|
mercredi 13 février 2008 L’apprentissage du dégoût
|
DANS LA MEME RUBRIQUE Réconcilier les garçons avec l’étude et les filles avec l’activité physique Quand la publicité encourage les comportements anorexiques La persistance des stéréotypes sexistes dans la publicité La virginité, ce concept flou qui gâche tant de vies Manipulation à défaut de pouvoir ? Cinéma américain - Sois belle et frappe ! Conditions de vie des aîné-es : un monde sans compassion Overdose de rose Cette mode qui rend les femmes infirmes Sexisme d’un autre siècle |
L’adolescence est une étape cruciale de la vie, puisque c’est durant cette période que le-la futur-e adulte forge sa personnalité. Malheureusement, cette période s’accompagne trop souvent chez la fille de ce qu’on pourrait appeler un apprentissage du dégoût du corps féminin. Il est troublant de constater que les premiers signes de puberté sont perçus de façon très différente selon qu’ils apparaissent chez une fille ou chez un garçon. Alors que l’apparition de poils est accueillie positivement chez les garçons (le duvet sous le nez, par exemple), il marque généralement pour une fille l’entrée dans le merveilleux monde de l’épilation. Le duvet sous le nez, les poils aux aisselles, les poils de jambes, les sourcils et parfois même les poils des cuisses, des fesses et du pubis sont considérés comme d’horribles défauts physiques dont il faut se débarrasser. On ne se demande même pas si la fille nouvellement nubile a réellement envie d’épiler tout ces poils, il va de soi qu’elle le fera. L’influence de l’esthétique porno chez les adolescent-es aggrave encore le problème. Au Québec, la moitié des adolescentes auraient le pubis épilé. Cire douloureuse, rasoir irritant, crème allergène, laser dispendieux, tous les moyens sont bons pour éliminer ce qui est considéré comme un signe de virilité, donc un domaine réservé aux garçons ! Tout poil visible, hormis les cils et les cheveux, est objet de dégoût et sujet aux moqueries. La réaction face au développement de certains signes sexuels distinctifs peut être elle aussi très différente selon le sexe du jeune. Alors que chez le garçon, l’allongement du pénis est perçu comme une chose particulièrement positive, le développement des glandes mammaires suscite fréquemment une réaction ambigüe. Cette poitrine naissante, regardée presqu’avec inquiétude, est aussitôt que possible emprisonnée dans un soutien-gorge afin de l’empêcher de bouger et, si possible, de se faire oublier. Par la suite, au contraire, sous l’influence des médias, l’adolescente recevra le message que sa féminité dépend de la grosseur de sa poitrine. Jamais satisfaites de la taille de celle-ci, de nombreuses filles porteront des soutien-gorge pigeonnant tout en rêvant d’implants mammaires... L’adolescence s’acompagne normalement d’une certaine prise de poids, causée d’une part par une augmentation de la masse musculaire et d’autre part par une augmentation du taux de gras corporel. Alors que de nombreux garçons voient leur poids augmenter avec, au pire, la plus parfaite indifférence, les filles sont fréquemment persuadées qu’elles sont trop grosses, même si leur poids est tout à fait normal. Les cas d’anorexie se multiplient et les victimes sont de plus en plus jeunes. De plus, beaucoup de filles semblent croire qu’il n’y a aucune différence entre prendre du poids et engraisser, comme si tout gain de poids en était automatiquement un de "gras". En ce qui a trait aux muscles, les garçons voient avec plaisir leur musculature se développer pendant que beaucoup de filles en sont mortifiées ! Beaucoup d’entre elles ne veulent d’ailleurs pas pratiquer de sport par peur de devenir trop musclées (j’ai déjà hésité à prendre des cours de danse classique pour cette raison !) Heureusement, il y a de plus en plus de modèles féminins sportifs positifs. Cependant, j’y mets un petit bémol : plusieurs entraîneur-es insistent beaucoup sur l’importance, dans la pratique de certains sports, la gymnastique notamment, de maintenir un taux de gras corporel le plus bas possible. Il arrive aussi que le sur-entraînement freine la croissance et qu’une alimentation trop restrictive fasse disparaître les menstruations. C’est certainement au chapitre des menstruations que l’apprentissage du dégoût est le plus fort chez la fille. Alors que le fonctionnement des organes reproducteurs est valorisé chez les garçons, les menstruations sont encore trop souvent perçues comme étant répugnantes et sales. Les publicités de tampons et de serviettes hygiéniques insistent énormément sur la capacité du produit annoncé à contrôler les odeurs, à prévenir les fuites, bref, à rendre les menstruations invisibles (une publicité de tampon vantait même un nouvel emballage "silencieux" !) Ces mêmes publicités insistent également sur l’importance de maintenir un même niveau d’activité lorsque les règles surviennent, comme si notre entourage se devait d’ignorer jusqu’à l’existence même de nos menstruations ! La même attitude prévaut pour les sécrétions vaginales. En effet, les publicités de protège-dessous, dont certains contiennent des parfums allergènes ou irritants, tentent de convaincre les femmes de l’importance d’éliminer toute trace et toute odeur, même normale, de leurs sécrétions vaginales. On sait pourtant combien il est mauvais pour le vagin d’être continuellement "étouffé" par des protège-dessous. Les publicités de produits servant à traiter les infections à levure, quant à elles, ne mentionnent jamais les causes possibles de ces infections, dont la mode des vêtements trop serrés, en particulier ceux en fibres synthétiques. Elles se contentent d’insister elles aussi sur le contrôle de l’odeur et du "gâchis" causé par les crèmes traditionnelles. À noter que, même si l’acné est dévalorisé chez à peu près tout le monde, quel que soit son sexe, les publicités de produits contre l’acné ne montre que des filles. Mais c’était déjà le cas pour la majeure partie des produits d’hygiène courants et de cosmétiques... Je ne prétends absolument pas que nous ne devons pas nous soucier d’hygiène personnelle ou que s’épiler est une pratique condamnable (je m’épile personnellement certains endroits). Nous devons simplement réaliser que le conditionnement social ainsi que certaines de nos attitudes, même involontaires, amènent les filles à considérer leur corps avec dégoût et culpabilité. Nous devons faire un effort de société pour que l’adolescence ne soit plus perçue comme une sorte de maladie honteuse et pour que les étapes normales de cette période soient vécues dans la sérénité. Mis en ligne sur Sisyphe, le 13 février 2008 |