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samedi 7 juin 2008 Jugement de Lille Pas de justice "à la carte" ! Réactions à l’annulation d’un mariage pour non virginité
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DANS LA MEME RUBRIQUE L’annulation de mariage n’est plus inscrite à l’état civil La virginité, "une qualité essentielle de la personne" ? Sur l’annulation d’un mariage pour non virginité L’épouse ment sur sa virginité, le mariage est annulé Indignation et colère à propos de l’annulation d’un mariage à Lille |
Nous présentons ici des réactions à ce jugement de Lile, en France, qui annule un mariage pour cause de non virginité de l’épouse. Et nous partageons cette opinion de "Ni putes, ni soumises" que nous aurions intérêt à méditer au Québec : "Méfions-nous de tout ce qui peut nous faire glisser vers une "justice à la carte" où chacun pourra choisir son menu selon ses coutumes, sa religion, sa philosophie. Et tout ça, au détriment de l’égalité et du droit des femmes."
"Virginité, ce mot obscène", par Geneviève Brisac, écrivaine et éditrice Dans le train qui m’emportait, j’ai pris avec gourmandise ma pile de journaux. Il y a un plaisir spécial à lire des journaux dans le train. Je crois même que ce plaisir révèle à quel point nous sommes privées le plus souvent de ce temps-là, de ce loisir-là, et on pourrait à cette occasion parler des origines de la crise de la presse, mais ce n’est pas notre sujet. La pluie battait les vitres du train. Un orage. J’ai lu qu’on venait d’annuler un mariage à la demande du mari, à qui sa promise avait menti. La foudre. Le pauvre, il n’envisageait pas de passer sa vie aux côtés de quelqu’un à qui il ne pouvait plus faire confiance. Il croyait épouser une jeune fille vierge, et voici qu’elle ne l’était pas. J’ai relu à haute voix l’article, pour bien comprendre et partager ma stupeur avec l’amie qui m’accompagnait. Au début je n’étais pas révoltée, à peine en colère. J’étais sidérée. Anesthésiée. J’en riais à moitié. C’était simplement trop énorme. Elle s’est pris la tête dans les mains. Elle avait l’air effrayé. – Au cinéma, on projette Sex and the City. Au tribunal, on disserte sur la virginité d’une mariée. C’est notre monde, qui va à sa perte, tiré à hue et à dia. Une schizophrénie mortelle, a-t-elle dit d’une voix blanche. – Nous sommes donc toujours au Moyen Âge, ai-je dit. Et il y a encore des hommes, nos frères, nos égaux, nos collègues de travail, pour s’obséder de défloration et de pucelage. Ces mots : virginité, pucelage, défloration, quelle obscénité ! Avec leur cortège de malheurs, de crimes, d’humiliations. Mon amie, qui est savante, a renchéri : les draps rougis que l’on montrait autrefois aux fenêtres, le lendemain du mariage, n’étaient-ils pas le symbole de l’appropriation de la vie intime d’une femme par la tribu ? Nous étions...Nous ne savions plus où nous étions. – Car au-delà des attendus de la juge, ai-je raisonné, c’est évidemment la virginité et non le mensonge qui a motivé cet homme impatient d’être démarié. Et motivé la décision de justice. Si sa fiancée lui avait menti en lui assurant qu’elle était gauchère, ou drôle, ou qu’elle savait le grec ancien, cela n’aurait pas suffi à annuler le mariage. Enfin nous le supposions. Cela ne nous donnait pas envie de rire. « Mais si c’est leur religion », a hasardé quelqu’un dans le wagon, d’un air bon enfant, d’un air tolérant. J’en ai eu le souffle coupé. Encore une fois le coup de la religion. La religion n’a rien à faire dans nos mairies et nos tribunaux. Aucune religion a dit mon amie, et je l’ai soutenue en hochant fort la tête. Elle a ajouté : « Je tiens qu’aucun dieu ne peut se soucier de la virginité de ses créatures. Les anciens propriétaires d’esclaves, oui. Nos ancêtres féodaux. « Mais ç’aurait pu être l’inverse, a dit quelqu’un d’autre. Ç’aurait pu être une femme qui demande l’annulation de son mariage parce qu’elle découvre que son fiancé n’est pas vierge. » Nous l’avons regardée avec étonnement. C’était une jeune fille qui parlait. Elle avait l’air franchement désolée pour le marié, à qui l’on avait vilainement menti. Elle respirait cette modernité ignorante que l’on croise à tous les coins de rue. Innocente. Et du coup inconsciente du sort réel de centaines de milliers de femmes autour d’elle. Cette modernité amnésique et apolitique qui rend possible des décisions de justice comme celle de Lille. Hors histoire. « Non, malheureusement, ce