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vendredi 7 décembre 2007


Plongée dans l’imaginaire antiféministe
Marc Lépine, héros et martyr ?

par Mélissa Blais






Écrits d'Élaine Audet



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Dix-huit ans après le crime funeste de Marc Lépine à l’École Polytechnique, il est encore possible de nier ou de minimiser les violences faites aux femmes, comme l’ont fait à l’époque tant de psychologues, chroniqueurs et éditorialistes. Peu originale, cette chronique de Louis Cornellier* qui nous refait le coup de la complainte du « féminisme radical m’exclut de son combat », questionnant du même souffle le caractère politique de la tuerie et se revendiquant du pamphlet de Rock Côté, le Manifeste d’un salaud, qui visait précisément à discréditer l’analyse féministe du crime de Lépine. Il est déprimant de constater, encore une fois, que le féminisme n’est pas traité avec le même sérieux réservé à d’autres mouvements et pensées politiques, qu’il est réduit à une compréhension personnelle, au « je, me, moi » du phénomène sociologique des violences faites aux femmes, comme si cette question pouvait se résumer par « je ne suis pas coupable, donc vous exagérez ».

Le massacre du 6 décembre, un événement politique

Voyons voir s’il est exagéré de parler du massacre du 6 décembre 1989 comme d’un événement politique, qui participe du problème structurel, social et généralisé de la violence faite aux femmes, mais surtout du ressac antiféministe qui se déploie en force depuis maintenant plus d’une vingtaine d’années au Québec. Le discours antiféministe utilise d’ailleurs la tuerie pour tenter de démontrer la souffrance masculine (ici, celle du tueur lui-même), pour dénigrer le féminisme et discréditer les efforts visant à éradiquer la violence faite aux femmes.

Depuis la tuerie, il n’est pas rare de lire que les féministes sont responsables du meurtre des 14 femmes. À l’occasion du premier anniversaire du massacre, le criminaliste Pierre Landreville prétendit que l’émancipation des femmes provoquait un sentiment de menace répandu chez les hommes, justifiant ainsi la réaction de Lépine. Landreville en tenait pour preuve les tribunes téléphoniques à la radio au lendemain de la tuerie, où des hommes exprimaient leur sympathie pour le tueur.

Les hommes québécois menacés par l’émancipation des femmes ? Elles n’étaient pourtant que 19,6%, à l’époque, à entrer à l’École Polytechnique, et ne comptent que pour 22% des nouvelles inscriptions des dernières années. Il n’en faut donc que bien peu pour que les hommes se sentent menacés... 18 ans plus tard, des hommes se disent encore victimes des luttes féministes, tout comme Lépine dans la lettre qu’il a rédigé pour justifier son acte. Sur le site Internet "garscontent", on peut lire que « tous les féminismes sont détestables. Toutes les féministes participent à un système criminel », et qu’il « est urgent d’annoncer que le féminisme sape les fondements de la civilisation. »

Héroïsation du tueur

Pis encore, des intellectuels, professionnels, militaires et surtout des militants pour la cause des hommes, participent à ce qu’il convient d’appeler le processus d’héroïsation du tueur, Marc Lépine. À ce sujet, l’historienne Julie Perrone explique que « tout héros doit poser des actions pour se faire connaître et accepter, il doit être confirmé de manière officielle, que ce soit par un gouvernement, un groupe d’admirateurs, une population et il doit être institutionnalisé pour garantir son immortalité. » Nul besoin ici de détailler la première étape du processus, soit l’acte de tuer, qui a fait connaître le tueur dans l’espace public. Au sujet de l’acceptation et de la légitimation d’un tel geste, rappelons les propos souvent cités de Peter Douglas Zohrab, qui affirme que « [l]a solution de Marc Lépine pourrait devenir la voie du futur. » Force est de constater qu’un groupe d’admirateurs s’est constitué autour de la personne du tueur.

Déjà au sortir de la tuerie, M. Holmes, coordonnateur d’un programme d’aide pour hommes violents, note que des hommes violents se reconnaissent en Marc Lépine. Durant les années 1990, des soldats du Régiment aéroporté de l’armée canadienne basé à Petawawa ont salué la mémoire du tueur. Ces hommages ont la même fonction que l’attribution d’un prix, puisqu’ils confirment le statut de héros de Marc Lépine par le biais d’honneurs officiels. Julie Perrone rappelle également que le processus d’héroïsation inclut le rejet de l’image négative du personnage. À ce propos, Zohrab prétend que « [l]es descriptions sur Marc Lépine visent à détruire sa réputation. Elles examinent les choses hors contexte, de la même façon que les pères sont calomniés à la cour du divorce et de la famille pour les priver de la garde ou de l’accès à leurs enfants. »

Pour quelles raisons ces militants et militaires cherchent-ils à faire de Marc Lépine un héros ? L’objectif semble être de le proposer comme modèle d’homme souffrant qui, en dénonçant et en attaquant le féminisme, se transforme en activiste pour la cause des hommes. Toujours selon Zohrab, « Marc Lépine n’était pas sexiste, comme l’ont affirmé les médias, mais il se battait contre le sexisme féministe. » Un héros offre aussi un modèle qu’il convient d’imiter.

Marc Lépine modèle de militantisme contre le féminisme ?

Donald Doyle en était convaincu lorsqu’il a envoyé des menaces de mort à plusieurs groupes de femmes, en 2005, tout en s’autoproclamant « la réincarnation de Marc Lépine », précisant également vouloir « finir ce que j’ai [Marc Lépine] commencé. » De même pour Mario Morin, qui a bloqué le Pont Jacques Cartier au printemps 2006, et qui s’est identifié à maintes reprises à Marc Lépine lorsqu’il énonçait ses menaces de faire exploser les centres jeunesses.

Fort heureusement, le processus d’héroïsation du tueur, surtout dans sa phase d’institutionnalisation, comporte certaines limites dont celles imposées par les cadres normatifs - qui sanctionnent et interdisent le meurtre - ou du mouvement féministe qui, par le biais de commémorations, critique la violence et rappelle la mémoire des 14 victimes. Cependant, est-ce trop demander à Louis Cornellier, qui se prétend sympathisant du féminisme, de sortir de son « je, me, moi », lorsqu’il discute du massacre des 14 femmes, afin de saisir l’ensemble des facettes de la violence masculine, dont le crime de Marc Lépine fait partie et qui a été clairement perçu par les féministes - radicales ou non - pour ce qu’il est : un geste politique.

* Louis Cornellier, « Le féminisme et moi », Le Devoir, 1-2 décembre 2007.

Mis en ligne sur Sisyphe, le 7 décembre 2007



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Mélissa Blais

L’auteure a codirigé l’ouvrage Le masculinisme au Québec : L’antiféminisme démasqué (Remue-ménage, 2008) et a rédigé un mémoire de maîtrise intitulé Entre la folie d’un seul homme et les violences faites aux femmes : la mémoire collective du 6 décembre 1989. Elle est doctorante en sociologie et membre de l’Institut de recherches et d’études féministes (IREF) à l’UQAM. Elle a publié en 2009 "J’hais les féministes !" le 6 décembre et ses suites, aux éditions du Remue-ménage.



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