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dimanche 24 mai 2009 Pour la laïcité complète et visible dans les services publics au Québec Critique d’une proposition du conseil d’administration de la Fédération des femmes du Québec
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Le 9 mai prochain, les membres de la FFQ seront invitées à entériner une proposition de leur conseil d’administration en faveur de l’autorisation du port de signes religieux ostentatoires dans la fonction et les services publics québécois (1). Cette position est étonnante de la part d’un organisme dont plusieurs batailles fondatrices étaient tournées vers l’objectif de la libération des femmes de l’emprise des dogmes religieux. En fait, si elle était endossée par les membres, cette prise de position pourrait remettre en question la place de la FFQ en tant qu’acteur majeur en matière de défense du droit à l’égalité des femmes. Les services publics doivent être laïcs La question du port des signes religieux dans les services publics soulève plusieurs enjeux, particulièrement celui de la laïcité. Même si (malheureusement) le Québec n’a adopté aucune déclaration formelle de laïcité, l’État se présente comme laïc. Le gouvernement et, au premier chef, le Premier ministre Charest, l’ont répété à plusieurs reprises. On ne peut ignorer non plus le fait que le Québec ait demandé l’abrogation de l’article 93 de la Constitution canadienne pour enlever aux catholiques et aux protestants des droits acquis, sécularisant le système scolaire public dans l’intention que les religions n’y jouent plus de rôle. Si l’on adhère à la prémisse à l’origine de cet amendement constitutionnel, selon laquelle la laïcité est essentielle pour permettre à nos institutions de s’adapter à la plus grande diversité sociale, il faut poursuivre nos efforts pour protéger cette laïcité récemment et durement acquise. La Commission Bouchard-Taylor a invité le gouvernement à mieux définir sa conception de la laïcité, mais jusqu’à présent, cette proposition est restée lettre morte. L’initiative de la FFQ offre donc une excellente occasion pour réfléchir à cet enjeu auquel sont confrontées actuellement les sociétés modernes. Travailler dans les services publics comporte des obligations Malheureusement, l’analyse proposée par la direction de la FFQ est décevante : incomplète, confuse, elle donne l’impression que la réflexion a été orientée vers une conclusion décidée d’avance. D’abord, quoi qu’en disent les auteures de la proposition, il n’y a pas que le port du voile (hijab) qui soit en cause : si celui-ci devait être autorisé, il faudrait aussi permettre le port des turbans et des poignards sikhs, des kippas juives et des crucifix ostentatoires. Veut-on vraiment être soigné à l’hôpital par un infirmier qui porte un poignard ? Le citoyen juif orthodoxe se sentira-t-il à l’aise de passer un examen de conduite avec une femme portant le hijab ? Faut-il vraiment que les citoyen-nes sachent à quelle religion appartient un-e employé-e de l’État ? Enfin, si la FFQ reconnaît la validité des obligations vestimentaires et autres signes religieux pour les employé-es des services publics, par quelles justifications pourra-t-elle refuser d’autres obligations réclamées au nom de croyances religieuses, tel le refus de travailler avec des personnes de l’autre sexe, l’obligation de prier à certaines heures et à certains endroits, l’impossibilité de côtoyer des non-croyants, le prosélytisme, etc.? Les dirigeantes de la FFQ ajoutent à la confusion en situant dans le même cadre d’analyse les usager-ères et les employé-es des services publics. Or, les responsabilités des un-es et des autres ne sont pas du tout les mêmes. Seul-es les employé-es des services publics sont tenu-es à un devoir de réserve qui restreint, dans l’exercice de leurs fonctions, différentes libertés comme la liberté d’expression ou d’opinion politique. Ces restrictions sont essentielles, car les employé-es de services publics sont mandataires en quelque sorte de toutes et tous les citoyens, et seule la plus grande neutralité peut assurer l’impartialité, ce qui implique aussi l’apparence d’impartialité. En outre, travailler dans les services publics n’est pas un droit absolu, c’est surtout une possibilité qui s’accompagne de devoirs et d’obligations pour tous et toutes. Avoir des services publics laïcs a aussi comme conséquence que l’État n’a pas à savoir à quelle confession religieuse appartiennent les citoyen-nes et ses employé-es, ni s’ils et elles appartiennent même à une confession. On ne peut donc pas chercher à obtenir une représentativité des différentes confessions religieuses au sein de l’appareil public, car cette information est privée et non vérifiable. Par contre, l’État doit continuer d’accroître le nombre d’employé-es visé-es par les programmes d’accès à l’égalité qui, rappelons-le, n’incluent pas les confessions religieuses. Les symboles sont des discours Si une image vaut 1000 mots, les symboles sont quant à eux des discours. Et les symboles religieux sont des discours religieux. Est-ce que la neutralité des institutions publiques peut vraiment être assurée par la multiplication de ces discours chez les employé-es des services publics ? On peut en douter, sans