ne pourrait être l’inverse, cela ne s’est jamais vu, nulle part, jamais, ai-je dit avec un peu de grandiloquence, et j’en avais la chair de poule. On veut nous faire croire que c’est une affaire de mensonge entre égaux, qu’aujourd’hui les hommes et les femmes font alliance entre égaux. On veut nous faire croire qu’il est fini pour toutes et partout le temps de l’oppression, de la violence conjugale, des mariages arrangés, de l’inégalité des droits et des devoirs, de l’échange des femmes, ou de l’appropriation des ventres. » « Cette affaire, comme bien d’autres, a conclu mon amie, tandis que le train entrait en gare, montre que rien, pour les femmes, n’est jamais acquis. Aucun droit, aucun progrès. Aucune liberté. Mais nous ne nous laisserons pas faire. Nous sommes en colère. » (*) Prix Femina 1996. Dernier ouvrage publié : 52 ou la seconde vie, Éditions de l’Olivier, 2006. « Une démarche qui rouvre le dossier de l’inégalité des sexes » Entretien avec Geneviève Fraisse. Ancienne députée de la Gauche unitaire européenne, la philosophe Geneviève Fraisse analyse cette décision de justice sans précédent. Présidente du comité scientifique de l’Institut Émilie-du-Châtelet, centre de recherches sur les femmes, le sexe et le genre, créé en 2006, Geneviève Fraisse a publié notamment Du consentement (Seuil, 2007) et le Privilège de Simone de Beauvoir (Actes Sud, 2008). Comment réagissez-vous à la décision du tribunal de grande instance de Lille ? Geneviève Fraisse. On nous propose un grand bond en arrière, vers le temps de la répression sexuelle, vers un temps où les femmes étaient « en charge » d’une sexualité socialement « pure », vers le temps d’une asymétrie entre les sexes. Le mari, lui, était-il puceau ? Mauvaise question apparemment ! On imagine qu’il n’y a aucune raison de s’arrêter en si bon chemin : après la virginité, pourquoi pas la fertilité ? Souvenons-nous que l’absence de descendance a pu entraîner jadis l’annulation d’un mariage... De même, le « consentement mutuel » a été une conquête dans l’histoire du mariage (se choisir et non pas être choisie) comme du divorce : ne plus donner la cause du divorce, avec son lot de faits, de preuves, de culpabilités, mais décider de rompre un lien en gardant par-devers soi les réalités de la désunion, c’est accepter un formalisme démocratique respectueux de l’égalité des individus. Ici, au contraire, cette démarche rouvre le dossier de l’inégalité des sexes. La notion de « consentement » n’est-elle pas ici dévoyée ? Geneviève Fraisse. La construction juridique de cet acte de nullité du mariage est tordue : c’est parce qu’elle a menti qu’il y a « une erreur déterminante dans le consentement » du mari. Pourquoi aller chercher une « erreur » ? Il y a donc une vérité de la personne, de la femme, intangible, univoque. La virginité serait-elle de l’ordre d’« une qualité essentielle de la personne », comme le dit l’article invoqué du Code civil ? Mais que sait-on de l’histoire de la perte de cette virginité ? Au total, on passe d’un consentement où priment la liberté et la volonté (et pourquoi pas le désir) à un consentement contractuel, repris ici au nom de la morale, où il ne faut pas faire d’erreur sur la marchandise. On nous invite donc à apprécier le « contenu » du consentement. Il n’y a plus de sujet autonome. S’agit-il selon vous d’une résurgence anecdotique ou de l’expression d’un retour en arrière plus inquiétant ? Geneviève Fraisse. S’il y a anecdote, elle est un symptôme. Symptôme d’un marquage des sexes qui se fait toujours au détriment de l’égalité des hommes et des femmes. Nous vivons désormais dans un double discours, égalité des sexes et liberté des femmes du côté de nos démocraties contemporaines, mais aussi respect de dynamiques dites culturelles ou religieuses, obsédées par la séparation des sexes (ne pas être semblables, ne pas se mélanger) et la hiérarchie. Dans ce contexte, la régression générale n’est jamais loin. Les droits des femmes sont réversibles, on le constate à propos de l’avortement en Italie ou en Lituanie. D’ailleurs, nul besoin de regarder hors de nos frontières : en France, l’égalité salariale n’est toujours pas conquise, pas plus que la parité dans les lieux de pouvoir (y compris intellectuel) ; et que dire d’un gouvernement qui supprime le « service du droit des femmes » dans son administration et décide de revenir sur la mixité à l’école ? Les deux ex-conjoints sont de