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jeudi 3 décembre 2009 Après le film Polytechnique, le dit et le non-dit
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Personnellement, ce qui me frappe le plus, c’est qu’on cherche encore à faire taire les femmes, à mettre une chape de plomb tant sur nos analyses des faits que sur notre incommensurable douleur. On allègue à nouveau que les féministes ont voulu récupérer cette tragédie. On continue à insinuer, en écho au tueur, que les féministes sont allées trop loin. Trop loin de quoi ? De la servitude et de la soumission que le pouvoir patriarcal leur a assignées depuis des millénaires ? "Vos gueules les mouettes", titrait Richard Martineau, dans sa chronique de Voir, lors du premier anniversaire de la tuerie, en intimant aux féministes l’ordre de se taire et de respecter le deuil des familles, comme si elles étaient les seules dans la société à n’avoir pas le droit d’exprimer leur peine sans être accusées de récupération ou de haine des hommes. "Et si le féminisme tuait ?", pouvait-on lire sur ¾ de pages du Devoir, le 3 décembre 1991. En juillet de la même année, La Presse titrait "Les féministes accusées d’être responsables du drame de Poly et des assassinats d’ex-conjointes". On y cite les paroles du Collectif anti-féministe du Québec qui considère que "Marc Lépine et tous les autres hommes n’ont pas hésité à payer de leur vie leur engagement". Le soir même du 6 décembre, j’ai entendu avec stupeur quelques hommes féliciter le tueur sur des lignes ouvertes. Aujourd’hui, on reprend les mêmes procédés qu’on a employés au lendemain de la tuerie en donnant la parole à ceux et celles qui reprochent aux féministes d’avoir récupéré l’événement. Marie-France Bazzo invite à son émission Catherine Fol dont le film Au-delà du 6 décembre (1991) constitue une charge contre les féministes. À quand le retour de Roch Côté, le "salaud manifeste" ? Sauf le compagnon de Maryse Laganière, Jean-François Larivée, Martin Dufresne, quelques rares journalistes, artistes et intellectuels, il n’y a pas eu beaucoup d’hommes qui se sont publiquement rangés du côté des femmes et des féministes, en partageant leur douleur, en tentant de réfléchir et de nommer avec elles les causes du massacre, pourtant si clairement exprimées par le tueur, et de chercher véritablement les moyens à mettre en œuvre pour qu’une telle horreur n’arrive plus. En dépit des indéniables qualités du film de Denis Villeneuve, dont celle de montrer les faits comme si on y était, comment ne pas s’interroger : sur l’angle choisi par le réalisateur qui met sur le même pied la douleur des étudiantes et des étudiants ayant vécu l’événement ; sur le peu de critique de la misogynie rampante et du sexisme ordinaire qui existaient en 1989 et qui continuent à briser des vies en 2009 ; sur les rapports de domination hommes/femmes et sur les stéréotypes de virilité et de féminité reproduits de génération en génération, les hommes d’un côté, les femmes de l’autre, dans cette meurtrière danse carrée du pouvoir. Comme si les survivantes n’avaient qu’à tourner la page et laisser les mortes reposer en paix et les hommes dormir sur leurs deux oreilles. Au lieu de terminer son film par la lettre à Mme Lépine, le réalisateur aurait pu utiliser des actualités filmées de l’époque et montrer les 10 000 personnes qui étaient venues rendre un dernier hommage aux 14 jeunes femmes, le 11 décembre 1989, le long du parcours des cercueils jusqu’à la basilique Notre-Dame. Donner à voir le visage déterminé et baigné de larmes des milliers de femmes présentes et à entendre le silence de mort si impressionnant, semblable à celui qui règne dans la salle à la fin du film Polytechnique. Et dire la sensation terrifiante, éprouvée aujourd’hui par beaucoup d’entre nous, que cela pourrait encore arriver. Le désaveu masculin de la violence conjugale, du viol, de la prostitution, de la pornographie, du mépris et de la haine sournoise des femmes, dans les écrits, les images, les gestes et les paroles, est la condition essentielle pour empêcher qu’un tel cauchemar ne se reproduise. Hier comme aujourd’hui, il est toujours aussi vrai que "qui ne dit mot, consent". Mis en ligne sur Sisyphe, le 10 février 2009 – Jacques Brodeur, Élaine Audet, Micheline Carrier, Il faut criminaliser la propagande haineuse contre les femmes, Sisyphe et Le Devoir, 8 juillet 2007.
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