compter que cette visibilité ostentatoire, clamant des appartenances religieuses, risque de mener à une surenchère par laquelle chaque groupe voudra se rendre visible. Finalement, ce qui désole dans l’argumentaire développé par le conseil d’administration de la FFQ, c’est l’aval implicite accordé à la vision des fondamentalistes : en effet, les pressions en faveur du port des symboles religieux découlent d’une lecture fondamentaliste de textes écrits, il y a plus de 1000 ans. La majorité des pratiquant-es, fussent-ils de confession musulmane, hindoue, juive, sikh ou chrétienne, sont capables d’interpréter leurs textes « sacrés » et de les adapter au contexte contemporain. Les sociétés modernes qui ont adhéré à la démocratie ont en commun de réserver la pratique religieuse à la sphère privée et, surtout, elles ont choisi de gérer l’espace public, le vivre-ensemble, sur la base de règles démocratiquement choisies. Les fondamentalistes récusent, par essence, la primauté des règles démocratiques (comme la laïcité, l’égalité de tous et de toutes, la mixité des milieux, l’égalité des sexes sur le marché du travail, etc.) sur celles qu’ils considèrent émanant d’un dieu. Appuyer la vision fondamentaliste constitue une trahison de toutes celles et tous ceux qui luttent, ici et ailleurs dans le monde, parfois au péril de leur vie, pour leur droit à la liberté de conscience et pour une lecture des textes dits sacrés qui respecte la laïcité démocratiquement choisie. Se solidariser avec les femmes qui luttent contre l’oppression Comme le souligne le document de la direction de la FFQ, la question du hijab se pose avec encore plus d’acuité, mais pour des raisons qui débordent les exigences de la laïcité. En effet, on ne peut ignorer le contexte dans lequel s’inscrivent les revendications liées au hijab. À cet égard, il faut remarquer que les auteures réfèrent beaucoup aux femmes « racisées »*, un terme dont elles usent et abusent, et qui renvoie « au fait que les groupes dont il est question font l’objet d’une stigmatisation basée sur la race » (page 1, document de la FFQ). Or, la liberté religieuse, invoquée ici, renvoie non pas à la race, mais plutôt à la liberté de conscience. En revanche, les auteures font bien peu de cas des femmes « sexisées » (stigmatisées en raison de leur sexe) par ces « obligations » vestimentaires, une problématique qui devrait pourtant se retrouver au coeur des préoccupations d’une organisation féministe. Les motivations pour porter ce hijab peuvent être multiples : conviction religieuse ou fierté identitaire, modestie ou pour se faire remarquer, contre l’autorité parentale ou encore parce que la famille l’y oblige. Mais le hijab n’a qu’une seule signification : les femmes, et seulement les femmes, doivent se cacher les cheveux (et parfois le cou, le visage, les mains) quand elles se présentent dans l’espace public car leur chevelure serait source de désordre. Le mufti de la mosquée de Marseille, Soheib Bencheikh, qu’on ne peut taxer d’islamophobie, écrit :
On pourrait également citer l’anthropologue iranienne Chardott Djavann, Talisma Nasreen qui nous rappelle comment « aucune religion ne prône l’égalité entre les femmes et les hommes » (3), ou des femmes venues s’établir ici, comme Homa Arjomand (qui a mené la bataille contre les tribunaux islamiques en Ontario), l’auteure Djemila Benhabib, la présidente du Conseil musulman canadien, Farzana Hassan, ou la députée québécoise Fatima Houda-Pépin, et bien d’autres. On peut aussi référer aux témoignages recueillis auprès de femmes musulmanes par Yasmina Chouakri, responsable du Comité des femmes des communautés culturelles à la FFQ. (4) Toutes ces femmes, nées dans des familles musulmanes, pratiquantes et non pratiquantes, répètent à quel point le voile est « instrumentalisé » par des mouvements politiques qui n’ont rien de démocratique. Compte tenu de ces voix qui se font entendre, comment se fait-il que la direction de la FFQ demande à ses membres de privilégier la voix de ceux et celles qui endossent la vision des fondamentalistes ? Le 11 septembre 2001
Le fameux 11 septembre 2001 semble peser d’un grand poids dans l’analyse de la FFQ. Pourtant, le questionnement sur le port des signes religieux dans les services publics est bien antérieur à l’événement de ce jour, qui n’est pas le seul événement politique à prendre en considération. Il faudrait remonter au moins à la révolution islamique iranienne de 1979, à l’origine d’une campagne internationale pour le port du voile islamique sous toutes ses formes, du hijab jusqu’à ses versions les plus déshumanisantes pour les femmes, comme le nikab et la burka. Et il faut aussi se rappeler les années sanglantes en Algérie, à la fin des années 80 et pendant les années 90, alors que des filles et des femmes ont été assassinées pour ne pas avoir porté le hijab. Des femmes, des féministes musulmanes luttent depuis des décennies contre cette obligation sexiste qu’on leur impose et d’autres diktats religieux (5). En acceptant le port du voile pour les employées de services publics, non seulement les membres de la FFQ feraient la sourde oreille aux demandes répétées des femmes qui luttent contre l’emprise des fondamentalistes dans leur communauté, mais elles se feraient