confession musulmane. S’agit-il selon vous d’une affaire religieuse ? Geneviève Fraisse. Question intéressante : la religion musulmane impose-t-elle la virginité ? Apparemment, non. Impose-t-elle le port du foulard ? Autorise-t-elle la polygamie ? Rien n’est sûr. Toutes ces questions font l’objet de discussions savantes, et de polémiques sérieuses. Pour ma part, je constate que la religion a bon dos. C’est vrai, aucune religion n’a pensé l’égalité des sexes - même s’il y a toujours des croyants pour plaider l’égalité dans la « complémentarité ». Mais surtout, la religion est de mon point de vue une magnifique couverture pour laisser la régression s’installer... Entretien réalisé par Alexandre Fache Communiqué Collectif National Droits des Femmes Cela pourrait prêter à rire si ça n’était pas somme toute lourd de menaces : Libération révèle aujourd’hui que le tribunal de grande instance de Lille a annulé un mariage en avril car la mariée n’était pas vierge. En fait, il y aurait eu "tromperie sur la marchandise" car la femme avait prétendu l’être. L’article 180 du Code civil qui a été invoqué par le marié stipule : "S’il y a eu erreur dans la personne, ou sur des qualités essentielles de la personne, l’autre époux peut demander la nullité du mariage." Ainsi, il existe en France, au 21ème siècle, des juges pour considérer que la virginité (des femmes évidemment !) au mariage est une qualité essentielle... On a vraiment peine à le croire. La police des moeurs est de retour... Bientôt, les femmes seront brûlées sur des bûchers comme des sorcières ! Dormez, braves gens, l’ordre moral veille sur vous. Plus sérieusement, de quoi la justice se mêle-t-elle ? Pour les intégristes de tous poils, si cela continue comme ça, il ne sera bientôt même plus nécessaire de revendiquer des tribunaux communautaires, ce seront les tribunaux de la très laïque République française qui se chargeront des sales besognes. Quelle aubaine ! Et tout cela sur le dos et le ventre des femmes. Mais nous l’affirmons solennellement : nous nous sommes battues pour conquérir l’égalité des droits et nous ne nous laisserons pas faire ! CNDF, 21 ter rue Voltaire, 75011 Paris, 01 43 56 36 48 La Répudiation laïcisée... 3 juin 2008 Communiqué de presse de SOS SEXISME, par Dr Michèle Dayras Le récent jugement du Tribunal de Lille qui a autorisé l’annulation d’un mariage au motif de « mensonge sur une qualité essentielle de la personne », la virginité de l’épouse, est un pur scandale car il rétablit un système de représentations patriarcales ancestrales contre lequel les féministes luttent depuis des décennies ! Après Sohanne brûlée vive, Ghofrane lapidée, jusqu’où iront les violences sexistes au nom de pratiques culturelles ou cultuelles archaïques ? Sommes-nous encore dans le pays de l’égalité femmes/hommes inscrite dans la Constitution ? Car si l’on peut généralement prouver la virginité d’une femme, il est impossible de certifier le pucelage d’un homme, ce qui crée ainsi une discrimination entre les sexes. Et si notre société libre a fait disparaître les mariages ‘arrangés’ que nos grands mères subissaient jusqu’au début du 20ème siècle, ce n’est certainement pas pour voir resurgir le tabou de la virginité qui relève de l’intime et non de la sphère publique. Réduire la femme à sa composante hyménale sous-entend qu’elle n’est qu’un objet de consommation dont la valeur intrinsèque réside dans la présence de ce morceau de membrane qui siège entre ses jambes ; petit bout de viande dont la défloration le soir des noces implique l’honneur de sa famille. Si elle a déjà perdu sa virginité il y a eu « tromperie sur la qualité de la marchandise » et la jeune fille est rejetée par ses proches. Elle portera toute sa vie l’humiliation de voir inscrit sur son acte de mariage « répudiée parce que non vierge ». Les conséquences de ce fait culturel/cultuel sont désastreuses pour celles qui sont concernées. Quant à l’amour supposé de l’époux pour la compagne qu’il a choisie, il se limite à l’acquisition d’un produit conforme à ses attentes c’est-à-dire frais, non avarié, dont il sera le premier à faire usage... Les ‘fous de dieu’ ne seront-ils pas récompensés après leur mort par l’accès au paradis où les vierges le sont éternellement ?!... Et Fourniret n’a-t-il pas tué en série pour réaliser son obsession de la virginité ?! La France combat les mariages forcés, l’excision et les crimes d’honneur qui témoignent de la haine