmes qui subissent leurs fantasmes et leur mépris.

Tout compte fait, peut-être est-ce Les habits neufs de l’empereur que je devrais faire parvenir aux membres du BQ, du PLC et du NPD... En attendant mieux (ou pire ?), pour me consoler, j’ose rêver à une grande mobilisation (5).

Notes

1. Ana Popovic et Carole Lizée, Au-delà du discours sur la prostitution, la vie réelle des femmes prostituées.
2. Jeunes filles sous influence, Prostitution juvénile et gangs de rue, en collaboration avec Patrice Corriveau, VLB éditeur, 2006
3. Jacques Grand’Maison, Quand le jugement fout le camp ! Essai sur la déculturation, Fides, 1999, page 69
4. Guy Durand, Six études d’éthique et de philosophie du droit, Liber, 2006, p.43
5. Pour faire connaître votre opposition à ce rapport, écrivez au (x) député-e(s) de votre choix : site du Parlement du Canada.

Mis en ligne sur Sisyphe, le 2 février 2007



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Diane Guilbault, collaboratrice de Sisyphe

Féministe de longue date, l’auteure, qui a travaillé dans plusieurs organismes de défense des droits, s’intéresse particulièrement aux questions qui touchent la vie citoyenne. Diane Guilbault est l’auteure de Démocratie et égalité des sexes, publié en 2008 aux éditions Sisyphe. L’auteure est aussi membre fondatrice du Collectif citoyen pour l’égalité et la laïcité (CCIEL) créé à Montréal au printemps 2008.



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