également les complices des discours religieux justifiant l’inégalité des femmes. En donnant leur appui à ce marquage des femmes dans les services publics, les membres de la FFQ choisiraient d’entériner une pratique sexiste alors que notre pays s’est engagé à combattre les pratiques et coutumes sexistes en signant la Convention pour l’élimination de toutes les formes de discrimination à l’égard des femmes (CEFDF) (6). Une analyse politique et féministe s’impose Un des arguments du conseil d’administration de la FFQ en faveur du port du hijab dans les services publics est la crainte que les femmes voilées soient victimes de stigmatisation. On est loin ici d’une analyse politique qui devrait caractériser un acteur de l’envergure de la FFQ. Sans compter qu’avec une telle analyse, on n’aurait jamais combattu l’esclavage par crainte de stigmatiser les esclaves. On n’aurait jamais demandé l’interdiction des mutilations génitales par crainte de stigmatiser les femmes excisées. Les auteures de la proposition expliquent que leur position repose sur les principes d’intervention féministe. Et c’est là que le bât blesse. Car si ces principes - le respect du rythme, du désir d’autonomie, des valeurs - sont des outils précieux pour intervenir auprès des femmes qui s’inscrivent dans une démarche personnelle, comme dans les maisons d’hébergement ou dans les centres de femmes, ils sont inappropriés pour analyser un dossier politique comme le port de symboles religieux dans les services publics. La FFQ n’est pas un organisme de relation d’aide, c’est un organisme politique. Et la question du port des signes religieux dans les services publics est une question qui relève du politique et non des services sociaux. Les auteures affirment enfin que « Prendre position d’un point de vue féministe sur le port du foulard islamique exige que nous évitions à la fois le racisme, c’est-à-dire la stigmatisation des femmes appartenant à certains groupes minoritaires, et le relativisme culturel consistant à vouloir suspendre l’application d’un droit en vertu d’exigences culturelles ou religieuses » (page 3, document de la FFQ déjà cité). L’analyse féministe ne devrait-elle pas d’abord débusquer et combattre le sexisme ? On a l’impression, en lisant l’argumentaire proposé par le conseil d’administration de la FFQ, que la lutte au sexisme devrait au contraire s’effacer devant la lutte au racisme au nom du relativisme culturel. Lorsqu’on y regarde de plus près, ne peut-on voir une position raciste dans le fait d’abandonner certaines femmes à leur sort, sous prétexte de respecter la culture des groupes auxquels elles appartiennent, comme l’affirme Wassyla Tamzali selon qui « tolérer l’intolérable au nom de la diversité culturelle est une forme de colonialisme » (7). Se battre pour le droit à l’égalité de toutes les femmes, peu importe leur origine, devrait pourtant être un devoir pour tous et toutes les antiracistes. En réalité, la question qui se pose aux féministes est celle-ci : l’appui de la FFQ à l’autorisation du port de symboles religieux, comme le hijab, dans les services publics, va-t-il dans le sens d’un renforcement des droits des femmes ou, au contraire, risque-t-il d’entraîner des reculs pour les femmes, ici et ailleurs ? Renforcer plutôt qu’affaiblir la laïcité Les personnes en faveur du port des signes religieux dans les services publics appuient souvent leur position sur le fait que la laïcité n’est pas complètement accomplie. Au lieu de prendre cette situation comme prétexte pour reculer, il vaudrait mieux s’en saisir pour progresser vers une laïcité bien définie, claire et appliquée à toute personne qui désire travailler dans les services publics, dans le respect du droit à l’égalité des femmes. En tant qu’organisme qui veut représenter le mouvement féministe du Québec, la FFQ doit refuser de se laisser entraîner dans une position irréconciliable avec la laïcité des services publics et le droit à l’égalité des femmes. * NDLR – Selon l’Office québécois de la langue française que nous avons consulté dans un autre contexte de publication, le terme "racisé" est un anglicisme. Peu importe que des féministes chevronnées l’aient employé en 1972 ou récemment, il n’en demeure pas moins un anglicisme. À notre avis, il prend des raccourcis avec les faits et confond des concepts différents : par exemple, on fait référence à la "race" (qui n’existe pas, selon certains) quand il est question de culture et, ici, de religion. Nota Bene Diane Guilbault est l’auteure de Démocratie et égalité des sexes, éditions Sisyphe, 2008. Pour plus d’information sur ce livre, qui critique les accommodements pour motifs religieux et plaide en faveur d’une véritable laïcité de l’État et des services publics, voir ce lien qui contient aussi les coordonnées pour commander le livre. Votre libraire peut le commander pour vous ou vous pouvez le commander par la poste. Notes 1. Débat sur la laïcité et le port de signes religieux ostentatoires dans la fonction et les services publics québécois - Proposition et réflexion du conseil d’administration pour l’assemblée générale spéciale qui aura lieu à Québec le 9 mai 2009, 18 pages, document PDF à télécharger depuis le site de la FFQ. Mis en ligne sur Sisyphe, le 23 avril 2009 9 |