contre les femmes. Elle doit aussi dénoncer les dérives communautaristes sexistes au quotidien : femmes cachées sous les voiles, interdites de sports, confinées à la maison, surveillées par les grands frères. C’est dans ce contexte que les discours du Président de la République, en totale contradiction avec son rôle de garant de la laïcité lorsqu’ils font l’apologie des religions patriarcales, ont un effet négatif sur la cohésion sociale. Il en est de même des dérives sexistes orchestrées par la Maire de Lille qui autorise les horaires spéciaux dans les piscines pour les intégristes juives et musulmanes. Quant à la suppression programmée de la mixité scolaire, au retour financé des femmes au foyer pour procréer, au nouveau statut du fœtus fragilisant le droit à l’IVG, au dialogue interculturel et à l’alliance des religions contre les femmes, ils font le jeu des intégristes de toutes obédiences et constituent des menaces qui pèsent lourdement sur nos acquis. SOS SEXISME condamne fermement toute atteinte au principe de laïcité et tout acte discriminatoire envers la population féminine susceptible de freiner son émancipation, sa libération et sa participation égalitaire à l’évolution de la République. Ni putes ni soumises lance une pétition Pétition : Pour toutes celles qui souffrent en silence, Nous ne sommes toutes Ni Vierges Ni Soumises par L’équipe NPNS L’appel par le parquet de Douai pour revenir sur la décision inacceptable du tribunal de Lille reconnaissant la virginité comme « une qualité essentielle » de l’épouse est une première victoire, mais la bataille est loin d’être gagnée. Même si incontestablement la justice de notre pays est indépendante et souveraine, il n’en demeure pas moins que le combat démocratique est lui aussi libre et indépendant. L’écrasante condamnation de cette jeune fille, a une signification sociale très claire en ce qu’elle condamne avec elle des millions de jeunes filles qui, rappelons-le, vivent en permanence sous la pression et le poids des traditions patriarcales. Les communautaristes et les extrémistes religieux de tous bords œuvrent sans cesse pour que ces traditions persistent. Pourtant Ni Putes ni Soumises, et nous tous, féministes, laïques, alertons depuis 5 ans sur les situations dramatiques que vivent les femmes dans nos quartiers populaires et bien au delà. Combien faudra-t-il de Sohanne, Samira, Ghofrane, Chahrazad, Myriam pour qu’enfin la justice protège toutes les femmes ? Toutes ces femmes victimes de l’obscurantisme, du poids des traditions, de l’oppression ? Nous nous sommes accrochés à la Laïcité, à la liberté, à l’égalité, à la mixité. Loin d’être des notions abstraites, ces valeurs sont le véritable moteur de notre émancipation. Partout en Europe, Fathy en Belgique, Souad en Italie, Amineh en Suède et tant d’autres, ont repris ces valeurs. Car pour nous, c’est une question de survie. C’est le sens de notre engagement féministe. Combien de jeunes adolescentes vont jusqu’au suicide à cause d’un simple flirt, ou subissent des représailles pour avoir parlé à un garçon ou avoir relâché leurs cheveux ? Il est urgent de ne pas oublier ces femmes qui vivent dans la peur, l’angoisse et souffrent en silence ! Nous qui nous sommes battues pour notre émancipation, nous qui luttons encore pour avoir le droit de jouir de notre corps, nous attendons de la Justice qu’elle se range de notre côté : celui du progrès et du droit des femmes. Qu’on en finisse avec ce genre de décision qui sonne comme le glas pour toutes les femmes qui se battent en Inde, en Iran, au Pakistan, au Maroc, en Algérie, en Egypte et ailleurs, contre la lapidation, la répudiation, l’excision et les crimes dit d’honneur. Nous appelons tous les défenseurs du droit des femmes à se mobiliser. Rassemblons-nous afin que les acquis des luttes féministes profitent à toutes les citoyennes et citoyens. Nous réclamons l’application de la laïcité, véritable vecteur de l’émancipation des femmes et de la démocratie. Il faut au plus vite que les législateurs rétablissent les failles de la loi, car nous marchons à grand pas vers une sacralisation du communautarisme. Méfions-nous de tout ce qui peut nous faire glisser vers une "justice à la carte" où chacun pourra choisir son menu selon ses coutumes, sa religion, sa philosophie. Et tout ça, au détriment de l’égalité et du droit des femmes. Pour signer : Ni putes, ni soumises Mis en ligne sur Sisyphe, le 5 juin 2008. |