Je ne suis pas plus emballée que quiconque de la campagne électorale qui s’achève au Québec. Je suis probablement aussi désabusée de la politique que la moyenne des Québécois et des Québécoises. Pourtant j’irai voter, le 8 décembre, parce que ne pas le faire me laisserait l’impression de démissionner face à l’adversité. Je le ferai surtout pour protester contre le fait qu’on ait presque ignoré les plus pauvres de la société au cours de cette campagne. Ces pauvres dont on se souvient une fois l’an, à l’approche de Noël.
Le premier ministre du Québec a déclenché une élection pour obtenir une majorité en prétextant que la situation économique exigeait qu’une "seule paire de mains tienne le gouvernail". Pourtant, comme certains l’ont souligné, quand la tempête se lève sur l’océan, toutes les paires de mains sont les bienvenues pour empêcher le navire de sombrer. Un gouvernement minoritaire ne nous avait pas si mal servi, au Québec, au cours des 18 derniers mois. Nous aurions pu attendre au moins une autre année pour aller en élection.
Nous sommes censé-es être au bord d’un précipice financier et économique, mais la valse des millions et des millards n’a pas cessé depuis le début de la campagne électorale, de quoi ébahir ceux et celles qui se font dire, depuis des lustres, que le Québec n’a pas les moyens d’éliminer la pauvreté.
Comme on l’a toujours fait, on projette encore de demander aux plus pauvres de soutenir les plus riches. Les milliards qu’on entend dépenser, ce ne sera pas pour aider les personnes et les familles à faible revenu, mais pour soutenir les entreprises financières qui ont mal administré leurs avoirs au cours des dernières années et qui ont poussé la population à consommer à crédit et à s’endetter. C’est pour renflouer les coffres des entrepreneurs qui ne rechignent pas à verser des millions de dollars à leurs dirigeants et à leurs cadres supérieurs, après avoir exigé de leurs employés de la base de réduire leurs salaires, sous la menace de fermer l’entreprise et de les envoyer au chômage. Remarquez que, dans bien des cas, ces travailleurs et travailleuses sont tout de même allés au chômage après les sacrifices imposés par leurs patrons. On nous dira qu’une aide massive aux entreprises sera nécessaire pour soutenir la création d’emplois : ce seront des emplois qui coûteront cher l’unité à tous les Québécois et toutes les Québécoises.
Excepté Québec solidaire, qui s’est intéressé, au cours de cette campagne électorale, aux plus pauvres de la société ? On a annoncé comme des mesures de lutte à la pauvreté des mesures sociales qui ne touchent pas particulièrement les plus pauvres, comme l’augmentation de places en garderie, des allocations à la naissance et l’ajout de congés sans solde pour s’occuper d’un enfant. Toutes mesures qui peuvent surtout servir à ceux et celles qui occupent des emplois et touchent des revenus moyens. Mais les autres ? Les plus pauvres parmi les pauvres, que fera-t-on pour les aider à traverser la crise économique qu’on dit à nos portes ? Un chef de parti a laissé entendre que les bénéficiaires de l’aide sociale étaient des paresseux et il projette de les "remettre" au travail, s’il est élu. Au travail dans quel domaine au juste ? Ces personnes n’ont pas nécessairement la formation ni la compétence pour occuper les emplois spécialisés qui sont offerts. Un détail, pour ce démagogue. La démagogie trouve toujours son chemin vers ceux qui nourrissent des préjugés.
En temps de crise économique majeure, ce ne sont pas les gens qui ont des économies et des actions en bourse qui souffrent davantage, ce sont ceux qui n’ont pas les moyens d’économiser, ni de bénéficier des baisses et des crédits d’impôts, puisqu’ils n’ont pas les moyens de payer d’impôts ou de jouer à la bourse. La personne ou la famille qui gagne 40 000$ par an, ce qui est relativement modeste, j’en conviens, reste une personne ou une famille à l’aise en comparaison de celle qui gagne 18 000$, et encore plus si on la compare aux personnes qui vivent avec une allocation mensuelle d’aide sociale de 575$ par mois. Pourtant, ce ne seront pas ces personnes à faible revenu que les politiciens et politiciennes aideront en premier. Ce seront les banquiers, le monde des affaires, les haut salariés, dont certains sont déjà exemptés d’impôt, par exemple, des employés des technologies de pointe.
Le chef libéral Jean Charest a bien annoncé, sans trop insister, qu’il indexerait les prestations d’aide sociale des personnes jugées aptes au travail au même taux (celui de l’inflation réelle) que les prestations des personnes inaptes au travail. Mince consolation, quand on vous a volé une partie de votre maigre pitance depuis 2003, alors que les coûts de l’épicerie, du logement, des transports, les tarifs d’électricité, de chauffage et autres n’ont cessé d’augmenter. Le prochain gouvernement, quel qu’il soit, devrait d’abord rembourser aux personnes assistées sociales les sommes qui leur ont été ont volées depuis 5 ans. Le chef libéral a aussi promis une hausse du salaire minimum à 10,50$ l’heure. Le salaire minimum a atteint 10,40$ depuis longtemps en Ontario, le Québec ne ferait donc que du rattrapage. Gageons que le monde des affaires convaincra Jean Charest, s’il est élu, de renoncer à cette augmentation ou de l’échelonner sur plusieurs années à cause de la "crise économique".
Ne serait-ce que pour dénoncer l’indifférence face à la pauvreté - mais il existe bien sûr d’autres motifs - il faut aller voter le 8 décembre, même en enregistrant un vote de protestation, c’est-à-dire en allant annuler son vote, comme le suggère lui-même le Directeur général des élections* aux personnes désabusées des campagnes électorales à répétition. Que celles et ceux qui projettent de rester à la maison lundi prochain aillent plutôt voter pour les candidats et les candidates, peu importe le parti, qui se préoccupent davantage de la redistribution équitable des richesses au sein de la société québécoise. Peut-être n’en trouvera-ton pas beaucoup. Alors, qu’on aille enregistrer un vote de protestation (par exemple, en écrivant le mot Pauvreté sur le bulletin), et en se disant qu’on le fait pour les moins nantis de la société auxquels toutes les guignolées du monde ne rendront jamais justice.
À défaut d’être écouté lorsqu’on vote pour un parti ou pour un autre, peut-être le sera-t-on le jour où 25% des personnes qui se rendent aux urnes annuleront leur vote. Les femmes en particulier, qui ont obtenu le droit de vote au prix de longues et difficiles luttes, doivent se prévaloir de ce droit. Sauf quelques promesses libérales et sauf Québec solidaire, la classe politique n’a pas démontré au cours de cette campagne un grand intérêt envers les femmes. C’est classique : en cas de "crise", contrairement à ce qu’on dit lors des naufrages, ce ne sont pas "les femmes et les enfants d’abord", c’est "au plus fort la poche". Femmes, allons voter en masse, ne serait-ce que pour rappeler notre existence et que nous faisons aussi partie de l’économie dont on prévoit la débâcle. Allons en grand nombre dire qu’il est fini le temps où on pouvait compter sur notre silence.
* Lettre du Directeur général des élections du Québec.